Politique culturelle

Les établissements culturels autonomes une histoire ancienne

Par Arnaud Deville · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2022 - 1474 mots

Depuis la création de la bibliothèque royale, il y a près de cinq siècles, jusqu’à la transformation, le 1er janvier 2022, du Mobilier national en établissement public à caractère administratif, ce que l’on appelle aujourd’hui les opérateurs sont devenus, en France, indissociables d’une forme d’intervention de l’État dans le domaine culturel.

Cité des sciences et de l'industrie © Photo Fred Romero, 2015, CC BY 2.0.
La Cité des sciences et de l'industrie
© Photo Fred Romero, 2015

Les premiers établissements culturels nationaux ont été mis en place sous l’Ancien Régime. Au premier rang de ces institutions se trouvait la Bibliothèque royale – devenue Bibliothèque nationale de France – dont l’acte fondateur fut une ordonnance royale de 1537 rendant obligatoire le dépôt légal. Durant le règne de Louis XIV, c’est sous l’égide de Colbert que furent créées de grandes institutions comme l’Académie de peinture et de sculpture (1648), la Manufacture royale des Gobelins (1662), l’Académie de France à Rome (1666) ou le Garde-meuble (1667) – devenu aujourd’hui Mobilier national. Le règne de Louis XV vit en 1759, la transformation en Manufacture royale de la Manufacture de Sèvres ainsi que la création en 1767 de l’École royale de dessin, devenue École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad).

La Révolution et le Premier Empire sont marqués par la transformation des institutions royales en établissements nationaux : en 1791, l’Académie royale de musique devient l’Opéra de Paris. En 1793, les peintures issues des collections royales et des saisies des biens des émigrés sont présentées au « Muséum central des arts », bientôt connu sous le nom de Musée du Louvre. En 1804, un statut particulier est attribué aux comédiens français, plaçant la Comédie française « sous l’autorité expresse du gouvernement ». La Restauration, la Monarchie de Juillet et le Second Empire n’apportèrent pas de modifications fondamentales à l’organisation des institutions qui existaient déjà. On relève toutefois, en 1833, la construction d’une Galerie des batailles dans le château de Versailles afin d’installer un musée historique « dédié à toutes les gloires de France ».

L’émergence du statut d’établissement public

C’est au milieu du XIXe siècle qu’apparaissent dans le droit administratif français des entités juridiques nouvelles, distinctes de l’État. On considère alors que la gestion des services publics sera mieux assurée si elle est individualisée et assortie de l’autonomie juridique, financière et administrative. La IIIe République offre ainsi à un certain nombre d’établissements culturels des modes propres d’organisation et de fonctionnement. La Réunion des musées nationaux (RMN) est créée en 1895 avec le statut d’établissement autonome. En 1914 est mise en place une Caisse nationale des monuments historiques, un établissement public chargé de recueillir et de gérer des fonds destinés à la conservation et à l’acquisition d’immeubles ou de meubles classés – connue aujourd’hui sous le nom de Centre des monuments nationaux (CMN).

Autre argument en faveur du recours à l’établissement public, ce dernier favorise les libéralités des personnes privées. Les donateurs sont ainsi assurés que leurs donations seront bien affectées à l’établissement de leur choix et ne seront pas diluées dans le budget général de l’État. La loi de finances de 1902 crée ainsi un nouvel établissement public, le Musée Gustave-Moreau, afin de gérer les œuvres léguées à l’État par l’artiste. C’est pour les mêmes raisons que fut créé en 1918, un an après la mort du sculpteur, le Musée Rodin sous la forme d’un établissement public.

Une autonomie de gestion accrue

Après la Première Guerre mondiale, l’autonomie financière et comptable apparaît nécessaire au développement des établissements culturels. En 1921 intervient une loi essentielle pour leur financement. L’administration du Secrétariat d’État aux beaux-arts – le ministère de la Culture n’existe pas encore – est autorisée à percevoir un droit d’entrée pour la visite des monuments, musées et collections appartenant à l’État, « à l’exception des dimanches et jours fériés et des après-midi du jeudi ». Innovation majeure, le produit de ces droits doit être reversé au budget des établissements intéressés. Dès lors, il est indispensable que ces institutions soient dotées de la personnalité juridique et de l’autonomie financière : accèdent au statut d’établissements autonomes l’École nationale supérieure des beaux-arts (1926), l’Académie de France à Rome et les Manufactures (1927) ainsi que l’École nationale supérieure des arts décoratifs (1929).

Durant l’Occupation, l’action législative et réglementaire relative aux établissements culturels se poursuit, notamment dans le secteur du cinéma. C’est le régime de Vichy qui fonde l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec), devenu en 1988 la Fémis. Un Comité d’organisation de l’industrie cinématographique est créé en 1940, remplacé à la Libération par le Centre national du cinéma (CNC). En 1946 est également créée la Caisse nationale des lettres, chargée d’attribuer des secours aux écrivains et à leurs familles – aujourd’hui devenue le Centre national du livre (CNL). L’établissement public devient ainsi après la Seconde Guerre mondiale le modèle le plus répandu de gestion des services publics culturels. Teintée de technicité, l’intervention administrative exige une spécialisation et une professionnalisation accrues des gestionnaires. L’autonomie de gestion dont ils bénéficient doit également permettre d’apprécier les résultats de leur gestion, dans un contexte où l’objectif de rentabilité fait son apparition.

Les établissements culturels ont ainsi été mis en place avant même que le ministère n’ait été créé. En 1959, à l’arrivée d’André Malraux, de nombreuses institutions culturelles ont déjà été érigées en établissements publics. Le nouveau ministre ne s’intéresse que tardivement ou indirectement aux établissements publics en privilégiant le domaine du spectacle vivant. En 1968, il transforme le Théâtre national populaire (TNP) ainsi que le Théâtre de l’Odéon en établissements publics à caractère industriel et commercial (Épic). Deux décrets de 1972, dotent du même statut le Théâtre national de Strasbourg (TNS) et le Théâtre de l’Est parisien – devenu en 1988 le Théâtre de la Colline.

Au cours des années 1970, la politique culturelle est marquée par la création de nouvelles institutions nationales. En 1971 est fondé le Centre Beaubourg qui devient, en 1975, Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou. Un an plus tard, en 1976, est créée la Bibliothèque publique d’information (BPI) dont les statuts définissent des liens étroits avec le Centre Pompidou. Une ambitieuse politique du livre et de la lecture se met en place : en 1976, le Centre national des lettres est réformé tandis qu’un décret de 1977 fait de la Bibliothèque nationale un établissement public administratif (ÉPA). C’est également sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing qu’est créé en 1978 l’établissement public du Musée d’Orsay chargé d’assurer la maîtrise d’ouvrage du projet d’installation d’un musée dans les locaux de l’ancienne gare d’Orsay. En 1980 est installé le Conservatoire supérieur de musique et de danse de Lyon. En 1981, de nouveaux statuts sont conférés à l’École du Louvre – fondée en 1882 –, avant de devenir en 1997 un établissement public autonome.

L’alternance de 1981 ne marque pas de rupture dans la politique des établissements culturels. Un Centre national des arts plastiques (Cnap) est fondé en 1982. L’établissement est alors doté de vastes missions en matière d’éducation, de formation et de recherche puisqu’il assurait la gestion des écoles nationales d’art, du Mobilier et des Manufactures nationaux. La politique des grands travaux se traduit également par la création de nouveaux établissements en charge des opérations d’architecture et d’urbanisme : les établissements publics de l’Opéra Bastille et du Grand Louvre sont créés en 1983. L’établissement public du parc de la Villette fondé dès 1979 se voit chargé d’installer sur le site des abattoirs du 19e arrondissement une Cité des sciences et de l’industrie. Le site a également vocation à accueillir des équipements consacrés à la musique : le Conservatoire national supérieur de musique de Paris s’y installe en 1990, ainsi que la Cité de la musique, officiellement créée en 1995.

Une généralisation du recours aux opérateurs

La fin des années 1990 et le début des années 2000 voient la création d’un nombre important d’établissements publics. Dans le champ du patrimoine sont créés le Musée du Quai Branly (1998) et l’Institut national de recherches archéologiques préventives, Inrap (2001). Au même moment, un certain nombre d’institutions accèdent au statut d’établissements publics comme le château de Versailles (1995), le Musée d’Orsay et le Musée Guimet (2003) ainsi que la Cité de l’architecture et du patrimoine (2004). Dans le champ de l’enseignement supérieur culturel, certaines écoles se voient attribuer le statut d’établissement public (les écoles d’art de Bourges, Cergy, Dijon, Limoges, Nancy et Nice en 2002, l’école de la photographie d’Arles en 2003). En 2009, un nouvel opérateur nommé Universcience est créé, issu du rapprochement du Palais de la découverte et de la Cité des sciences et de l’industrie.

Ce mouvement de création d’établissements publics se poursuit encore aujourd’hui, avec l’émergence de trois nouveaux opérateurs en 2019 : le Centre national de la musique (CNM), le Mont Saint-Michel et l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris. Au 1er janvier 2022, le Mobilier national qui était jusqu’alors un service à compétence nationale est devenu officiellement le 76e établissement public du ministère de la Culture, démontrant ainsi que le recours aux opérateurs est devenu le procédé le plus couramment utilisé pour la gestion des services publics culturels.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°584 du 4 mars 2022, avec le titre suivant : Les établissements culturels autonomes une histoire ancienne

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