Le défilé de la modernité

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 17 octobre 2012 - 1270 mots

Avec « L’impressionnisme et la mode », le Musée d’Orsay ouvre ses portes à la mode de la seconde moitié du XIXe siècle, célébrée en son temps par les peintres de la vie moderne. La scénographie se révèle très inégale.

« Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière basse de la calèche, regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis une heure, la tenait silencieuse, allongée au fond de la voiture, comme dans une chaise longue de convalescente. Elle portait, sur une robe de soie mauve, à tablier et à tunique, garnie de larges volants plissés, un petit paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve, qui lui donnait un grand air de crânerie. Ses étranges cheveux fauve pâle, dont la couleur rappelait celle du beurre fin, étaient à peine cachés par un mince chapeau orné d’une touffe de roses du Bengale. »

Héroïne tragique de La Curée d’Émile Zola (1871), Renée Béraud du Châtel épouse Saccard est l’archétype de la Parisienne qui faisait la fierté de la capitale en cette seconde moitié du XIXe siècle. Dans cette scène d’ouverture du roman, la jeune femme à la moue boudeuse prend part au défilé de mondaines en calèche dans le bois de Boulogne, l’un des rites que le Tout-Paris d’Haussmann conjuguait sur la gamme du « voir et être vu », à la faveur des nouveaux grands boulevards, des sorties à l’opéra et autres événements mondains. Naturalisme oblige, Zola décrit la tenue de la belle et, ce faisant, rend compte du phénomène de société qu’est devenue la mode sous le Second Empire. Création de revues illustrées spécialisées, perfectionnement des circuits de production et distribution, apparition des grands magasins, des maisons de couture et du concept de la griffe…, la machine s’emballe. Chaque occasion nécessite désormais sa toilette et la cliente n’a que l’embarras du choix entre le tissu, la coupe, les ajouts de manches, de nœuds, de dentelles et autres fanfreluches.
 
L’avalanche d’exemplaires de L’Art de la mode, La Mode illustrée et La Vie parisienne, d’échantillons de tissu et de gravures de mode présentés dans les premières vitrines du parcours de « L’impressionnisme et la mode », au Musée d’Orsay, à Paris, donnent le ton. En face leur répond une série époustouflante de robes d’époque prêtées par Galliera-Musée de la mode de la Ville de Paris, Les Arts décoratifs, et des collections particulières. Arrive enfin l’unique duo robe-peinture de l’exposition : Dans la serre ou Madame Bartholomé (v. 1881), par Albert Bartholomé, est présentée à côté de la robe originale du modèle (la démonstration, si elle a refusé ces mises en regard systématiques, n’aurait de toute façon pas pu trouver tous les modèles représentés). Par le simple truchement d’un léger déhanché et d’un éclairage à contre-jour, la robe apparaît plus vivante sur la toile…

L’étoffe d’un tableau
Le reste du parcours est à l’avenant. La rétine imprégnée de ces différentes étoffes confectionnées avec toujours plus de sophistication, le regard porté sur les tableaux, pour la plupart familiers, se transforme. Madame Charpentier et ses enfants (1878), scène familiale sucrée peinte par Renoir, devient un bouillonnement de soie noire. Le cadre intime de la Bouderie d’Edgar Degas  oublié, l’image n’existe plus que pour sa superposition de volants frangés et son enchevêtrement de nœuds pourpres. Et on jurerait entendre l’imposante traîne en soie de Madame Gaudibert se froisser sous le pinceau de Monet… Cette réjouissante expérience esthétique n’est-elle cependant pas un peu légère pour constituer le propos d’une exposition ? Si Guy Cogeval, le président de l’établissement, a accoutumé le public d’Orsay à de grandes expositions transversales, « L’impressionnisme et la mode » a pour premier défaut son titre, bien plus juste dans sa version anglophone (« Impressionism, Fashion and Modernity », ou « Impressionnisme, mode et modernité ») – mais ce sont là les limites du la communication, qui requiert un titre court et vendeur ! Car la sélection est élargie aux toiles de James Tissot, Jean Béraud, Carolus-Duran ou encore Alfred Stevens. Ces spécialistes de la peinture mondaine, à la légitimité artistique diverse, étaient loués par une haute bourgeoisie aimant se voir croquée sous ses meilleurs atours. Mais ils étaient simultanément critiqués pour leur recours à l’anecdote, leur tendance à inclure des personnalités identifiables, et leurs descriptions précises (et aussitôt démodées) des dernières toilettes en vogue – citons au passage Toulmouche dont la vision d’une Parisienne écervelée à souhait n’a pas trouvé grâce aux yeux des commissaires.

Le catalogue, introduction générale au sujet à défaut d’offrir une analyse poussée de chaque tableau, regroupe essais mêlant contexte historique et gender studies [« études de genre »] et veut convaincre : la mode est l’un des prismes au travers desquels l’impressionnisme doit être étudié et analysé, ce comme tous les mouvements et périodes de l’histoire de l’art. Les artistes se sont toujours servis du vêtement en tant qu’élément révélateur – du statut social, du moment de la journée, de la sphère privée ou de l’espace public… En quoi les peintres de la vie moderne se distinguent-ils ? En rompant avec le portrait d’apparat ; en insultant presque de leur touche aérienne et rapide la confection minutieuse des tenues ; en peignant des femmes et des hommes bien vivants et non des poupées costumées ; en insufflant la vie et le mouvement à la silhouette.

Le découpage du parcours est, rappelons-le, né de la vision du metteur en scène Robert Carsen (1). Or cette carte blanche alterne moments de grâce et perspectives ratées. Ainsi, le dialogue se crée entre le chef-d’œuvre de Degas Chez la modiste et le superbe ensemble d’accessoires déployés en vitrine dans l’esprit Dior – par ailleurs mécène de l’exposition avec LVMH ! À l’inverse, le « défilé de tableaux » comme la section consacrée aux sous-vêtements, un espace très étroit dans lequel tentent de se faire face Rolla (1878) d’Henri Gervex et Nana (1877) de Manet (rarement montrée à Paris), annulent toute possibilité de recul et donc d’appréciation des toiles. Ou quand les œuvres sont sacrifiées sur l’autel du dispositif scénique… Le choix du papier peint se révèle heureux lorsque celui-ci accompagne des vêtements, notamment la vitrine de la panoplie masculine, mais les tableaux n’en sont pas pour autant mieux mis en valeur. Enfin, la dernière grande salle consacrée à la peinture de plein air, conçue comme une apothéose, n’est pas à la hauteur des espérances. Écrasés par une lumière blafarde, le bleu brillant des cimaises et le vert d’un gazon synthétique qui accroche le pied, les tableaux n’ont – un comble pour un espace aussi grand ! – pas de place pour exister. Amorcé dans une belle ambiance feutrée, ce parcours original aurait pu ne pas s’achever sur une telle faute de goût.

Notes

Pour en savoir plus sur Robert Carson voir l'article « Du sur-mesure pour le projet » du JdA n°375, 21 septembre 2012.



L’IMPRESSIONNISME ET LA MODE Jusqu’au 20 janvier 2013, Musée d’Orsay, 1, rue de la Légion-d’Honneur, 75007 Paris, tél. 01 40 49 48 14, www.musee-orsay.fr, tlj sauf lundi 9h30-18h, 9h30-21h45 le jeudi.

Catalogue, coéd. Musée d’Orsay/Skira Flammarion, 320 p., 45 €.

- Commissaires : Gloria Groom, conservatrice à l’Art Institute de Chicago ; Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie ; Philippe Thiébaut, conservateur général au Musée d’Orsay ; Susan Stein, conservatrice au Metropolitan Museum of Art, New York

- Scénographie : Robert Carsen ; metteur en scène : Nathalie Crinière, Agence NC

- Itinérance : The Metropolitan Museum of Art, New York, 26 février 2013-27 mai 2013 ; The Art Institute, Chicago, 26 juin 2013-22 septembre 2013

Voir la fiche de l'exposition : L'impressionnisme et la mode, une histoire de goût

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°377 du 19 octobre 2012, avec le titre suivant : Le défilé de la modernité

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