Le paysage n’est pas un pays sage

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2004 - 845 mots

Comment aborder la question du paysage sinon en le contemplant. Éléments de réponse cet été au Centre national d’art et du paysage de Vassivière.

Sur l’un des plus hauts points de l’île de Vassivière, à la limite entre la Haute-Vienne et la Creuse, Ilya et Emilia Kabakov ont planté Toilet on the Mountain, une pièce drôle et ironique, en réalité deux toilettes en bois, sans porte, transformées en belvédère rustique. Le point de vue y est superbe. D’abord un vaste champ de blé, rasé de frais, puis le lac, au loin ; enfin, des forêts qui rapprochent le plateau de Millevaches de certains panoramas canadiens. La terre, l’eau, le vent. Comment, d’ailleurs, aborder la question du paysage sinon, avant tout, en le contemplant ? Mais la réponse est moins pittoresque qu’il n’y paraît. Le paysage est complexe et multiple. C’est ce que montre l’exposition estivale du Centre national d’art et du paysage de Vassivière intitulée « Climats, cyclothymie des paysages ».
« En fait, explique Guy Tortosa, directeur du Centre, le paysage est à notre image : il n’est ni gai, ni triste ; ni doux, ni cruel ; ni serein, ni grave ; mais tout à la fois, comme nous. » Pas étonnant alors, si les œuvres d’une soixantaine d’artistes alternent instants d’euphorie et périodes d’apathie. Il y a des moments de bonheur tranquille, comme Le Matin et l’après-midi d’un même jour, deux séries de huit photographies d’Alain Bublex, l’une en couleur, l’autre en noir et blanc. Ou le Cube de condensation de Hans Haake, reproduction poétique d’un microclimat dans un cube de Plexiglas de 30 cm de côté, dont les faces ruissellent de gouttelettes. Le plaisir peut être intense, comme « dans » First Light, vide et plein : inversion, lumineuse installation de James Turrell.
Or, qui dit bonheur implique fatalement son contraire. Il y a comme une impression de vertige et de solitude dans Seilbahn Dolomiten, photographie d’Andreas Gursky, une minuscule cabine de téléphérique perdue dans l’immensité des cimes. Un sentiment d’inquiétude également dans l’œuvre Angst Tree, de Henrik Plenge Jakobsen, douze luminaires-boules sérigraphiés du mot Angst [« peur »] et installés dans les arbres, à deux pas du Centre, qui, la nuit tombée, embrasent les frondaisons d’une lumière ardente. Cette inquiétude peut d’ailleurs facilement tourner au malaise à la vision de la vidéo de Santiago Sierra, 3 000 trous de 180 x 70 x 70 cm chaque, cavités réalisées sur un terrain dans le sud de l’Espagne, un paysage lugubre mais ô combien évocateur.
La disparition est présente dans maintes pièces. Dans le court-métrage Trois stères avec vue, Michael Sailstorfer raconte l’histoire d’une cabane en bois, à la campagne, qui, petit à petit, se désintègre. Claire Roudenko-Bertin, elle, sublime le paysage avec Calcarea ventuosa, un chariot en fer truffé d’ampoules qui renferment une « dilution homéopathique du mont Ventoux ». On peut ainsi emporter sur soi une partie dudit paysage, voire, acte ultime, l’ingérer.
D’un groupe de photographies hétéroclites sourd la beauté. Ici une ville, Chicago, de Balthasar Burkhard. Ailleurs un cliché minuscule (5,5 x 5,4 cm) de Chrystèle Lerisse, le plateau de Millevaches sous la neige, qui côtoie un grand format (258 x 186,5 cm) de Thomas Ruff, Étoile 17 h 03/55°. Plus loin, une image de Margheritta Spiluttini, un pont de pierre en pleine montagne, interroge : on y voit l’ouvrage d’art littéralement en symbiose avec la roche, si bien qu’on a du mal à distinguer la part de l’homme de celle de la nature.
Incongru ce large panoramique de Candida Höfer, représentant la salle des coffres d’une banque ? « Pas du tout, fait observer Guy Tortosa, la forêt peut rapporter beaucoup. Voyez François Pinault, il a bâti sa fortune avec le bois, et nombre de forêts, en France, résultent de placements gérés par des fonds de pension. » « Il faut aujourd’hui sortir d’une liaison morale avec le paysage et le regarder aussi en termes d’enjeux économiques et d’intérêts planétaires », ajoute-t-il.
Trop terre-à-terre ? Alors grimpez la centaine de marches qui mènent au sommet du phare du centre d’art pour voir se dérouler, sur 360°, ce fameux « Pays de Vassivière ». Il y a le paysage tel qu’on le voit, grandeur nature. Et puis l’autre, l’indicible, à l’échelle de la mémoire. Dans l’exposition, une vidéo de Bruno Barlier, Childhood Landscape, montre un ponton sur les eaux calmes du lac. En voix off, ce qui ressemble à de rudes combats de gladiateurs. En 1951, pour créer le barrage et le lac de Vassivière, EDF a inondé les vallées de l’Ourde et de Châteauneuf… et quelques hameaux. « Le paysage est un phénomène qui laisse peu de traces », écrivait, en 1999, le même Guy Tortosa (1). Il n’avait, sans doute, pas tort.

(1) in Le Paysage : sauvegarde et création, sous la direction de Gilbert Pons, éditions Champ Vallon, 1991.

CLIMATS, CYCLOTHYMIE DES PAYSAGES

Jusqu’au 10 octobre, LemilieuCentre national d’art et du paysage, île de Vassivière, 87120 Vassivière, tél. 05 55 69 27 27, jusqu’au 30 septembre tlj 11h-19h, à partir du 1er octobre tlj sauf lundi 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°197 du 8 juillet 2004, avec le titre suivant : Le paysage n’est pas un pays sage

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