Le Dôme qui coûte sept milliards

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 18 décembre 1998 - 875 mots

À un an de son inauguration, le très controversé Millennium Dome de la Grande-Bretagne commence à prendre forme. Sa gigantesque structure en toile est achevée, et deux de ses quatorze programmes d’animation et d’exposition ont été dévoilés. Cela n’empêche pas les critiques de fuser, notamment sur le coût faramineux du projet : 758 millions de livres sterling (environ 7 milliards de francs). Il pourrait d’ailleurs, selon la rumeur, être soumis pour la troisième fois à un examen du comité de la Culture, des Médias et des Sports de la Chambre des communes.

LONDRES (de notre correspondant) - Érigée sur un terrain vague au bord de la Tamise et traversée par le méridien de Greenwich, la structure de toile de 320 mètres de diamètre imaginée par l’agence Richard Rogers Partnership, pour le Millennium Dome, est aujourd’hui achevée. L’ouverture officielle de ce qui est annoncé comme “le projet le plus spectaculaire du monde pour célébrer le nouveau millénaire” étant fixée au 31 décembre 1999, les travaux d’aménagement des 14 “zones d’animation” viennent de démarrer.

Celle du “Corps” – sponsorisée par les pharmacies Boots – s’organisera autour de deux personnages géants tendrement enlacés, culminant à 27 mètres au-dessus du sol. L’homme n’est montré qu’à partir de la taille, afin d’éviter la question délicate de la représentation des organes génitaux. Conçu par Nigel Coates, professeur au Royal College of Art, cette installation se veut à la fois une “sculpture abstraite (sic)” et une “remarquable réalisation d’architecture moderne”, dans laquelle près de 4 000 visiteurs par heure se déplaceront, d’une manifestation à l’autre.

La zone de “l’Esprit” – financée par GEC et British Aerospace, deux entreprises qui collaborent étroitement avec les forces militaires – sera sans doute la réalisation la plus audacieuse du Dôme. À sa tête se trouve l’architecte Zaha Hadid, originaire de Bagdad, auteur du futur Contemporary Arts Center de Cincinnati et du projet avorté de la Bay Opera House de Cardiff. Disséminés au sein d’une structure de passerelles montant jusqu’au plafond, des stands s’attacheront à analyser le fonctionnement du cerveau humain, tandis que le concept de créativité sera illustré par des peintures, des sculptures, des installations et des vidéos.

Dans cette perspective, Doris Lockhart-Saatchi, ex-épouse et conseillère du collectionneur d’art Charles Saatchi, contacte actuellement certains des artistes vedettes de l’exposition “Young British Artists”. Damien Hirst aurait refusé de participer au projet, mais Gillian Wearing, lauréate du Turner Prize, a accepté de réaliser une vidéo.

Pour les douze autres zones d’animation, les choses devraient se préciser rapidement. On sait déjà que pour “l’Âme”, des organisations chrétiennes ont été sollicitées, mais peu d’entre elles ont offert des financements. Les frères Hindjua, riches marchands hindous d’Inde, ont en revanche apporté une contribution, semble-t-il de 3 millions de livres (28 millions de francs). Quant à la direction artistique et spirituelle, elle incombera à Christopher Frayling, recteur du Royal College of Art, membre de l’Arts Council et du conseil d’administration du Victoria & Albert Museum.

Coût faramineux pour un projet gigantesque
Depuis que l’idée du Dôme a été lancée, les critiques fusent de toutes parts. Sur la sellette, la teneur imprécise des expositions et des animations, la démission du gourou du design Stephen Bayley, les problèmes de partenariat dès le lancement du projet (six des quatorze manifestations cherchent encore leurs sponsors), le rôle prééminent du ministre du Commerce Peter Mandelson et les retards dans la construction des réseaux de transport. Mais surtout, c’est le coût de l’entreprise qui déchaîne les attaques, avec un total astronomique de 758 millions de livres. La Millennium Commission injecte près de 400 millions de livres, prélevés sur les 2 milliards de subventions accordés par le Lottery Fund, et nombreux sont ceux qui s’accordent à penser qu’une telle somme est démesurée pour le financement d’un unique projet.

Les détracteurs du Dôme refusent de lâcher prise et, selon la rumeur, le projet devrait être soumis pour la troisième fois à un examen du comité de la Culture, des Médias et des Sports de la Chambre des communes.

Un sport : tirer sur le Dôme
Bien que “tirer sur le Dôme” soit devenu un sport populaire en Grande-Bretagne, celui-ci prenant forme peu à peu, le moment semble plus opportun de s’interroger sur l’intérêt de l’entreprise pour les amateurs d’art et sur sa rentabilité économique.

Le spectacle vaudra-t-il la peine d’affronter la foule (45 000 personnes sont attendues chaque jour en moyenne) ? Peu d’éléments permettent de répondre avant l’ouverture, mais alors, les billets d’entrée seront difficiles à obtenir. La zone de “l’Esprit” offrira sans doute le plus d’attrait pour les amateurs d’art, mais des “centres artistiques” seront dispersés tout au long des 14 “zones” – en particulier dans celles du Corps, de la Communication, du Global, de l’Identité nationale, du Jeu, du Repos et de l’Âme.

Quant aux retombées économiques, les organisateurs comptent sur une importante participation internationale, 2,5 millions de visiteurs étrangers sur un total attendu de 12 millions. Selon la British Tourist Authority, cela devrait générer des revenus de l’ordre de 500 millions de livres (4,6 milliards de francs). Les billets d’entrée, à environ 20 livres chaque (185 francs), devraient être mis en vente dès la fin de l’été 1999, dans les kiosques de la Loterie britannique, sur réservation par téléphone ou par Internet, et avec le système “Elgar” d’Eurostar.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Le Dôme qui coûte sept milliards

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