Street art

Le prodige Banksy

Par Éléonore Thery · Le Journal des Arts

Le 30 septembre 2014 - 1392 mots

Roi du buzz et génie de l’autopromotion, Banksy n’est-il qu’un bon communicant ? L’artiste britannique anonyme entend dénoncer les maux de notre société, mais aussi le marché de l’art.

Il est passé par ici, il repassera par là… Souvent teintée d’humour, reconnaissable en un clin d’œil, la signature de Banksy est guettée par le monde entier, de Bristol, sa ville natale, à New York, son dernier terrain de jeu. L’artiste, dont l’identité secrète alimente les rumeurs les plus folles, a élargi son champ d’action (sculpture, installation, performance, dessin animé…) tandis que son succès ne se dément pas. Banksy a su trouver un écho populaire rapide et important, et ce sans galerie, mais grâce une machine marketing savamment huilée.

Lorsqu’il fait circuler un pachiderme repeint en rose et or dans son exposition « Barely Legal » organisée en 2006 à Los Angeles, il attire tout le show-biz, de Brad Pitt à Christina Aguilera, et vend pour plus de 3 millions de dollars. Lorsqu’il collabore avec Damien Hirst, couvrant le pochoir de sa Maid londonienne avec les spot paintings de l’artiste star, l’œuvre intitulée Keep it spotless se vend près de 2 millions de dollars chez Sotheby’s (2008). Lorsqu’en octobre 2013, Banksy fait de New York une galerie à ciel ouvert, dévoilant chaque jour une nouvelle œuvre annoncée sur Internet, les médias et la foule se jettent frénétiquement sur le jeu de piste. L’incontestable roi du buzz se bornerait-il à être un communicant de génie ? Son succès ne serait-il bâti que sur sa stratégie marketing ?

Le premier pilier du système est son identité secrète. Rester anonyme, mais vouloir rester dans la lumière des médias : le stratagème est classique et participe incontestablement à sa légende, mais la ficelle peut paraître grossière. « Moins il en dit, plus les gens inventent. Jusqu’à se demander s’il n’est pas Damien Hirst ou Paris Hilton ! Cela soulève pourtant une question importante. Par ailleurs il ne faut pas oublier le contexte de l’art urbain où tout est fait pour éviter d’être attrapé », explique la galeriste Magda Danysz.

La stratégie d’une marque
Autre élément, Banksy use et abuse des outils du publicitaire, des slogans aux images fortes, en passant par l’humour. Mais s’il utilise ce langage universel, c’est pour mieux le détourner, dans la lignée du pop art. La démarche est la même lorsque l’artiste convoque l’histoire de l’art, imaginant une Kate Moss en Marylin wharolienne ou une glaneuse sortant du cadre de Millet pour fumer une cigarette. « L’art du détournement s’intègre pleinement dans la création contemporaine », rappelle Arnaud Oliveux, spécialiste en art urbain chez Artcurial.

Plus largement, le système bien rodé de Banksy n’aurait-il pas fait de lui une marque ? « Si l’on prend la marque dans sa définition la plus large, c’est-à-dire la capacité à être reconnaissable vite, alors oui. Mais de la même façon qu’on s’est déjà demandé si Jésus était le premier publicitaire ! », s’amuse Sébastien Genty, directeur général adjoint de l’agence de communication DDB. Pour Arnaud Oliveux, répondre par l’affirmative à la question ne prive en rien Banksy du statut d’artiste, ni ne remet en question son œuvre. « Comme Jeff Koons ou Damien Hirst, Banksy est devenu une marque. Banksy a créé un produit commercial, mais la création contemporaine procède de cette façon », analyse le spécialiste. Ainsi, aujourd’hui le marketing apparaît crucial dans un marché de l’art mondialisé et financiarisé, où galeristes et artistes deviennent de véritables stars. Dans cette optique, Banksy joue un jeu nécessaire. « Cette nouvelle génération d’artistes a compris que le marketing était essentiel et les collectionneurs attendent ce plan stratégique. Il fait ce que font les autres artistes et cela n’enlève rien à l’intérêt de son travail », analyse Arnaud Oliveux. Comble de l’ironie, si Banksy utilise des méthodes et des techniques issues des communicants, l’inverse est également vrai. Sébastien Genty explique : « Dès ses débuts, Banksy a été très vite regardé par les publicitaires : il réussissait à gagner l’attention avec des moyens limités car il sortait des cadres. Le street marketing est d’ailleurs largement issu d’artistes comme Banksy. Ce n’est pas lui qui essaie d’être un publicitaire, c’est plutôt l’inverse ! »

Une rebéllion toute réfléchie
Mais Banksy ne sert-il pas au public ce qu’il a envie d’entendre ? Soit une dénonciation pêle-mêle de la guerre, du tiers-monde, des banques, de la police ou du capitalisme américain. Et le fait que l’artiste rebelle soit aujourd’hui millionnaire ne manque pas de faire peser un soupçon sur la question. Les attaques répétées contre McDonald et Disney paraissent également un peu usées. L’œuvre n’en est-elle pas parfois superficielle, du moins inégale ? « Les messages sont souvent simplistes », concède Timothée Chaillou, critique d’art et commissaire d’exposition, « mais Banksy doit être immédiatement compréhensible, cela fait partie du vocabulaire visuel du street art. Dans la rue, les images et les messages doivent être frappants, ce qui explique l’aspect direct de son langage », poursuit-il. Arnaud Oliveux précise : « Avec Disney ou McDo, Banksy a la volonté de faire des coups, mais certains sont plus subtils, comme ses jeux d’installation dans l’espace public ». Citons par exemple sa cabine téléphonique anglaise totalement déformée par un coup de pioche. « Sa force réside également dans un travail moins évident, comme le fait de s’attaquer au mur de séparation israélo-palestinien », poursuit le spécialiste, qui fait référence aux fresques réalisées en 2005, ouvrant le mur sur des pans de ciel bleu. Banksy est en définitive un artiste de son temps, qui dénonce les travers de la société. « Il interprète parfaitement notre époque et notre société », commente Romain Tichit, fondateur de Young International Artists. Et si l’artiste envoûte les uns et les autres, snobé par l’intelligentsia de l’art contemporain et jalousé par certains street artists, c’est qu’il brouille les frontières. Le trublion dynamite les codes du marché de l’art, sautant allègrement les étapes pour atteindre un écho populaire et des sommes conséquentes, le tout sans galerie. « Il casse les codes de l’artiste, du marché, de la médiatisation. Il a réussi à se transformer en chose à ne pas rater, à devenir une idole, comme Warhol avait pu l’être », commente Arnaud Oliveux.

Un artiste commercial
Si Banksy questionne tant le statut de l’artiste ou de l’œuvre d’art, c’est que le marché de l’art est le sujet même de son œuvre. « L’aspect marketing fait partie de sa démarche. Comme Damien Hirst, Banksy parle du marché en faisant le marché. L’artiste est-il une marque ? Une signature ? Un prix ? Banksy a balayé tous ces champs, c’est le sujet même de son œuvre. Il est le reflet de notre époque où l’on confond art et marché de l’art. Banksy a interrogé tout cela de façon directe et impertinente, et de façon totalement assumée », explique Magda Danysz. Si l’on s’interroge sur le marketing dans son travail, c’est que l’on confond le moyen et le sujet. N’importe qui peut déplacer les foules et s’improviser artiste à succès démontre d’ailleurs Banksy dans son documentaire Faites le mur (2010). « Il offre une belle réflexion sur le mélange dangereux entre art et marché, tout en réactivant le débat sur l’esthétique », conclut la galeriste.

Quid alors de la cote de l’artiste ? Dans quelle mesure est-elle gonflée par la machine marketing ? « Le marketing a certainement créé un engouement plus grand pour l’artiste. Un bon buzz fait grimper les prix, mais pas un buzz sans œuvre d’art derrière », répond Magda Danysz. De son côté, Timothée Chaillou est plus catégorique : « Oui, le marketing joue et beaucoup de gens l’aident », par là, il faut entendre les maisons de vente ou les art advisors. Pour Romain Tichit, le risque est là, notamment sans galerie : « Banksy est trop à la merci des acheteurs de salles de ventes, plus volatils que ceux qui achètent en galerie ». De fait, le pic remarqué en 2008, année de la vente de Keep it spotless, est quelque peu retombé. « Sa cote continuera à être forte, il s’agit de la tête de pont de l’art urbain », assure pourtant Arnaud Oliveux. « Banksy fait bouger les limites. Est-il un militant, un artiste, un communiquant ? », demande Sébastien Genty. Le trublion britannique aura sans conteste le mérite d’avoir provoqué le débat à grande échelle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°420 du 3 octobre 2014, avec le titre suivant : Le prodige Banksy

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