Patrimoine

Le miracle culturel du Nord-Pas-de-Calais

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 12 septembre 2012 - 1458 mots

Durement frappé par la fermeture des houillères et par la crise des industries sidérurgique et textile dans les années 1970, le Nord-Pas-de-Calais a choisi de faire de la culture un modèle, sinon un secteur prioritaire, à l’instar de la santé et de l’éducation, avec un budget en hausse constante. Résultats, la région possède un réseau de musées parmi les plus importants en France et truste chaque mois, ou presque, l’actualité culturelle : classement de son bassin minier au patrimoine mondial l’été dernier, « lille3000 Fantastic » ce mois-ci, ouverture du Louvre-Lens en décembre, obtention du label Région des musées… Enquête.

Longtemps, la région Nord-Pas-de-Calais ne fut perçue qu’au travers de son taux de chômage comptant depuis près de trente ans parmi les plus élevés de la France métropolitaine – l’an dernier, avec 12,7 % de sa population active sans emploi, elle détenait le deuxième plus fort pourcentage derrière le Languedoc-Roussillon. Longtemps encore, on n’eut de cette région que la seule vision des fermetures des mines de charbon, des usines sidérurgiques ou de textile et l’image consécutive de leurs communes sinistrées.

À Roubaix, La Piscine a lavé cette ancienne odeur de « mort »
« Votre ville sent la mort », cette phrase assassine lâchée par le président de la République François Mitterrand au maire de Roubaix André Diligent lors de son déplacement dans la ville en 1983, ils sont encore quelques-uns dans l’ancienne capitale mondiale du textile à la répéter aux visiteurs auxquels ils content sa métamorphose urbaine. Car, trente ans plus tard, Roubaix est bel et bien redevenu une ville fréquentable. L’ouverture le 20 octobre 2001 de La Piscine – Musée d’art et d’industrie André-Diligent a été l’un des curseurs de ce renversement de tendance, « le vecteur d’image du renouvellement urbain et culturel de la ville », reconnaissait, cinq ans après l’inauguration de ce musée municipal, le maire de l’époque, René Vandierendonck, sénateur du Nord depuis 2011.

Ailleurs aussi, les habitants racontent d’autres succès : à Tourcoing, à Villeneuve-d’Ascq, à Dunkerque, à Béthune, à Lewarde, à Arras et au Cateau-Cambrésis, cette ville de sept mille habitants que son Musée Matisse a sortie de l’anonymat. La culture et sa démocratisation en axe de rassemblement, de mélange des populations, de développement prioritaire d’une ville, d’un territoire, d’une région, à l’instar de la santé et de l’éducation, fut en effet un objectif que Pierre Mauroy fixa dès son élection en 1973 comme maire de Lille et député du département du Nord puis, un an plus tard, à la présidence du conseil général du Nord-Pas-de-Calais.

La culture, deuxième budget par habitant le plus élevé de France
« En plaçant la culture et l’art pour tous au cœur de la politique régionale, Pierre Mauroy a initié un mouvement de fond qui n’a cessé de s’amplifier depuis », rappelle Ivan Renar, longtemps vice-président de la Culture au conseil régional. La création en 1976 de l’Orchestre national de Lille et la nomination à sa tête de Jean-Claude Casadesus – et sa volonté d’aller au-devant des ouvriers – ont été les actes fondateurs, militants de cette politique précurseur qui entendait donner à la région, dépourvue d’établissements et d’équipements culturels, les moyens de ses ambitions. D’autant que le tissu associatif était déjà extrêmement dense et que les initiatives culturelles locales se révélaient particulièrement actives, notamment en matière de spectacle vivant. Le festival de musique de la Côte d’Opale, qui va de Berck à Dunkerque, en est le témoignage depuis sa création en 1976.

Progressivement, et à la faveur de la nomination de Jack Lang au ministère de la Culture, de la loi de décentralisation et de la création des contrats de plan État-Région qui ont donné aux élus le droit et les moyens d’investir dans la culture, un réseau de bibliothèques et de scènes nationales s’est construit sur l’ensemble du territoire. « Les musées sont arrivés après », constate Dominique Szymusiak, conservatrice du Musée Matisse depuis 1980, qui souligne tout de même l’initiative des conservateurs du Nord-Pas-de-Calais de se réunir en association dès 1975 pour imaginer, à partir de leurs collections, des expositions d’envergure. Toujours active, l’Association des conservateurs des musées du Nord-Pas-de-Calais compte pour dernier fait d’armes la manifestation « Dessiner-Tracer » qui se termine cet automne.

En trente ans, le Nord-Pas-de-Calais, avec un budget culture de 57 millions d’euros en 2010, est donc passé de la dernière place en matière d’engagements culturels au troisième rang derrière l’Île-de-France et la région Rhône-Alpes, et se positionne devant cette dernière en euros par habitant avec 14,25 euros par personne. Et le soutien apporté au spectacle vivant, aux arts visuels et aux arts plastiques ne fléchit pas. Sur la période 2004-2010, la région, à l’économie pourtant mise à mal, a augmenté son budget culturel de… 20 % (hors Louvre-Lens).

Lille 2004, une locomotive culturelle pour la région
L’organisation de grands événements culturels populaires a été tout aussi essentielle dans la dynamique culturelle de la région. La nomination de Lille comme capitale européenne de la culture pour l’année 2004 et le succès de la manifestation Lille 2004 – 750 000 visiteurs lors de la fête d’inauguration, 2 500 événements… – ont à cet égard joué un puissant levier, non seulement en termes de notoriété et de retombées économiques, aussi bien locales que régionales – Lille 2004 mobilisa, outre la métropole lilloise, nombre de villes de la région –, mais également en termes de réhabilitation de quartiers et de friches industrielles transformées en centres culturels pluridisciplinaires. Telles la gare de fret de Lille, la gare Saint-Sauveur, ou La Condition publique à Roubaix, ancienne usine de traitement et de stockage de la laine.

Le succès de Lille 2004, tant en nombre de visiteurs (9 millions) qu’en participation financière des entreprises partenaires de l’événement (13 millions d’euros, soit 17,6 % du budget global de Lille 2004, un record pour une capitale européenne de la culture), a été un formidable moteur que les éditions festives et culturelles de lille3000 – l’association née à la suite de Lille 2004 pour prendre en charge l’organisation des manifestations culturelles de la métropole comme « lille3000 Fantastic » – prolongent et entretiennent depuis dans l’agglomération lilloise. Non sans réussite également, que ce soit auprès du public, des villes partenaires (77 villes aux alentours pour l’édition 2012 de lille3000 contre 18 en 2004) ou des entreprises mécènes pourvoyeuses désormais de près de 40 % du budget.

En dépit des investissements, un complexe demeure : l’attractivité
Lentement, les élus prennent la mesure du vecteur de renouvellement d’image et de ce que la culture apporte en redynamisant une ville. « En 1990, la conservation et la valorisation de la culture minière n’étaient pas acquises. L’unanimité, aujourd’hui, est générale », note André Dubuc, responsable du Centre historique minier de Lewarde. L’annonce en juillet dernier du classement par l’Unesco du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais a d’ailleurs conforté ceux qui considèrent depuis plus de trente ans la culture comme un investissement et non comme une dépense. « Le boom culturel et économique que nous allons vivre avec ce classement sera amplifié par l’ouverture du Louvre-Lens le 4 décembre prochain », pronostique André Dubuc à l’instar de la plupart des opérateurs culturels, touristiques et économiques de la région pour qui il y aura « un avant et un après Louvre-Lens ».
De fait, il demeure encore dans les esprits, comme le constate Bruno Gaudichon, directeur de La Piscine, « une sorte de complexe, de difficulté à imaginer que la région puisse être attractive ». Le Louvre-Lens, à cet égard, devrait être une formidable opportunité de valorisation des spécificités culturelles qui distinguent le Nord-Pas-de-Calais des autres régions, ce que le dépôt cette année du label « Région des musées » par le conseil général entend valoriser davantage !

À l’étude, un TER pour relier les musées

Après avoir mis en place avec la SNCF les TER Mer et TER Vert qui visent à favoriser durant les grandes vacances scolaires l’accès aux plages ou à la campagne au plus grand nombre d’habitants du Nord-Pas-de-Calais en proposant le trajet aller-retour à 1 euro, le conseil régional réfléchit à un projet de train express régional des musées afin de faciliter les déplacements intermusées généralement compliqués, voire impossibles, en transports en commun. Plusieurs pistes sont à l’étude dont celle offrant à certaines périodes de l’année, et au fil des expositions programmées ou des musées à (re)découvrir, des trajets aller-retour à 1 euro le week-end pour les habitants de la région. Depuis plus d’une dizaine d’années, le conseil régional mène une politique active en matière de transport ferroviaire pour faciliter les déplacements. Le Nord-Pas-de-Calais est ainsi la seule région en France à disposer de TER-GV permettant, au prix d’un billet de TER, de relier Lille à Dunkerque ou Calais en trente minutes et Lille à Arras en vingt minutes.

Lapin !

Le 6 octobre, « lille3000 Fantastic », la manifestation culturelle organisée par Lille et sa métropole, réunira lors de sa parade d’ouverture Jean-Charles de Castelbajac, l’Orchestre national de Lille dirigé par Jean-Claude Casadesus, le spectacle pyrotechnique du Groupe F et les géants colorés du plasticien américain Nick Cave, dont le lapin rose, utilisé pour la campagne publicitaire, est devenu la mascotte.

2013, au tour de Dunkerque d’être capitale

Face au succès remporté en 2004 par Lille capitale européenne de la culture, la région Nord-Pas-de-Calais a développé une opération récurrente de valorisation culturelle : la capitale régionale de la culture. Une manifestation qui met à l’honneur une ville en renforçant son attractivité grâce à des événements culturels de grande ampleur. Après Valenciennes et Béthune, c’est donc au tour de Dunkerque de recevoir en 2013 ce précieux label. L’occasion pour la cité, célèbre pour son patrimoine portuaire, de démontrer la vitalité de ses institutions muséales, à l’image du LAAC et du Musée des beaux-arts qui accueilleront de grandes expositions, parallèlement à l’ouverture du nouveau Fonds régional d’art contemporain.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°650 du 1 octobre 2012, avec le titre suivant : Le miracle culturel du Nord-Pas-de-Calais

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