Le Sidaner, peinture en mineur

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 692 mots

Bien qu’elle ne soit pas associée à l’avant-garde, l’œuvre d’Henri Le Sidaner, entre impressionnisme et néo-impressionnisme, ne manque pas de charme.

L’opération est rondement menée. Plusieurs musées de la région Nord - Pas-de-Calais se sont réunis afin de proposer une rétrospective d’Henri Le Sidaner (1). Henri qui ? À en croire la plaquette qui présente l’exposition, c’est « l’un des plus grands artistes oubliés ». Il est peut-être temps que les organisateurs de manifestations artistiques et les élus cessent de les considérer comme des produits promotionnels, faute de quoi ces événements culturels risquent de perdre toute crédibilité.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Le Sidaner, né en 1862, fait ses classes dans l’atelier d’Alexandre Cabanel à l’École des beaux-arts de Paris. Pourtant, malgré ou grâce à cette formation classique, l’artiste prend ses distances et se consacre au paysage, thème qui, tout au long du XIXe siècle, permet une liberté de traitement plastique exceptionnelle : « Le paysage est la victoire de l’art moderne. Il est l’honneur de la peinture », déclarent déjà les frères Goncourt en 1855. Le Sidaner, séduit par Étaples-sur-Mer et son port de pêche, y séjourne souvent. Il peint peu de véritables marines toutefois, car chez l’artiste la nature est rarement éloignée de la culture. Ainsi, il figure de nombreux paysages urbains, tantôt ceux qui se trouvent à proximité (L’Église Saint-Michel d’Étaples, 1885, Musée des beaux-arts de Dunkerque), tantôt des réminiscences de ses voyages (Venise, Bruxelles, Bruges). Manifestement, l’importance de la lumière vibrante, captée à l’air libre, héritage impressionniste, trouvera son pendant avec l’éclairage artificiel ou le clair de lune qui illuminent d’enveloppantes atmosphères des scènes nocturnes. En réalité, les paysages de Le Sidaner, sauf exception, ne cherchent pas l’étendue panoramique, l’ouverture sur l’horizon. Ce sont davantage des visions intimistes, de proximité pourrait-on dire.

Synthèse lisse
En toute logique, le peintre va s’intéresser aux jardins, ces paysages miniatures où, aux personnages absents, se substituent une table recouverte d’une nappe, une tasse, une corbeille de fruits, une chaise légèrement décalée… (voir la très belle Table bleue, 1923, Musée du Touquet-Paris-Plage). Ces différents objets peuvent également être déplacés dans un intérieur comme dans les toiles des Nabis, Vuillard ou Vallotton (La Tasse de thé, 1923, Musée Touquet-Paris-Plage).
Tout va alors pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Oui, à condition de ne pas être un historien de l’art.

Reprenons la plaquette de l’exposition qui explique que si « l’artiste expérimente les grands mouvements artistiques initiés par ses contemporains, il s’en détourne assez rapidement ». Sans doute, mais pas tout à fait. Car, ce qui empêche de jouir tranquillement des belles images de Le Sidaner est le sentiment lancinant d’un déjà-vu. Qu’il s’agisse de la thématique qui oscille entre symbolisme et impressionnisme, de la technique picturale qui hésite entre la touche impressionniste et celle néo-impressionniste ou des « échos » en provenance de Monet ou de Bonnard, l’artiste réalise une synthèse sans aucune aspérité. Autrement dit, la « réussite » de Le Sidaner est de s’accommoder de la modernité sans être moderne lui-même.

Faut-il pour autant avoir un regard condescendant sur cette production picturale ? Nullement. Même si le nom de Le Sidaner n’est pas lié à une mise en question de l’ordre plastique, à un fait artistique sans précédent, il s’agit d’une œuvre sensible à son temps. Sans être révolutionnaire, le peintre a trouvé sa petite musique. Il aura bien sa place dans le futur musée départemental du port d’Étaples, prévu en 2015, pour les artistes de la Côte d’Opale.

Note

(1) Deux expositions viennent de s’achever au Musée des beaux-arts de Cambrai et à la Maison du Port d’Étaples-sur-Mer tandis que deux autres se poursuivent tout l’été aux musées du Touquet et de Dunkerque.

LE SIDANER

Commissaire : Yann Farinaux-Le Sidaner, arrière-petit-fils du peintre et expert de son œuvre
Nombre d’œuvres : 100

Henri Le Sidaner, ses amitiés artistiques
Jusqu’au 28 septembre, Musée du Touquet-Paris-Plage, avenue du Golf, 62520 Le Touquet, tél 03 21 05 62 62, www.letouquet-musee.com, tlj sauf mardi 10h-12h30, 14h-18h30

Années de jeunesse
Jusqu’au 28 septembre, Musée des beaux-arts de Dunkerque, place du Général-de-Gaulle, 59140 Dunkerque, tél 03 28 59 21 65, www.musees-dunkerque.eu, tlj sauf lundi 10h-12h, 14h-18h.

Légendes photos

Henri Le Sidaner, L’Église Saint-Michel d’Étaples, 1885, huile sur toile, 46,2 x 55,6 cm, Musée des Beaux-Arts, Dunkerque. © Photo : Jacques Quecq d’Henriprêt.

Henri Le Sidaner, Table bleue, Gerberoy, 1923, huile sur toile, 73,5 x 92,5 cm, collection Singer Laren.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Le Sidaner, peinture en mineur

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