Musée

Les musées au diapason

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 12 novembre 2014 - 1554 mots

NANCY

Entre les musées de Nancy, la synergie n’est pas un vain mot. Dotées d’un service culturel mutualisé et de réserves communes dernier cri, ces institutions se caractérisent par leur capacité à travailler de concert.

Un Musée des beaux-arts fondé en 1793 donnant sur la place Stanislas et doté d’une extension contemporaine en 1999 ; un musée spécialisé dans l’école de Nancy, installé dans une ancienne demeure particulière Art nouveau au cœeur des quartiers XIXe ; un grand musée historique régional déployé dans un ensemble patrimonial datant de la fin du XVe siècle sis dans la vieille ville…, Nancy peut se targuer d’abriter trois musées de beaux-arts parfaitement complémentaires, sur le plan tant des collections que de l’« expérience muséale ». À cette complémentarité s’ajoute un bel esprit d’équipe entre les chefs d’établissement, peu ou prou de la même génération, et encouragés par la Ville à travailler ensemble au bénéfice d’une programmation commune. Directeur par intérim du Musée lorrain, Richard Dagorne se réjouit d’une telle synergie : « Nous ne sommes pas dans une logique de territoire ou de chasse gardée. » « Notre formation à l’Institut national du patrimoine nous pousse à avoir des réflexes de travail, à nous rapprocher de manière naturelle », renchérit Charles Villeneuve de Janti, directeur du Musée des beaux-arts (MBA).

Ce travail en réseau remonte à l’année 1992, et une première opération menée autour de Jacques Callot sous l’impulsion de la Ville, à la fois au Musée lorrain et au Musée des beaux-arts. Depuis, le pôle muséal encourage les initiatives communes, dont chacun sera à tour de rôle le pilier porteur. L’année 1999, consacrée à l’école de Nancy, fut la première à fédérer les trois grands musées, ainsi que les espaces d’exposition de la galerie Poirel, autour d’un projet partagé. En 2005, à l’occasion de la rénovation de la place Stanislas, à chacun sa spécialité pour « Le temps des Lumières » : le roi Stanislas au Musée lorrain, Nancy au siècle des Lumières au MBA et l’inspiration XVIIIe dans l’Art nouveau au Musée de l’école de Nancy (MEN). Idem pour l’année 2008 consacrée à Victor Prouvé, avec le MBA s’intéressant au peintre et sculpteur, le MEN décryptant son rapport aux arts décoratifs et le Musée lorrain examinant sa pratique de l’estampe et de l’édition, le tout étant accompagné d’un catalogue commun.

Citons également l’année 2012 consacrée à Jean Prouvé, et 2013 à la Renaissance. Si cette approche constitue une manière intelligente pour les institutions de fédérer le public nancéien autour de sujets qui les concernent directement sur le plan historique, elle ne se limite pas aux seuls musées de beaux-arts. En 2002, le MEN prenait ses quartiers au MBA pour y présenter une exposition consacrée à Loïe Fuller, tandis qu’à l’Opéra voisin le Centre chorégraphique national-Ballet de Lorraine programmait un spectacle inspiré par la danseuse américaine. Et, lors des dernières Journées du patrimoine, le MBA se rapprochait du Muséum-Aquarium de Nancy pour proposer une visite autour des animaux représentés dans les collections.

Une Ville à l’écoute
« Nancy est une ville très à l’écoute de ses musées et qui a bien conscience du rôle des conservateurs et de ce qu’ils peuvent apporter », souligne Valérie Thomas, directrice du Musée de l’école de Nancy depuis 1996. Le dialogue est ainsi facilité pour satisfaire les desiderata et les initiatives. Privé de la galerie Poirel désormais consacrée au design et à l’art contemporain, le MEN organisera dorénavant ses expositions temporaires au MBA, à un rythme biennal – la première, en 2015, explorera l’engagement politique et social de l’école de Nancy. En 2011 était fondé un service des publics mutualisé afin de fournir une offre globale au jeune public et proposer des visites coordonnées sur les trois sites – dès 1998, Valérie Thomas et Béatrice Salmon, directrice du MBA (1995-1999), avaient créé un service éducatif commun aux deux musées. Construit dans le cadre du réaménagement du Musée lorrain (lire l’encadré), un grand centre de réserves externalisées et mutualisées pour les cinq musées de la Ville (1) se veut un outil supplémentaire au service de ce travail collectif (un budget de 8,6 millions d’euros financé par la Ville, la Région et l’État). Dotées de salles de restauration communes, classées par typologie et non par musée, ces réserves offriront aux conservateurs l’occasion d’être en contact avec les différentes collections – un cadre idéal pour favoriser des découvertes et faire germer des idées. Charles Villeneuve de Janti (MBA) caresse déjà l’idée de profiter du réaménagement du Musée lorrain pour opérer un rapprochement inédit entre les collections des deux institutions autour de Caravage et Georges de La Tour.

Avec l’implantation du Centre Pompidou à Metz (qui n’aura eu d’impact sur la fréquentation des musées nancéiens que l’année de son inauguration), la question de la création d’un musée d’art contemporain à Nancy se pose moins pour nos interlocuteurs. Charles Villeneuve de Janti souligne que le Musée des beaux-arts est l’un des rares à ne pas avoir vu ses collections d’art moderne et contemporain externalisées : « Les anciennes directrices Béatrice Salmon puis Blandine Chavanne [2001-2006] ont mis en place des programmations axées sur l’art contemporain que nous avons poursuivies et entendons développer. Au printemps dernier, par exemple, l’artiste Carole Benzaken a réalisé une installation pour le musée dans le cadre d’une exposition personnelle. Pour notre public, il est important de montrer que l’art est vivant, qu’il n’y a pas de rupture. » Le directeur souhaite également créer un jardin de sculptures contemporaines afin de conserver cette continuité chronologique. « L’art contemporain n’a pas nécessairement besoin d’un musée pour exister », plaide de son côté Richard Dagorne. L’installation du Bouquet (2013) de Daniel Buren (un dépôt du Fonds régional d’art contemporain Lorraine) sur la place des Vosges tout juste rénovée, dans le cadre de « L’art dans la ville », est là pour le rappeler.

Le grand projet du Musée lorrain

Un budget prévisionnel estimé à 40 millions d’euros, financé à parts égales par la Ville, la Région et l’État, pour un chantier programmé début 2016 : le projet d’extension et de rénovation du Musée lorrain ne manque pas d’ambition. Constituée de plusieurs corps de bâtiment classés monuments historiques au cœur du Vieux Nancy, l’institution a été créée en 1850 par la Société d’archéologie lorraine, qui en a remis la gestion à la Ville en 2008. Fort de ces riches collections d’objets archéologiques, historiques, ethnologiques et artistiques (au rang desquelles figure La Femme à la puce de Georges de La Tour), le musée retrace l’histoire de la région de la préhistoire au XXe siècle. Or le site, originellement destiné à un public savant et familier de l’histoire régionale, souffre d’une image poussiéreuse – la section des Arts et Traditions populaires, intacte depuis son inauguration en 1981, y est pour beaucoup. Sur les rails depuis 2000, le projet de réaménagement entend s’adapter aux exigences contemporaines, notamment sur le plan de l’accessibilité. À terme, l’ensemble formé par le Palais ducal (à partir de la fin du XVe siècle), l’église et le couvent des Cordeliers (fin du XVe siècle) et le palais du Gouvernement (milieu du XVIIIe siècle) formera, avec une nouvelle extension, un ensemble parfaitement intégré à la cité. Pierre angulaire de ce programme de redéploiement des espaces et des collections, l’extension imaginée par Dubois & associés en lieu et place de l’actuel bâtiment non classé qui abrite les collections archéologiques donnera lieu à des fouilles préventives. Un espace d’accueil, une salle d’exposition temporaire, un centre de documentation, une salle de conférences, une librairie-boutique, des ateliers pédagogiques et un café trouveront place dans un vaisseau transparent relié au Palais ducal par le sous-sol. Également chargé de revoir la muséographie du Palais ducal et le traitement extérieur du parcours muséal, le cabinet d’architecture parisien est un familier des musées pour avoir repensé ceux de Caen, Lyon et Limoges ou encore le Musée Toulouse-Lautrec à Albi. Cette extension constitue le volet suivant de l’opération lancée avec la restauration extérieure du Palais ducal (de 2005 à 2012, 5,3 millions d’euros) parallèle à un vaste chantier des collections (récolement, restauration, informatisation). Aujourd’hui fréquenté par 70 000 visiteurs, le musée est, selon Richard Dagorne, son directeur, susceptible d’en recevoir 200 000 après rénovation.

La plus importante villa Art Nouveau de Nancy

Placée sous l’égide du Musée de l’école de Nancy (MEN), la Villa Majorelle est propriété de la Ville depuis 2003. Autrefois occupée par les bureaux de la direction départementale des Équipements, la villa abrite aujourd’hui le service territorial de l’Architecture et du Patrimoine (relevant de la direction régionale des Affaires culturelles [Drac]) et l’Association des amis du musée. Les travaux sur la villa Art nouveau malmenée par les années porteront sur la façade et les cheminées en grès flammé qui vont être redéposées (600 000 euros). Une seconde campagne concernera l’intérieur de la villa, dont Valérie Thomas, directrice du MEN, souhaite restituer l’esprit originel, en y réinstallant notamment le mobilier de la chambre à coucher et celui de la salle à manger acquis récemment – « il n’est pas question de créer un musée-bis ». Un centre de documentation sur l’école de Nancy pourra y être installé tandis que l’objectif est une ouverture quotidienne avec des visites encadrées pour un public limité – la villa est aujourd’hui ouverte à la visite le samedi et le dimanche (6 000 visiteurs par an). Le projet, financé par la Ville et la Drac, ne pourra être lancé que lorsque lesdits services de la Drac auront trouvé un autre point de chute.

Note

(1) Le Musée des beaux-arts, le Musée lorrain, le Musée de l’École de Nancy, le Musée-aquarium et le Musée de l’âge de fer.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°423 du 14 novembre 2014, avec le titre suivant : Les musées au diapason

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