Les fastes de l’Orient au Grand Palais

En point d’orgue de la Saison de la Turquie en France, les Galeries nationales du Grand Palais offrent leurs cimaises à une ville légendaire”¯: Istanbul

Par Pierre Morio · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 1152 mots

Forte du grand succès de l’exposition « Turks : a Journey of a Thousand Years, 600-1600 » à la Royal Academy of Arts de Londres en 2005, dont elle a assuré le commissariat, Nazan Ölçer, directrice du Sakip Sabanci Museum à Istanbul, s’est vu confier les rênes de l’événement majeur de la Saison de la Turquie en France, « De Byzance à Istanbul – Un port pour deux continents », au Grand Palais.

Une telle entreprise peut laisser perplexe tant le sujet est vaste. Comment réussir à développer un propos consistant quand la période couverte est de plus de 4 000 ans ? Et quand on connaît les enjeux que recouvre une telle saison culturelle pour un pays attendant un signe favorable de la France pour intégrer l’Union européenne, comment éviter de transformer cette exposition en vitrine publicitaire pour le pays entier ? Nazan Ölçer l’assure : « L’exposition se veut le reflet le plus objectif possible de la ville en dehors de toute pression politique. » Sans surprise donc, et pour coller au mieux au principe d’objectivité, le parcours est chronologique, avec une part importante réservée à l’archéologie. Car le passé d’Istanbul s’étend sur une très longue période. Les premières traces d’occupation du site remontent au paléolithique. Les premiers habitants s’étaient établis aux alentours du lac de Küçükçekmece, dans la partie européenne de la ville actuelle. Divers objets, dont un vase pansu à décor incisé en terre cuite, prêté par le Musée archéologique d’Istanbul, ont été mis à jour dans la grotte de Yarimburgaz, située près du lac. Puis, vers 5000 av. J.-C., une importante population est venue s’installer sur les deux rives du Bosphore, et est attestée dans le quartier de Kadiköy Fikirtepe.
La fondation historique de la ville remonte cependant au VIIe siècle av. J.-C., avec l’arrivée des colons grecs originaires de Mégare, cité attique située sur l’isthme de Corinthe. La légende veut que les Grecs choisirent le lieu après avoir consulté l’oracle de Delphes. D’abord simple comptoir commercial, la ville se développe sous l’impulsion du général Byzas – qui lui donnera le nom de Byzance – et prendra l’ascendant sur la toute proche Chalcédoine, fondée vingt ans auparavant, en 680 av. J.-C. Mais c’est à un empereur romain que l’on doit le rayonnement international et pérenne de la cité. Constantin Ier (306-337), après avoir vaincu Licinius à Chrysopolis (l’actuelle Üsküdar), décide de faire de la ville le centre administratif de l’est de l’empire, devenu trop vaste pour être gouverné uniquement de Rome, et lui donne son nom. À la scission de l’empire, Constantinople devient la capitale de la partie orientale. La ville voit alors sortir de terre palais, églises, monastères, forums, devenant la cité la plus grande et la plus riche de l’époque. Justinien (483-565) la dotera ensuite d’un joyau?: la basilique Sainte-Sophie. Pour la construire, aucun matériau n’est trop précieux, y compris certains vestiges du temple d’Artémis d’Éphèse, une des merveilles du monde antique.

Insolente prospérité
L’art byzantin déploie tous ses fastes pendant douze siècles. Les meilleurs artisans de l’empire sont attirés par la brillante cité. Les mosaïques à fond d’or recouvrent édifices religieux et monuments civils. Objets de culte et de cour, comme les plaques d’ivoire sculptées et réputées dans tout le bassin méditerranéen, elles participent à la glorification du pouvoir théocratique. La plaque d’ivoire, dit ivoire Barberini, conservée au Louvre, présenterait ainsi l’empereur Justinien triomphant. Cette insolente prospérité attise les convoitises. Assiégée et mise à sac tour à tour par les Galates, les Goths, les Avares, les Arabes et les Croisés, Byzance-Constantinople chute en 1453 sous les assauts des Ottomans. Istanbul naît, devenant la capitale d’un des empires musulmans les plus puissants. La ville est pour la seconde fois l’objet de toutes les attentions. Mehmed II le Conquérant et surtout Soliman le Magnifique vont la doter de nombreux édifices somptueux. L’architecte Sinan conçoit un plan de la mosquée ottomane, prenant comme source d’inspiration la basilique de Justinien. Les sultans s’installent au bout de la Corne d’Or, dans le Palais de Topkapi. C’est à nouveau l’essor des arts de cour, où la céramique joue un rôle essentiel. Un centre de production se développe à Iznik. Ses plus belles productions couvrent encore les murs des mosquées et palais de la ville. Puis le pouvoir s’essouffle dans le courant du XIXe siècle. L’empire, trop grand, doit faire face aux changements profonds qui s’opèrent en Europe, avant son éclatement en 1920 et la proclamation de la République de Turquie en 1923. Plus de 380 œuvres, issues en majorité des collections stambouliotes, sont réunies pour esquisser ce portrait de ville. La fin de l’exposition, consacrée aux découvertes récentes faites à Yenikapi, sur le chantier de la nouvelle ligne du métro stambouliote (lire p. 19), ne comprendra pas, comme initialement prévu, l’un des bateaux excavés récemment. La venue d’un des navires n’a pu se faire, faute de temps pour restaurer et conserver les fragiles morceaux de bois. Un vrai regret, car ces vestiges saisissants de fraîcheur auraient sans aucun doute plongé le visiteur dans l’ancien quotidien de cette cité mythique.

Le Louvre n’est pas en reste
S’étant dessaisi de nombreux objets phares pour l’exposition du Grand Palais (lire ci-dessus), le Musée du Louvre participe à sa manière aux festivités de la saison turque, en proposant trois expositions-dossiers, aux formats divers. La plus prestigieuse, car présentant les collections d’un lieu mythique – le Palais de Topkapi – sera consacrée aux caftans et habits de cour de l’époque ottomane. À travers ces étoffes et quelques accessoires d’ornementation, c’est la vie à la cour du sultan qui est évoquée. Mais c’est surtout l’archéologie turque qui sera mise en avant. Le département des Antiquités grecques, étrusques et romaines retrace le passé d’Izmir, l’antique Smyrne. Le Musée archéologique d’Izmir, le Metropolitan Museum of Art de New York et la Bibliothèque nationale de France ont été mis à contribution pour évoquer l’histoire de ce centre important de la coroplathie en Asie Mineure, à travers monnaies, figurines en terre cuite, bas-reliefs, céramiques. Jusqu’à la statuaire de pierre, dont trois œuvres, envoyées de Smyrne à Versailles pour décorer les jardins du château sous Louis XIV, sont prêtées par l’établissement public. La dernière exposition, sur les tombes princières d’Alaca Hüyük, mérite que l’on s’y attarde. Elle ne sera constituée que de six objets, prêtés par le Musée des civilisations anatoliennes à Ankara, mais elle permettra d’appréhender le développement des cités du plateau anatolien durant le IIIe?millénaire, bien avant la civilisation hittite. Le site est aussi le premier à avoir été fouillé par la République turque, en 1935. L’occasion de revenir sur la naissance de l’archéologie moderne en Turquie. « À la cour du Grand Turc : caftans du Palais de Topkapi », « D’Izmir à Smyrne, découverte d’une cité antique », « Tombes princières d’Anatolie. Alaca Hüyük au IIIe millénaire », Musée du Louvre, 75001 Paris, tél. 01 40 20 53 17, www.louvre.fr. Du 11 octobre 2009 au 18 janvier 2010.

DE BYZANCE À ISTANBUL
Commissaire générale: Nazan Ölçer, directrice du Sakip Sabanci Museum, Istanbul
Scénographe: Boris Micka
Nombre d’œuvres: 384
Budget: 3,9 millions d’euros
Nombre de salles : 9
DE BYZANCE À ISTANBUL – UN PORT POUR DEUX CONTINENTS, du 10?octobre 2009 au 25 janvier 2010, Galeries nationales du Grand Palais, 75008 Paris, tél.?01?40?13?48?00, www.rmn.fr, tlj sauf mardi 10h-20h, nocturne le mercredi jusqu’à 22h. Catalogue, éd. RMN, 384 p., 450 ill., ISBN : 978-2-7118-5625-1, 49 euros.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Les fastes de l’Orient au Grand Palais

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