Musée

Arts d’Asie

Le musée Guimet dans la foulée du Grand Louvre

Le musée fermera de 1995 à 1997 pour un important chantier de rénovation

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 1994 - 1163 mots

PARIS

Le Musée national des arts asiatiques, plus connu sous le nom de son fondateur Émile Guimet, va connaître à son tour un important chantier de rénovation, qui entraînera la fermeture de l’établissement durant près de deux ans à partir de l’automne 1995. Conçus par les architectes Henri et Bruno Gaudin, les travaux visent à accroître les surfaces d’exposition et à améliorer le circuit de visite. Évalués à 200 millions de francs, ils seront financés par des fonds publics et du mécénat venu d’Extrême-Orient.

PARIS - Le 22 octobre 1993, au Musée Guimet, le Théâtre national du Cambodge achève une tournée en France, la première depuis soixante ans. Un public attentif et ému se presse dans l’auditorium pour découvrir une résurrection. De nombreux danseurs, des fabricants d’instruments de musique ou de masques ont disparu sous les coups des soldats de Pol Pot, décors, costumes, et manuscrits ont été détruits. Malgré l’horreur, des survivants tentent de faire revivre le Reamker, la version khmère de la grande légende indienne du Râmâyana. Cependant, à peine entrée sur scène, la troupe se trouve plongée dans un noir absolu : les "plombs" de l’auditorium sautent. Le premier musée français d’arts asiatiques – qui accueille 200 000 visiteurs par an – n’est pas digne d’accueillir les efforts du Théâtre national pour sauver sa tradition classique.

"Tous nos visiteurs asiatiques, tous nos partenaires dans ces pays, s’étonnaient qu’après les réalisations menées à Orsay et au Louvre, le Musée Guimet ne bénéficie pas à son tour d’une campagne de modernisation et de transformation digne de ses collections", constate le directeur de Guimet, Jean-François Jarrige. "Nous allons donc faire le Louvre de l’Asie. Les Asiatiques y sont très sensibles", ajoute-t-il, alors que le Metropolitan Museum of Art de New York vient d’achever la rénovation de ses galeries du sud et du sud-est de l’Asie.

Pour cet archéologue, à la tête depuis sept ans du musée place d’Iena, il était urgent d’entreprendre une rénovation globale. "Les études techniques menées par la Direction des Musées de France ont été accablantes, relève-t-il. Il y a un risque d’incendie, les collections sont mal conservées, les armoires en laque sont dans une atmosphère trop sèche ; à l’inverse l’humidité peut attaquer les bronzes, le système électrique est défaillant. Les problèmes sont trop graves pour envisager uniquement des améliorations. Les rénovations précédentes n’ont jamais été conduites à travers un programme d’ensemble, c’est ce que nous allons faire à présent."

Les travaux visent à la fois à augmenter les surfaces du musée et à améliorer le circuit de visite, en lui redonnant cohérence et lumière. Le bâtiment, inauguré en 1889 (lire notre encadré), s’est en effet largement obscurci au fil des années. Murs, cloisons, couloirs ont morcelé l’espace, et ôté toute cohérence au parcours des collections. "Le musée avait été conçu comme un triangle se développant autour d’une grande cour, qui a été transformée en salle d’exposition, tandis que peu à peu ont été construits des planchers entre cette salle et les ailes qui ont contribué à l’obscurcissement du lieu", explique Bruno Gaudin qui, avec son père Henri, a remporté le concours d’architecture lancé pour cette rénovation. "L’escalier central a été déplacé sur le côté, des espaces d’exposition temporaire ont été bricolés, le musée a été fragmenté en espaces isolés où chaque conservateur pouvait avoir son petit monde.Il faut rendre cohérence et lisibilité au musée", expliquent les Gaudin.

La salle d’art khmer, l’un des fleurons du musée, bardée depuis 1982 de poutrelles métalliques, de socles massifs, en opposition totale avec la finesse et la grâce des statues ou des vestiges, va donc retrouver sa destination première : une cour ouverte sur les autres salles. Appareillage et tubulures exubérantes vont disparaître. "La nef doit redevenir un lieu fédérant des cultures et des histoires différentes", ajoutent les architectes. Cette ouverture sera également sensible dans les étages, où actuellement les galeries japonaises et chinoises déroulent leur histoire dans une étrange solitude. "Nous voulons favoriser des effets de perspective pour attirer le visiteur vers d’autres objets", ajoute Jean-François Jarrige. Néanmoins, le directeur ne compte pas présenter les 60 000 objets que possède le musée : "nous n’avons pas la prétention d’imposer à nos visiteurs d’interminables salles, nous serons sélectifs.

Il n’est pas question d’exposer l’intégralité de nos 11 000 objets et peintures japonais, de nos 10 000 céramiques chinoises… Les peintures chinoises, les estampes japonaises seront présentées par rotation".
Le musée va gagner 4 000 mètres carrés en creusant deux sous-sols, où seront logées les réserves actuellement entreposées au troisième étage, directement sous les toits. L’actuel sous-sol sera débarrassé de ses locaux techniques pour accueillir sur 800 m2 - contre 300 actuellement - les expositions temporaires et un nouvel auditorium. Dans les hauteurs, le troisième étage sera laissé à la conservation, tandis qu’une petite salle sera aménagée dans la rotonde pour des présentations temporaires. Un escalier conduira sur les toits du musée, où sera peut-être construit un restaurant.

Enfin, l’entrée du musée - une sorte de no man’s land aujourd’hui- sera entièrement revue en "atrium", où un deuxième escalier sera créé pour faciliter la circulation du public. En revanche, le panthéon bouddhique d’Émile Guimet, ouvert il y a trois ans dans l’Hôtel d’Heidelbach voisin, sera laissé en l’état.

Plutôt que de mener les travaux durant quatre ans tout en laissant le musée ouvert, Jean-François Jarrige préfère fermer son établissement, afin de conduire le chantier plus rapidement et à moindres frais. Durant la fermeture, il compte faire connaître cette rénovation en faisant participer le musée à des expositions tant en France qu’à l’étranger (Grand Palais, "Trésors bouddhiques de Nara", 1996, "Art Khmer" 1997…). Les travaux, estimés à environ 200 millions de francs (H.T), devraient débuter à l’automne 1995, et s’achever à la fin de 1997. Ils pourraient être financés entre 20 et 30% par des fonds venus d’Extrême Orient.

Le peintre japonais, Ikuo Hirayama, recteur de l’université nationale des arts de Tokyo, a remis un don de 10 millions de francs. La Korea Foundation vient de verser 4,5 millions de francs, plus spécialement destinés à réaliser une salle entièrement consacrée à la Corée, représentée actuellement seulement par quelques vitrines, alors que le musée possède plus d’un millier de céramiques, poteries, vases-bouteilles, brûle-parfum, bouddhas, boîte en laque, paravents… A l’automne, l’ancien directeur de la Banque industrielle du Japon, Isao Masamune – surnommé le Pinay japonais, pour sa politique du yen fort – va lancer une campagne de souscription dans son pays. Elle vise à réunir 20 millions de francs destinés à la transformation des galeries japonaises.

"Nous ne recherchons pas uniquement de l’argent, affirme M. Jarrige, optimiste sur les résultats de cette campagne en dépit des difficultés de l’économie japonaise, nous voulons engager des partenaires dans des projets à long terme. Guimet doit être plus qu’un musée traditionnel, un lieu de rencontre". Mais le mécénat a ses contraintes. Il importera aux responsables du "Grand Guimet" que leur musée soit le lieu de rencontre de toute l’Asie, et pas seulement une vitrine des économies les plus puissantes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°5 du 1 juillet 1994, avec le titre suivant : Le musée Guimet dans la foulée du Grand Louvre

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