Société

MARCHÉ DE L’ART

Le sordide business des peintures d’Adolf Hitler

NUREMBERG / ALLEMAGNE

De nombreux nostalgiques du nazisme et collectionneurs rancis veulent acquérir des peintures du jeune Hitler. Un marché qui suscite pléthore de faux.

Nuremberg. Le soufflé est retombé aussi vite qu’il était monté. La vente aux enchères le 8 février par la maison de ventes Weidler à Nuremberg (Allemagne) de cinq tableaux attribués à Adolf Hitler a tourné au fiasco. Aucune de ces peintures de paysages bucoliques, dont les mises à prix étaient comprises entre 19 000 et 45 000 euros, n’a trouvé preneur. Trois jours plus tôt, les autorités avaient saisi 63 œuvres signées « A. H. » ou « A. Hitler » en raison d’un doute sur leur authenticité. Parmi elles, 26 aquarelles, dessins et peintures devaient être mis aux enchères par Weidler qui se défend de toute irrégularité et affirme coopérer avec la police et la justice. « Nous menons une enquête au parquet de Nuremberg sur des soupçons de falsification et de tentatives de fraude, a indiqué la procureure générale Antje Gabriels-Gorsolke. S’il est prouvé que ce sont des faux, nous vérifierons qui dans la chaîne de possession savait quoi. » La plupart des experts ont salué cette initiative. « Il y a une longue tradition pour ce commerce de dévotion avec le nazisme, expliquait sur les ondes de RTL Stephan Klingen, de l’Institut central d’histoire de l’art de Munich. À chaque fois, il y a un buzz médiatique autour et les prix qu’ils obtiennent montent continuellement. C’est un peu ce qui m’énerve personnellement. » Cette spéculation pourrait toutefois ne pas durer…

Durant ses jeunes années, Adolf Hitler rêvait de devenir un grand artiste. À ceux qui lui « objectaient qu’il n’avait pas les fonds ni les relations personnelles nécessaires, il répliquait sèchement : “Makart et Rubens sont partis de rien et se sont hissés au sommet à la force du poignet” », explique l’historien Ian Kershaw dans sa biographie du Führer qui fait référence (1998-1999). À Vienne en 1907, Hitler ne parvient pas à réussir l’examen d’entrée de l’Académie des beaux-arts, laquelle lui refusera même l’année suivante de participer à son concours d’admission. Cet « échec me frappa comme un coup de foudre dans un ciel clair », expliquait dans Mein Kampf le futur dictateur. Les années suivantes, le jeune homme continua pourtant de peindre. « Hitler réalisait invariablement des copies, allant parfois chercher ses sujets dans les musées ou les galeries », raconte Ian Kershaw. Son ami Reinhold Hanisch se chargeait de vendre ses « œuvres », qui avaient pour la plupart le format d’une carte postale, en faisant la tournée des pubs viennois. Ses clients les plus réguliers étaient des marchands… juifs.

Une production abondante de copies

Personne ne connaît avec précision le nombre de toiles peintes par le fondateur du nazisme. De nombreux livres avancent le chiffre de 2 000 à 3 000 œuvres, mais cette estimation semble, aujourd’hui, bien trop élevée. Au milieu des années 1930, les archives principales du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP) ont tenté d’enregistrer toutes les images de Hitler circulant à l’époque et, si possible, de les acheter. Parmi les 50 aquarelles et dessins acquis par la formation nazie, 33 sont actuellement conservés aux Archives fédérales de Berlin. Le journaliste d’investigation néerlandais Bart FM Droog les a étudiés et a détecté au moins sept faux dans cette collection. Dès l’arrivée du chef du Parti national-socialiste au poste de chancelier du Reich, des copies ont en effet commencé à circuler sur le marché de l’art. Son ancien associé, Reinhold Hanisch, a ainsi écoulé de nombreuses œuvres qui étaient supposées avoir été réalisées par le Führer. Des peintures et des dessins exécutés entre 1900 et 1930 ont également été attribués par erreur à Hitler. Bart FM Droog a en outre révélé que deux peintres officiels du NSDAP avaient été chargés de faire des copies d’originaux présumés du dictateur afin de les offrir à des cadres du parti.

Plusieurs faussaires ont aussi compris qu’ils pouvaient gagner gros en peignant des tableaux signés « A. H. » « A. A. » ou « A. Hitler ». Le plus connu d’entre eux, Konrad Kujau, a été particulièrement actif dans ce domaine. L’auteur des prétendus « Carnets d’Hitler », qui est parvenu à les vendre 9,3 millions de Deutsche Marks (4,75 M€) au magazine allemand Stern en 1983, a peint ses premières faux à la demande d’un de ses clients. « Un jour, une personne est venue dans sa boutique pour lui demander s’il ne vendait pas des souvenirs de Hitler et il a alors commencé à faire de fausses toiles, raconte Marc-Oliver Boger, le créateur du musée consacré au faussaire allemand, le Kujau-Kabinett (Bietigheim-Bissingen). Personne ne sait précisément combien il en a fait. J’en possède personnellement cinq mais il en existe bien plus. »

Des transactions sous le manteau

La plupart des œuvres cédées dans les maisons de ventes sont authentifiées par des experts, mais, dans ce domaine également, des trafiquants en tout genre profitent de l’ignorance de certains collectionneurs. Dans son ouvrage « de référence » Hitler. Sämtliche Aufzeichnungen 1905 bis 1924 (« Hitler. Toutes les archives 1905 à 1924 »), le prétendu spécialiste August Priesack avait certifié comme originaux 76 faux peints par Konrad Kujau. Le marchand d’art autrichien Peter Jahn a, lui, délivré des centaines de certificats d’authenticité pour des tableaux du dictateur, mais ses multiples condamnations pour escroquerie laissent planer un énorme doute sur le sérieux de son travail.

Le graphologue américain Frank P. Garo est lui toujours actif sur la Toile. Un journaliste néerlandais, Jaap van den Born, a prouvé le peu de sérieux de ce pseudo-expert en lui envoyant en 2017 par courriel la photo d’un tableau représentant Vienne aux alentours des années 1900 qu’il avait signé de sa main « A. Hitler ». Après avoir reçu un virement de 45 dollars, le « spécialiste » déclara que l’œuvre était authentique.« Certains tableaux sur lesquels ont été griffonnés “A. A.” sont certifiés comme étant des peintures de Hitler, constate Marc-Oliver Boger. C’est vraiment du grand n’importe quoi. »

Ce marché continue pourtant de se développer d’année en année. « Il y a des gens dans le monde entier qui souhaitent acheter des œuvres liées à Hitler, reconnaît le fondateur du Kujau-Kabinett. On en trouve en particulier en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis et en France. Ces personnes-là ne sont pas des collectionneurs d’art mais des gens qui veulent acquérir un morceau d’Histoire. Beaucoup sont des militants d‘extrême droite. La plupart des transactions se font de surcroît sous le manteau, ce qui facilite les abus. Vous trouvez tous les deux mois sur des sites comme militaria321.com des tableaux dont la peinture est encore fraîche qui sont signés “A. A.”. »

Les montants de certaines enchères attirent aussi des personnes peu scrupuleuses à la recherche de confortables gains. En novembre 2014, une aquarelle intitulée Standesamt und Altes Rathaus Muenchen (« L’Office d’état civil et la vieille mairie de Munich »), prétendument peinte par Hitler, a été achetée 130 000 euros par un acheteur qui a souhaité rester anonyme lors d’une vente aux enchères organisée par… Weidler. Cinq autres toiles de l’ancien chef du parti nazi avaient également été attribuées ce jour-là pour des sommes comprises entre 5 000 et 80 000 euros. La même maison est parvenue à vendre l’année suivante 14 œuvres du Führer pour la modique somme de 400 000 euros. Cette flambée des prix pourrait toutefois prendre fin au fil des années.

Quel avenir pour ce marché ?

« Ce marché va cesser de croître car la fascination envers le Troisième Reich régresse au fil du temps, constate Marc-Oliver Boger. Les jeunes se moquent totalement du régime nazi. Les collectionneurs qui achètent aujourd’hui des toiles prétendument peintes par Hitler vieillissent peu à peu et il n’y aura bientôt plus que les extrémistes les plus radicaux pour vouloir acquérir de tels tableaux. » En jetant une lumière crue sur les faux qui pullulent sur ce marché, les autorités risquent aussi de décourager les amateurs. La justice n’a en effet aucune autre marge de manœuvre dans ce domaine. « Dès qu’une toile ou un objet est considéré comme de l’art, il n’est pas illégal de le vendre en Allemagne même s’il contient des symboles typiquement nazis comme des croix gammées, prévient le fondateur du Kujau-Kabinett. L’Autriche est moins permissive. » Les profiteurs, les marchands d’art et les maisons de ventes peuvent donc continuer de proposer en toute légalité des aquarelles signées Hitler. La peur d’acheter un faux et l’âge de plus en plus avancé des « collectionneurs » pourraient ainsi donner un coup de frein à la croissance de ce marché pour le moins contestable.

Les vestiges liés au IIIe Reich se vendent aussi À prix d’or  

Militaria. Les acheteurs préfèrent souvent rester anonymes. Venant des quatre coins du monde, ils sont prêts à dépenser de véritables petites fortunes pour acquérir des vestiges liés au Troisième Reich. Les articles les plus recherchés sont ceux qui ont été détenus par Adolf Hitler en personne. En mars 2016, un exemplaire du livre Mein Kampf ayant appartenu à son auteur s’est vendu pour 20 655 dollars (18 160 euros) lors d’une vente aux enchères aux États-Unis. Deux ans plus tôt, deux exemplaires rares du même ouvrage signés par Hitler avant son arrivée au pouvoir avaient trouvé preneur pour la somme de 64 850 dollars (environ 57 000 euros). Les Américains semblent particulièrement friands de ces pièces. En septembre 2013, la maison Alexander Historical Auctions a ainsi cédé pour 55 000 dollars (48 300 euros) une ancienne bague du Führer qui possédait à son sommet une croix gammée en rubis. Une épingle à cravate de Hermann Göring a, elle, été achetée 17 000 dollars (environ 15 000 euros). D’autres souvenirs pour le moins douteux comme une réplique du bâton de maréchal d’Erwin Rommel, une fourchette à dessert d’Adolf Hitler et une photo dédicacée du « docteur » d’Auschwitz Josef Mengele ainsi qu’un plan détaillé du camp de concentration de Sachsenhausen ont également trouvé preneur. Le site de vente sur la Toile eBay a, pour sa part, refusé de proposer sur sa plateforme l’ancienne Mercedes-Benz 540K Cabriolet B de Herman Goering qui avait été restaurée par la société High Velocity Classics en Floride. L’appât du gain est, heureusement, parfois moins fort que la décence.

 

Frédéric Therin

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : Le sordide business des peintures d’Adolf Hitler

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque