Les musées de Nice restent au point mort

La municipalité sortante est mise en cause pour sa négligence et son désintérêt pour la création contemporaine

Le Journal des Arts

Le 2 mars 2001 - 1187 mots

Après avoir défrayé la chronique, les musées de Nice semblaient retrouver le chemin d’une nécessaire réorganisation.
Les recommandations contenues dans le rapport de l’inspection des Musées
de France, en 1998, sont restées lettre morte. Désintérêt pour la création contemporaine, obstruction de certains services, budgets mal répartis, les griefs s’accumulent et sont répercutés par les opposants au maire. Dernier épisode, le directeur des musées de la ville, Jean-François Mozziconacci, a été remercié par Jacques Peyrat.

NICE - Au cours du mandat de Jacques Peyrat (RPR), les musées de Nice ont tenu autant de place, sinon plus, dans la chronique judiciaire et les faits divers que dans l’actualité culturelle. Il y a d’abord eu le renvoi brutal de l’ancien directeur des musées de la ville, Claude Fournet. Ensuite, Xavier Girard a été obligé de quitter le Musée Matisse, sous la pression des héritiers du peintre, avant d’être mis en cause dans la disparition du violon de l’artiste et de livres lui ayant appartenu. Pour couronner le tout, l’ancien conservateur du Musée des beaux-arts, Jean Forneris, avait avoué le vol de deux tableaux de Monet et Sisley. Nommé à la direction des musées de la ville en 1999 pour remettre de l’ordre dans la maison, Jean-François Mozziconacci est aujourd’hui poussé vers la sortie par Jacques Peyrat, sans avoir jamais eu les moyens d’accomplir sa mission. Le maire “s’est contenté de suivre les expositions dans les musées et de prononcer les remerciements d’usage”, constate Jacqueline Mathieu-Obadia, adjointe à la culture de 1995 à 1996, aujourd’hui à la tête d’une liste divers droite aux municipales.

Avant même les péripéties judiciaires, la municipalité avait pourtant senti la nécessité de rationaliser la gestion des musées. À sa demande, un audit avait été réalisé, puis une mission d’inspection dépêchée par la direction des Musées de France (DMF). Son rapport, remis en 1998, notait que “le sentiment de ‘crise des musées’ évoqué depuis quelques mois est causé principalement par des problèmes de mésentente entre personnes, accentué par une absence d’arbitrage de la part des services”. Malgré ces précautions oratoires, le tableau qu’il dresse n’est guère idyllique. Conditions de conservation préoccupantes, voire alarmantes, au Palais Masséna et au Musée des beaux-arts, dans les réserves comme dans les salles, récolement et informatisation à faire dans la plupart des institutions, climatisation souvent inexistante, absence de budget d’acquisitions... L’inspection soulignait également le manque de cohérence et d’harmonisation dans la politique muséale, le refus de la concertation par les différents conservateurs n’étant pas étranger à cette situation.

Pour y remédier, plusieurs solutions administratives, techniques et financières étaient avancées : outre le regroupement en pôles thématiques, le rapport invitait la municipalité à mettre en œuvre une politique de conservation préventive dans tous les musées, la plupart des réserves étant “inadaptées à leur fonction à des degrés divers (climat ; surfaces ; équipement)”, à lancer un plan pluriannuel d’informatisation et de restauration, d’étude et de publication des collections, à instaurer un programme cohérent d’expositions temporaires, etc. En résumé, il y avait beaucoup à faire. Pour cela, la DMF insistait sur le rôle du directeur des musées de la ville, qui “devra avoir la maîtrise, d’une part, de la gestion financière et administrative, et d’autre part, de la politique culturelle et la communication”.

Un musée pour les réceptions
Responsable des musées classés (Beaux-arts, Masséna), Jean-François Mozziconacci rédige un projet de service dans lequel il reprend et affine les conclusions de la DMF, et pointe les actions prioritaires. Sur cette base, acceptée par le conseil municipal, lui est confiée la direction de tous les musées de la ville, à l’issue d’une convention de mise à disposition signée avec la DMF. Obstruction de la direction de la culture, refus de certains conservateurs de collaborer, insuffisance des moyens matériels et budgétaires (55 millions par an, hors investissement, pour les dix musées de la ville), ont eu raison de ces bonnes intentions. Sur les principaux points soulevés par la DMF, aucune avancée significative n’a été enregistrée. “Les choses ont commencé à mal tourner après l’arrivée de Martine Daugreilh à la direction de la culture”, note Raphaël Monticelli, conseiller de Patrick Mottard, candidat de la gauche plurielle. Madame Daugreilh, ancienne députée, n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Le projet de rénovation et de restructuration du Palais Masséna pourrait être notamment revu. Musée d’art et d’histoire de la ville, il devait, dans l’esprit de son conservateur, et en accord apparent avec le maire, être dédié au XIXe siècle. Cette destination se révélait en parfait accord avec la date de sa construction, de ses décors et avec les collections léguées par la famille Masséna. Achevé en juillet 1999, le projet muséographique n’a été transmis que le 1er décembre 2000 à la DMF, alors que son avis conditionne l’obtention de subventions. Les travaux ont donc commencé aux frais de la Ville. Pire, le maire souhaite transformer le rez-de-chaussée du palais en espace de réception, au détriment de sa destination naturelle et de la bonne conservation de son décor et de son mobilier. La moitié du sous-sol serait alors occupée par les cuisines. “Il est impensable de concevoir toute la réorganisation d’un musée en fonction de cette fonction, s’indigne Raphaël Monticelli. C’est inacceptable.”

L’art contemporain en autarcie
La situation du Musée des beaux-arts n’est pas moins précaire. À l’instar des autres musées, il ne bénéficie d’aucun budget d’acquisition, mais il n’a guère droit qu’à une subvention annuelle de fonctionnement de 300 000 francs (hors salaires). En revanche, le Musée d’art moderne et d’art contemporain (Mamac) reçoit onze millions et le Musée Matisse huit. Un déséquilibre qui n’empêche pas les critiques sur l’ouverture insuffisante de Nice à la création la plus contemporaine, alors que de très nombreux artistes travaillent dans la région. L’inspection avait déploré l’absence de projet culturel et d’une politique d’achat cohérente au Mamac, et regrettait que l’institution vive en autarcie par rapport aux autres institutions régionales : “Les collaborations avec le réseau serré de musées, de fondations, centres d’art, voués au XXe siècle dans le sud de la France, sont à développer.”

D’aucuns s’étonnent qu’une exposition ait été consacrée à Arman, quelques semaines après celle de Vence, comparable par son contenu. “Il faut donner aux musées un rôle plus actif dans la relation avec la création contemporaine”, considère Raphaël Monticelli. Il est rejoint par Jacqueline Mathieu-Obadia, qui estime que “le Mamac ne soutient pas assez les jeunes créateurs”. “Avant, j’essayais de retenir mes élèves à Nice, explique l’artiste Noël Dolla, enseignant à la Villa Arson. Depuis quatre ou cinq ans, je leur conseille de partir.” En trente ans, ce dernier n’a eu droit qu’à deux expositions : “On pourrait espérer mieux. Être honoré dans sa ville, c’est valorisant du point de vue affectif.”

Les deux principales listes opposées à Jacques Peyrat s’accordent à considérer les propositions de Jean-François Mozziconacci comme une assise solide à toute action future. Celle-ci est d’autant plus urgente que les musées de Nice vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête : une grande partie des œuvres qu’ils exposent sont des dépôts soit de l’État, soit de particuliers. L’État devra-t-il menacer de retirer ses dépôts, afin que la ville montre un peu plus d’empressement ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°122 du 2 mars 2001, avec le titre suivant : Les musées de Nice restent au point mort

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