Les musées de la mode et des arts décoratifs, des experts en valorisation des créateurs

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 15 mai 2014 - 702 mots

PARIS

Les grands noms de la haute couture affectionnent tout particulièrement les expositions dans les musées, seules capables de leur apporter ce « supplément d’âme » tant recherché par les marques.

Paris, capitale de la mode, a curieusement longtemps écarté des cimaises muséales les plus grands créateurs qui faisaient sa renommée. Comme si le fait d’être associé au monde du luxe et aux capitaux qui y sont liés entachait quelque peu le regard porté sur cet univers jugé frivole, pour ne pas dire vulgaire… Mais les temps ont bien changé, et il n’est pas rare de voir la façade d’une prestigieuse institution culturelle recouverte d’une immense photo de parfum, de bijou ou de robe, voire du simple logo d’une marque. Cependant, il devient parfois malaisé pour le visiteur de distinguer l’exposition à caractère scientifique et patrimonial de la manifestation relevant davantage du marketing et de la communication. Tout récemment, le Grand Palais brouillait savamment les cartes. Si sa rétrospective de la maison Cartier était le fruit d’une collaboration féconde entre conservateurs et historiens attachés à la prestigieuse institution, en revanche sa présentation quelques jours plus tôt du parfum Miss Dior avait peine à dissimuler sa dimension purement commerciale…

Dans cet exercice délicat qui est de mettre en scène la créativité du monde du luxe, il est heureusement des lieux qui accomplissent avec brio la synthèse entre le regard de l’historien et la démarche du créateur. Car ne nous y trompons pas ! C’est au prix de ce subtil équilibre qu’une exposition fera date auprès du public comme des spécialistes. Grâce à sa connivence intellectuelle et artistique nouée avec bien des créateurs, Olivier Saillard, le tout nouveau directeur du Palais
Galliera, a fait pénétrer le visiteur au sein même du laboratoire expérimental qu’est la naissance d’une collection ou l’avènement d’un style.

Des couturiers sublimés en artistes
On se souvient ainsi de sa magistrale exposition consacrée au couturier japonais Yohji Yamamato aux allures de work in progress au Musée des arts décoratifs en 2005 : loin de la commande officielle, l’exercice distillait un parfum de liberté et d’avant-garde, qui en fit son succès. Adepte du « luxe pauvre », le couturier nippon y apparaissait comme un artiste à part entière, qui puisait ses sources d’inspiration aussi bien dans les photographies d’August Sander, les chorégraphies de Pina Bausch et l’univers interlope du Tokyo d’après-guerre. Et le visiteur de cette mémorable exposition poétique et scientifique tout à la fois percevait combien la mode pouvait atteindre des sommets d’inventivité formelle, aux antipodes de l’image artificielle qui lui est trop souvent accolée. Présentée à l’occasion de la réouverture du Palais Galliera en septembre 2013, l’exposition consacrée à Azzedine Alaïa sacrifiait à cette même veine : les robes du grand couturier d’origine tunisienne y étaient présentées comme des œuvres d’art sublimées par une scénographie théâtrale. Loin de tout discours « marketing ».

Il serait néanmoins fallacieux de sous-estimer les retombées concrètes de ces expositions sur l’image des créateurs et de leur maison. Magnifiée par la scénographie futuriste de l’agence Jouin Manku, l’exposition Van Cleef & Arpels (Musée des arts décoratifs, 2012-2013) a ainsi renouvelé l’image de la maison de la place Vendôme en même temps qu’elle a offert une démonstration éclatante de sa vitalité artistique. Comme si l’adoubement muséal procurait ce « supplément d’âme » qui distille le rêve, en même temps qu’il fait s’envoler les ventes ! Selon Olivier Gabet, directeur des Arts décoratifs depuis juin 2013, « cette exposition était bien davantage qu’une publicité. Elle offrait une expérience, provoquait un émerveillement. » Elle s’appuyait, en outre, sur l’exceptionnelle érudition de Catherine Cariou, la responsable du patrimoine de Van Cleef & Arpels, et d’Évelyne Possémé, la conservatrice en chef chargée des bijoux au musée. Ainsi, il paraît vain d’opposer de façon manichéenne les conservateurs de musée et les responsables des collections de ces prestigieuses maisons. « Ce sont des professionnels d’une grande érudition, animés par la même passion », plaide avec ferveur Olivier Gabet. Et ce brillant historien de l’art de défendre avec la même flamme l’exposition que son musée consacre actuellement au grand couturier belge Dries Van Noten. Loin des sirènes du marketing et de la pub, une exposition de mode, qui va bien au-delà de la mode.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Les musées de la mode et des arts décoratifs, des experts en valorisation des créateurs

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