Les adieux à l’Expo.02

La Suisse tire un bilan de son exposition nationale

Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 709 mots

Si tout a commencé sur un malentendu, il semble que, à l’heure des bilans, Expo.02, l’exposition nationale suisse, remporte tous les suffrages dans le cœur des Helvètes. Des premiers visiteurs venus en sorties d’école en mai aux familles qui se pressaient en grand nombre pendant les derniers week-ends d’octobre, un habitant sur deux a visité l’exposition.

BIENNE. Avec ses quatre Arteplages à Neuchâtel, Yverdon, Bienne et Morat, Expo.02 se voulait un laboratoire éclaté d’idées et de questions, à l’image d’une Suisse qui se cherche. Au moment où, comme dans l’Europe entière, les extrémismes se réveillent et rassemblent dangereusement, les organisateurs avaient volontairement voulu éviter l’écueil du nationalisme. Pas de drapeau, pas de mise en avant des productions nationales, pas de communication autour du sponsoring, ceux-ci ont poussé leur principe à l’extrême dans une cérémonie d’ouverture détachée de toute référence au pays, alimentant une fois de plus les critiques déjà nombreuses dans tous les milieux. Pourtant – et c’est là peut-être une des forces de la Suisse –, le public ne s’est pas découragé, et 10,3 millions de visiteurs ont fait le déplacement. 90 % d’entre eux se sont déclarés satisfaits de leur visite, malgré des files d’attentes désespérantes pour pénétrer dans les pavillons (plus de deux heures sur certains sites). Là encore, une philosophie tout helvète : pas de resquillage, pas d’impatience, mais plutôt l’occasion d’échanger ses impressions avec son voisin ou de partager son pique-nique. Récemment, au cours d’une table ronde sur le thème “Expo.02 et cohésion nationale”, Martin Heller, le directeur artistique, a été publiquement critiqué pour le manque patent de volonté de favoriser les échanges entre les régions alémaniques, romandes, italiennes et romanches. Il semble pourtant que l’Expo.02 ait justement tenté de dépasser ces rivalités en employant un langage présumé universel, celui des artistes. La manifestation a voulu concilier les paradoxes de la société suisse : d’une part une tentation de repli sur elle-même, traduite par l’idée d’une exposition nationale pour le moins dépassée à l’heure de la mondialisation, d’autre part un réel élan avant-gardiste, qu’on retrouve dans l’élaboration d’un langage à plusieurs niveaux, utilisé et compréhensible par tous. Mais pourquoi, face à cette volonté de toucher le plus grand nombre, la fréquentation étrangère a-t-elle été si faible (moins de 500 000 personnes contre les 2 millions espérés) ? Si la politique de communication à l’étranger a manqué sa cible (par exemple, de très belles affiches dans le métro parisien sans information pratique), les organisateurs mettent en avant d’autres raisons, comme le franc [suisse] fort et l’introduction de l’euro, mais aussi, et c’est bien plus grave, l’image du pays à l’étranger. Là, l’exposition semble avoir réellement raté son but. Refusant avec raison une Suisse des montagnes, du chocolat, et des montres, elle n’a pas su convaincre avec une vitrine artistique, branchée et innovante. Et pourtant, il y a peut-être là une porte de sortie dans la crise identitaire que traverse le pays. Plus pragmatiquement, et passé l’analyse idéologique, Expo.02 a aussi été pour la Suisse l’occasion d’une démonstration de force technique. Les travaux de démontage ont débuté dès la fermeture, le 20 octobre, et devraient s’achever pour la plupart à l’été 2003, certaines opérations étant cependant prolongées jusqu’en 2004 (notamment à Neuchâtel). Aucun problème majeur en vue, si ce n’est la cession du matériel (après la vente en ligne, une dispersion aux enchères a eu lieu à Bienne les 17 et 18 novembre) qui n’a pas constitué de recettes significatives. Les grosses installations comme le Monolithe de Jean Nouvel à Morat ou le “Palais de l’Équilibre” à Neuchâtel n’ont pas encore trouvé preneur, mais les spéculations vont bon train. Cependant, le cahier des charges de ces constructions prévoyait une durée de vie limitée, posant ainsi la question de leur pérennité. Reste le sujet qui fâche, mais qui sera certainement le plus vite oublié, celui des finances. Avec un budget total de quelque 1,5 milliard de francs suisses (près de 1 milliard d’euros), c’est le contribuable qui, à 80 %, a financé l’exposition. Malgré de grands espoirs placés dans le sponsoring, seuls 300 millions de francs suisses ont été apportés par des fonds privés. Mais les Suisses ne semblent pas rancuniers, puisque 79 % d’entre eux souhaitent une autre exposition nationale. Toujours et encore la philosophie helvète...

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : Les adieux à l’Expo.02

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