Le design se la joue écolo

L'ŒIL

Le 20 mars 2009 - 1431 mots

Mobilier, électroménager, voiture : les nouvelles tendances du design s’inscrivent désormais moins dans la forme que dans des préoccupations environnementales. Un phénomène renforcé par la crise économique et financière. Enquête…simenc

Le design mobilier est décidément multiple. Jamais il n’a pris des formes aussi variées qu’en ce début de xxie siècle, en particulier avec une mise en lumière à l’échelle planétaire d’une branche jusqu’alors circonscrite nationalement : le design de galerie. Encore faut-il relativiser et ne pas se voiler la face, car nous nous équipons encore, en très grande majorité, à travers les circuits de grande diffusion – Ikea, Habitat, Fly… – ou les fabricants traditionnels de mobilier de style.

Malgré une certaine résistance, le mobilier actuel se développe
L’ameublement signé par des designers-vedettes, monté pourtant en mayonnaise par les magazines branchés, représente en effet moins du dixième de l’ensemble de la filière mobilière. « En France, le mobilier contemporain représente 6 % ou 7 % des ventes, estime Michel Roset, directeur général du groupe éponyme, un chiffre peu ou prou identique dans le reste du monde. » Pourquoi un tel paradoxe ? « Une raison principale à cela, indique Gérard Laizé, directeur général du VIA [Valorisation de l’innovation dans l’ameublement, cellule recherche de l’Union nationale des industries françaises de l’ameublement (UNIFA)] : le rythme est lent  ; ensuite, il existe, sur le plan culturel, une résistance naturelle à l’égard de la création contemporaine. »
Ainsi, pour affirmer leur statut social, nombre de gens passeraient d’abord par l’acquisition d’une pièce du xviiie siècle avant d’en arriver à du mobilier contemporain. « C’est ce qui a marginalisé ce “ design de signature ’’, contrairement à d’autres secteurs d’activité où la résistance est moindre, explique Gérard Laizé. Il ne viendrait, en effet, à personne l’idée de s’équiper d’un téléphone portable d’une génération antérieure  ! » Toutefois, rien ne sert de désespérer : « Le mobilier contemporain a actuellement plutôt tendance à se développer, observe, optimiste, Michel Roset. Avant, on en parlait, mais on ne se meublait pas. Maintenant, on commence à se meubler. »
Impossible, en revanche, de tenter de dégager une esthétique particulière sur la dernière décennie. Depuis l’avènement de l’outil numérique, tout est permis, ou presque. D’ailleurs, les créateurs ne s’en privent pas. Au lendemain du 11-Septembre, lors du Salon du meuble de Milan qui suivit ce sombre événement, le designer italien Fabio Novembre exhiba une série de meubles baptisée Sofa of Solitude – l’acronyme est d’autant plus explicite : SOS –, sorte de mobilier-cocon, telle une matrice originelle, à l’intérieur duquel l’utilisateur se glissait, quasiment en position du fœtus. Ce projet se voulait la métaphore d’un mobilier en prise avec son temps.
D’aucuns ont cru alors que, à l’instar de la mode, il était possible de coller davantage à l’actualité ou à l’époque. Il n’en fut rien. « Au moment des crises, les prototypes les plus étranges apparaissent, fait remarquer Michel Roset. Ils peuvent attirer l’attention et investir les premières pages des magazines, mais que reste-t-il quelques mois plus tard  ? Rien. Dès qu’ils passent l’épreuve du coût de fabrication et qu’ils se retrouvent hors des prix du marché, ils disparaissent. »

Design de galerie, de distributeur et, maintenant, de marque
Le meuble n’est pas le prêt-à-porter. Il ne peut se fondre dans les cycles très courts qui sont ceux de la mode et de ses renouvellements semestriels. En revanche, les processus de fabrication ont, eux, radicalement changé ces dix dernières années, notamment aux deux extrémités de la chaîne de production. D’un côté, avec le design de galerie, on assiste à la production de pièces assurément exclusives, car elles sont réalisées en séries extrêmement limitées. De l’autre, l’outil industriel, lui aussi, évolue à vitesse grand V. Pour Michel Roset, l’évolution récente la plus radicale concerne l’organisation industrielle : « En cinq-six ans, les méthodes de travail ont complètement changé, explique-t-il. Songez que tout client, dans le monde entier, a aujourd’hui chez nous le choix entre plus de 1 000 références de textiles et est livré huit semaines après la commande. » Bref, concilier la notion de sur-mesure avec les impératifs industriels est certainement l’une des directions fortes actuelles.
Autre tendance mise en avant au cours de cette décennie 2000 : le « design de marque ». Frédéric Beuvry, directeur du Design Corporate du Groupe Seb se souvient notamment d’un moment fort, à la fin des années 1990 : « C’est au beau milieu de cette période troublée, consécutive à l’éclatement de la bulle Internet, que Steve Jobs, patron d’Apple, a soutenu mordicus le développement de l’iPod et ce, contre les membres de son conseil d’administration. Il a tenu bon et a, au final, créé un nouveau segment de marché et renforcé la marque. »
Bref, un exemple à suivre selon Frédéric Beuvry, d’autant que dans son secteur, celui de l’électroménager, l’épisode iPod a eu lieu parallèlement à un autre événement : l’apparition des Chinois sur le marché mondial. « Leur arrivée, il y a pile dix ans, nous a fait prendre conscience qu’on avait un design de carrossage, raconte Beuvry. Résultat : qu’il s’agisse de nos propres produits, de ceux de Philips ou des produits chinois, tout se ressemblait. Nous avons alors décidé de revenir à l’origine de nos marques. L’ère n’est plus au design anonyme. » Ainsi, selon son profil, un designer externe ne peut aujourd’hui travailler que pour une seule marque du groupe. Une vingtaine d’entre eux œuvrent aujourd’hui pour le Groupe Seb et en particulier pour ses quatre griffes-phares : Tefal, Rowenta, Krups et Moulinex. Budget annuel : 6 millions d’euros (honoraires salaires réalisation des maquettes).

L’avenir : un design écologique et « humaniste » ?
Mais l’aspect formel n’est pas tout le design. L’une des questions clés est aujourd’hui de savoir comment celui-ci peut contribuer à faire évoluer les modes de vie. Tirer des plans sur la comète est l’essence même du design prospectif. À preuve, ce projet intitulé « Terroirs déterritorialisés » et dévoilé en janvier dernier, au salon Meuble Paris, par l’architecte suisse Philippe Rahm, 42 ans. Ce dernier a imaginé un cadre de vie qui inclurait des notions météorologiques habituellement réservées à l’environnement extérieur. Concrètement, un dispositif constitué notamment d’un éclairage par diodes, d’un double convecteur – chaud au sol, froid au plafond – et d’un échangeur d’air double flux métamorphoserait l’intérieur de la maison en un espace naturel. Or la nature humaine peut-elle se satisfaire de l’artifice ?
Autre tendance : celle de la cinquième et dernière édition du concours international Electrolux Design Lab qui, en 2007, a eu pour thème : « Concepts écologiques pour l’habitat de 2020 ». Le premier prix a été décerné à un lave-linge compact et étrange, dans lequel la lessive a été remplacée par des... noix ! Rien d’étonnant à cela, écologie et développement durable sont évidemment dans l’air du temps. Un exemple : du chanvre au soja, nombre de fibres végétales, de bio-matériaux ou de fibres composites à base végétale reviennent ainsi en force, portés notamment par l’arrivée de nouvelles technologies. Rappelons que l’année 2009 a été déclarée Année internationale des fibres naturelles par les Nations unies, une initiative visant en particulier « à promouvoir leur efficacité et leur durabilité ». Et l’ameublement est évidemment loin d’être en reste.
Fin janvier, le designer François Azambourg, tout juste propulsé Créateur de l’année 2009 au salon Meuble Paris, a dévoilé une étonnante collection de meubles (Lin 94), fabriquée en un composite végétal de... lin et mise au point avec la firme française Design Composites Solutions. Les performances du lin seraient identiques à celles de la fibre de verre, le poids et l’impact environnemental en moins.
On l’aura compris, les pistes à défricher sont légion. Reste que pour Gérard Laizé, les enjeux du design s’avèrent néanmoins toujours les mêmes : améliorer notre confort et notre bien-être. Or, selon lui, on ne prend pas aujourd’hui suffisamment en compte les réponses à apporter aux évolutions comportementales de nos contemporains. « Les designers devraient dépasser le côté formel du design et s’interroger davantage sur des problématiques actuelles, estime-t-il. Pourquoi, sachant que l’être humain a grandi de plusieurs centimètres ces dernières années, est-on toujours aussi serré dans un avion, en classe économique, alors que des matériaux comme les mousses à mémoire de forme permettent de réduire amplement l’épaisseur des sièges ? Quelle serait la notion de confort pour les jeunes générations, qui usent du multimédia 5 heures par jour, ou pour des personnes à la mobilité réduite ? » « Certes, convient le directeur général du VIA, ces problématiques ne sont peut-être pas glamour, mais elles sont une réalité de demain. » À bon entendeur...

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°612 du 1 avril 2009, avec le titre suivant : Le design se la joue écolo

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