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Le master Design & Culinaire, une formation bien de son époque

Par Geneviève Gallot · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2019 - 944 mots

L’École supérieure d’art et de design de Reims associe depuis deux décennies cuisiniers et designers pour une approche du matériau aliment à la fois historique, anthropologique, géopolitique et artistique.

Reims. Alors que l’alimentation constitue un enjeu majeur pour le futur, le design réinterroge le domaine à l’aune de nos besoins biologiques, culturels, sociaux et environnementaux. Comment aller vers une alimentation à la fois bonne sur le plan gustatif, saine, esthétique, conviviale et responsable ? Rappelons, en effet, que l’alimentation représente en France environ 27 % de l’empreinte carbone des ménages, ce qui la place au premier rang des émissions de gaz à effet de serre avant les transports et le logement. Des algues, des grillons, des steaks de soja ou du fromage fabriqué avec du lait d’amandes arriveront – arrivent déjà ! – dans nos assiettes ; des eaux minérales à la spiruline, dans nos verres. Mais l’essentiel, demain, sera d’avoir une conscience plus aiguë de nos choix alimentaires. Ainsi, le design appliqué à l’« objet alimentaire », expérimenté depuis une vingtaine d’années à l’Esad (École supérieure d’art et de design) de Reims, explore nos pratiques alimentaires en faisant place à l’utopie et au rêve. Germain Bourré, designer, lauréat 2019 du Grand Prix de la création de la Ville de Paris, lui-même diplômé de l’Esad de Reims et responsable du master Design & Culinaire, le souligne : « Par le biais de l’interrogation propre au design, par l’attachement au matériau et à sa mise en œuvre, le master Design & Culinaire va des nouveaux enjeux de l’agriculture à la transformation des matériaux consommables. Au même titre qu’un designer travaillant sur une chaise en bois, le designer culinaire aura une bonne connaissance de la technique de fabrication mais sans l’utiliser en permanence. Il va s’intéresser à tout le cheminement des denrées, de la semence jusqu’à l’assiette. »

Qualités plastiques et pouvoir narratif

Au sein de la cuisine pédagogique de l’école, les étudiants sont accompagnés par un chef cuisinier pour tester les découpes et les cuissons des aliments. Tout comme ils expérimentent le métal ou la céramique dans les ateliers voisins. Les cours et workshops permettent de questionner le matériau aliment au travers de multiples approches, historiques, anthropologiques, géopolitiques ou artistiques. Médium d’expression, le produit consommable voué au plaisir gustatif est aussi vecteur de lien social. Germain Bourré insiste : « Je vois d’un coup d’œil comment fonctionne la fibre végétale ou animale, dans quelle longueur la couper et comment jouer des couleurs et des formes… Les chefs parlent de produits, moi de matériaux. Cela nous fait un terrain d’entente ! » Mais sans confusion : le cuisinier aborde l’aliment par son origine, sa structure, ses propriétés gustatives, le designer voit la matière vivante, sa texture, sa couleur, sa saveur, sa fragilité… Les collaborations entre designers et cuisiniers s’enrichissent ainsi de leurs différences de perception. L’objectif pour le futur ? « Moins acheter et mieux manger ! », résume Germain Bourré.

La formation Design & Culinaire, organisée sur deux ans, en 4e et 5e année, est très exigeante et concerne moins d’une dizaine d’étudiants sur un total de 220 à l’école. Selon Julie Rothhahn, designer, diplômée de l’Esad et enseignante, « c’est une niche ! Mais il y a de très nombreuses manières d’exercer avec ce bagage. Le pouvoir narratif du design culinaire est immense ! Je collabore avec des artisans, avec l’industrie agroalimentaire, j’expérimente aussi des scénographies, des performances, pour raconter des histoires totales à partir du matériau comestible comme au Manège de Reims ou pour un dîner avec la maison Hermès à Taïwan ».

Des solutions innovantes et éthiques

Pour Camille Orlandini, 24 ans, jeune diplômée arrivée en master à Reims après avoir obtenu son diplôme national d’arts plastiques à l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne, « le designer culinaire observe et analyse tous les paramètres de la chaîne agroalimentaire. Et développe une cohérence globale sur tout ce qui touche à l’acte de se nourrir ». La designer poursuit aujourd’hui la réflexion engagée pour son diplôme autour des ressources d’un territoire. « J’interroge la relation entre le pain et la bière qui ont une histoire commune depuis l’Égypte antique.Tous deux sont issus des céréales, transformés par un processus de fermentation, tous deux sont des aliments quotidiens, populaires, très nourrissants. J’ai fait de nombreuses recherches techniques et organoleptiques, expérimenté plusieurs levains de bière pour créer un “pain de bière” en collaboration avec un maître artisan boulanger et un maître brasseur. »

Laura Spencer, 26 ans, passée par l’école « Olivier-de-Serres » (Paris), choisit quant à elle le master afin de réfléchir aux nouveaux modes d’alimentation. Avec les recherches effectuées pour son diplôme autour de la consommation de viande, elle montre que la viande est un matériau vivant : « On mange de l’énergie animale. » En observant les animaux, de la ferme à l’abattoir, et en travaillant avec un ostéopathe animalier ainsi qu’avec des bouchers, la designer constate qu’à chaque partie du corps animal correspond une énergie spécifique. « La viande éthique, ça existe ! Si l’on mange de la viande, il faut avoir conscience que c’est un aliment vivant et porter attention à la manière dont l’animal a été élevé, abattu, découpé et cuisiné. Bien sûr, il faut aussi réduire drastiquement notre consommation… » Pernelle Roux, 24 ans, le déclare d’emblée : « J’ai toujours aimé bricoler et cuisiner. » Après une formation en ébénisterie à l’École Boulle (Paris), elle s’intéresse à la matière alimentaire vivante et à sa transformation. Puis, dans le cadre du master Design & Culinaire, elle étudie les possibilités d’évolution de la matière et invente une substance composée de cire et d’argile, totalement naturelle, renouvelable, réutilisable. Des échanges gustatifs se produisent entre des contenants fabriqués avec ce matériau et leur contenu. La matière n’est plus seulement vivante, elle est aussi active.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Le master Design & Culinaire, une formation bien de son époque

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