Le Mexique, un champ de fouilles pour plusieurs générations

Mayas, Tarasques ou Aztèques, la recherche archéologique progresse

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 9 octobre 1998 - 1958 mots

Riche de plus de 80 000 sites archéologiques, le Mexique est un vaste champ de fouilles dont les richesses semblent inépuisables. Depuis une dizaine d’années, les recherches ont continué bon train, livrant leur lot de révélations et de révisions. Elles se sont notamment dirigées vers des régions jugées jusqu’alors marginales, comme le Nord ou l’Occidente.

Régulièrement en proie à une situation économique chaotique, le Mexique semble avoir bien compris l’atout majeur que représente son patrimoine exceptionnel, dont la mise en valeur est susceptible d’attirer la foule des touristes. Aussi chaque président mexicain a-t-il à cœur de marquer son attachement à cet héritage en soutenant des projets archéologiques. En 1992, d’importants financements mexicains, mais aussi internationaux, ont permis à la recherche de progresser de façon appréciable. Mais les fonds sont d’abord affectés aux régions richement pourvues en sites monumentaux, très prisés des visiteurs étrangers. Et sur chaque site, l’étude de l’habitat ou des zones périphériques passe naturellement après celle du centre cérémoniel, préalable nécessaire à toute investigation approfondie : les inscriptions – du moins pour les peuples possédant l’écriture – permettent, grâce aux indications dynastiques qu’elles contiennent, de donner un cadre chronologique à l’étude de la cité. Malgré les avancées enregistrées ces dernières années, le travail restant à accomplir est immense. Le Mexique compte pas moins de 80 000 sites archéologiques ; encore ce chiffre est-il discuté et pourrait être revu à la hausse. “Tous les jours, on découvre de nouveaux sites”, exagère à peine Éric Taladoire, qui enseigne l’archéologie précolombienne à la Sorbonne. Il cite l’exemple de Bamalku, dans le Campeche, fouillée par les missions françaises : située à seulement deux kilomètres et demi d’une route, la cité n’a été découverte qu’il y a dix ans. Quand on sait qu’à Teotihuacán, fouillée depuis 1860 et de loin la cité précolombienne la mieux étudiée du pays, seuls 10% de la ville sont connus, on mesure l’ampleur de la tâche. De la même façon, à Calakmul (Campeche) – principale cité maya avec Tikal, au Guatemala –, le centre commence à être bien fouillé, et la sculpture est en cours d’étude. Mais ce site, découvert tardivement il est vrai, s’étend sur près de 50 km2 et comprend des milliers d’édifices. Autant dire qu’il reste de l’ouvrage pour des générations d’archéologues, qui devront également explorer plusieurs régions encore largement méconnues dont les sites n’apparaissent même pas sur les cartes : par exemple, la zone qui s’étend entre le Petén et le nord de la péninsule du Yucatán, ou encore la longue côte du Pacifique. Sans compter que chaque découverte dans une région invite à explorer sa voisine, afin de comprendre les liens qui se tissent à la fois dans l’espace et dans le temps entre les divers peuples préhispaniques. Ainsi l’exploration de la côte Pacifique du Guatemala, qui constitue incontestablement une région clé dans l’appréhension des origines de la civilisation maya, a-t-elle souligné la nécessité d’étendre les recherches aux rivages mexicains.

Le nord du Mexique, où sont localisées les traces les plus anciennes d’occupation humaine – la date de 33000 av. J.-C. est très controversée –, demeure également un vaste champ à exploiter. D’ores et déjà, sans doute sous l’effet du classement au Patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, les peintures rupestres de Basse Californie ont fait l’objet d’une étude approfondie qui a permis de les situer entre 8000 et 10000 av. J.-C. À une époque plus récente, vers 1300 de notre ère, le Nord voit le développement d’une culture originale, dite de Casas Grandes, dont l’architecture en terre crue constitue la principale caractéristique. Le site de Paquimé (Chihuahua) en offre l’ensemble le plus significatif, avec ses habitations organisées en un réseau complexe de pièces rectangulaires contiguës. À Paquimé, un musée a été ouvert pour présenter le produit des fouilles, une initiative qui reste rare car l’Inah (Instituto Nacional de Antropología e Historia) est réticent à en confier la garde aux communes concernées. Souvent pauvres, elles ne peuvent garantir qu’un gardien sera présent en permanence et régulièrement rémunéré. Si le salaire n’est plus versé, le surveillant ne vient plus et le musée se retrouve à la merci des voleurs. La prudence oblige donc à envoyer les objets dans les réserves de Mexico, au grand regret des populations locales qui leur marquent un véritable attachement.

Sacrifices humains
Hors de ces champs plus ou moins vierges, la recherche se concentre toujours sur l’exploration de sites majeurs comme Teotihuacán (Mexico) ou Chichén Itzá (Yucatán). Les investigations sur la première cité, véritable modèle pour les civilisations postérieures, ont permis d’affiner mais aussi de réviser partiellement la connaissance que l’on avait de l’organisation sociale et de la répartition du pouvoir. On sait désormais que les sacrifices humains étaient pratiqués dès la fondation de la ville, et que les castes militaires ont rapidement joué un rôle déterminant à côté des prêtres. De même, à Chichén Itzá, grâce à l’extension des fouilles aux zones périphériques, quelques certitudes ont été revues. De semblables opérations se sont déroulées dans l’importante cité toltèque de Tula (Hidalgo), permettant de dégager des rues, des patios, places, maisons, souterrains, magasins et temples, pour donner une image plus juste et plus complète de la vie sociale. Dans le nord de la péninsule du Yucatán ont par ailleurs été entreprises, depuis 1983, par des équipes de différents pays, des fouilles plus systématiques de la zone Puuc, à Uxmál, Sayil, Labna ou Kabah. Cette culture maya ne s’est développée qu’au Classique récent ; en effet, tant que l’approvisionnement en eau n’a pas été maîtrisé, l’occupation de la région a été limitée. Le développement a été rendu possible par la mise au point d’un système de citernes, départ d’une certaine prospérité qui s’est poursuivie, contrairement au reste de la zone maya, pendant une partie du Postclassique. Les constructions Puuc à l’accent fortement horizontal, composées de petites pièces juxtaposées et dont les façades sont ornées de véritables mosaïques de pierre, représentent une des manifestations les plus abouties de l’art maya.

Du côté de l’”Occidente”
Loin de l’aire maya, l’Ouest du Mexique, et plus particulièrement l’État du Michoacán, zone d’exploration traditionnellement privilégiée par la recherche française, a commencé de livrer ses secrets. Brigitte Faugère-Kalfon, enseignante à la Sorbonne qui participe à des missions dans cette zone, explique qu’”il y a vingt ans, l’Occident était encore considéré comme une région marginale, alors même qu’il a exercé une influence importante sur la formation de la Mésoamérique, grâce notamment aux migrations”. Dès 300 av. J.-C. existaient des civilisations complexes, pourvues d’une architecture monumentale sur plan circulaire, originale en Mésoamérique. Au Classique, sur ces terres semi-arides, se développent des peuples guerriers dont les sites monumentaux fortifiés étaient encore inconnus il y a quinze ans. Entre 800 et 900, à la fin du Classique, cette aire s’est considérablement dépeuplée tandis que, parallèlement, à l’est, apparaissait la civilisation toltèque, qui emprunte nombre de traits caractéristiques au centre occidental. Loin de relever d’une simple coïncidence, ces observations montrent l’importance des phénomènes migratoires dans le développement de civilisations nouvelles. Le Michoacán lui-même, dans sa partie septentrionale, a subi leur influence à la même époque : des nomades Chichimèques s’y sont installés et ont progressivement pris l’ascendant sur les peuplades locales, donnant naissance au XIIe siècle à l’empire tarasque, dont la domination devait s’étendre sur la majeure partie de l’Occident. Au moment de la Conquête, cet empire était encore en pleine ascension et se serait certainement imposé à son rival aztèque, auquel il s’était victorieusement heurté à deux reprises. En dépit de leur rivalité, les deux systèmes présentaient de fortes analogies : très hiérarchisés et dominés par une caste militaire, ils pratiquaient une politique férocement expansionniste et recouraient allègrement aux sacrifices humains. Cependant, une caractéristique majeure les distinguent : l’écriture, que les Tarasques ne pratiquaient pas. Leur histoire nous est tout de même connue grâce à un précieux recueil de témoignages, rédigé par un franciscain espagnol en 1540, la Relation du Michoacán.

Malheureusement, toute la première partie de ce récit, consacrée aux dieux et aux croyances, a été perdue, rendant très difficile sinon impossible l’interprétation de certains vestiges, les sculptures notamment. S’inscrivant dans la tradition régionale, les Tarasques ont, comme les Aztèques, bâti de spectaculaires pyramides dont la configuration est pour le moins originale. À Tzintzuntzán, dernière capitale de l’Empire et principale cité avec Ihuatzio, ont été élevées, sur une plate-forme de 75 m de long, cinq pyramides alignées surmontées de temples en matériaux périssables.

Les merveilles du Templo Mayor
La sculpture tarasque, en revanche, est relativement pauvre, contrairement à celle des Aztèques. Au cours des fouilles conduites à Mexico, sur le site du Templo Mayor de Tenochtitlán, l’antique capitale aztèque, ont été retrouvées des pièces magnifiques dont les masques en pierre dure sont certainement les plus belles. Chantier archéologique permanent, le sol de la capitale continue de livrer de somptueux vestiges d’une civilisation riche et puissante. De nombreuses offrandes ont ainsi été exhumées au cours des campagnes engagées depuis 1978 sur le centre cérémoniel. Certains de ces objets, d’origine olmèque ou de Teotihuacán, témoignent de l’attachement des Aztèques à un passé idéalisé qu’ils s’étaient efforcés retrouver en entreprenant – déjà ! – des fouilles archéologiques. Les majestueuses ruines de Teotihuacán, à quarante kilomètres seulement de Tenochtitlán, avaient par ailleurs inspiré de mythiques récits aux Aztèques, qui la considéraient comme la Cité des dieux : bâtie par des géants, elle aurait vu l’assemblée des dieux y créer le cinquième soleil. On le voit, les Européens n’ont pas été les seuls à inventer de fantaisistes légendes au contact de ruines romantiques.

Aujourd’hui, le déchiffrement des écritures préhispaniques constitue le meilleur moyen de démonter les mythes nés de la découverte des vestiges précolombiens par les hommes venus du Vieux Continent. Ces dernières années, la proportion des inscriptions mayas déchiffrées a fait un bond spectaculaire, passant de 30 à 75 %. Mais lire n’est pas comprendre, et nombre d’interprétations restent très discutées. Les complexités de l’écriture maya expliquent largement cette progression laborieuse et ces divergences : chaque signe correspond à un mot ou à une syllabe, et on en recense plus de 800. De plus, chaque mot ou syllabe peut avoir plusieurs substituts ou “allographes” (des signes graphiquement très différents mais remplissant une même fonction). Malgré ces difficultés, les chercheurs bénéficient d’un renfort de poids, puisque la langue des Mayas est encore parlée par leurs descendants actuels. Éric Taladoire se plaît à souligner que les ouvriers sur les chantiers de fouilles discutent entre eux en maya, et rappelle que le nahuatl – la langue des Aztèques – est pratiquée dans la banlieue de Mexico. La compréhension des langues anciennes du Mexique n’est que l’un des domaines dans lesquels l’anthropologie apporte un concours utile à la recherche archéologique. En effet, les populations indiennes d’origine maya – mais cela vaut pour d’autres également – possèdent le même type d’habitat, la même alimentation, cultivent les mêmes plantes, avec les mêmes outils que leurs ancêtres. Autant d’analogies qui permettent de reconstruire avec toute la prudence d’usage les modes de vie et les systèmes de pensée de cette glorieuse civilisation.

Bibliographie

- La Relation de Michoacán, présentée par J.-M.-G. Le Clézio, éd. Gallimard, 1984. - C.F. Baudez, P. Becquelin, Le Monde précolombien : Les Mayas, collection “L’univers des formes�?, éd. Gallimard, 1984. - M. Simoni-Abbat, M. et I. Bernal, Le Monde précolombien : Le Mexique, des origines aux Aztèques, “L’univers des formes�?, éd. Gallimard, 1986. - C.F. Baudez et S. Picasso, Les Cités perdues des Mayas, collection “Découvertes�?, éd. Gallimard, 1987. - É. Taladoire, B. Faugère-Kalfon, Archéologie et art précolombiens : la Mésoamérique, “Manuels de l’École du Louvre�?, éd. École du Louvre/Réunion des musées nationaux/La Documentation française, 1995. - J. Alcina Franch, L’Art précolombien, collection “Les grandes civilisations�?, éd. Citadelles-Mazenod, 1996. - M.E. Miller, L’Art précolombien : La Mésoamérique, coll. “L’univers de l’art�?, éd. Thames & Hudson, 1997.

Catalogues d’expositions

- Art précolombien du Mexique, Galeries nationales du Grand Palais, Paris, éd. RMN, 1990. - Figures de pierre, l’art du Guerrero dans le Mexique précolombien, Musée-Galerie de la Seita, Paris, 1992. - Les Mayas au pays de Copán, Centre culturel Abbaye de Daoulas, éd. Skira, 1997. - Maya, Palazzo Grassi, Venise, éd. Bompiani, 1998 (anglais et italien).

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°68 du 9 octobre 1998, avec le titre suivant : Le Mexique, un champ de fouilles pour plusieurs générations

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