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Chronique - Musées

Le cas Ruf, révélateur d’un « écosystème »

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 15 novembre 2017 - 600 mots

AMSTERDAM / PAYS-BAS

L’affaire « Beatrix Ruf », qui a vu la directrice du Stedelijk Museum démissionner soudainement de ses fonctions après avoir été soupçonnée de conflit d’intérêts, est révélatrice d’une dérive du pouvoir dans un « écosystème » de l’art, entraînant des musées à des relations pernicieuses avec le marché et des collectionneurs investisseurs.

Lorsque, en 2014, cette historienne de l’art, d’origine allemande, avait été choisie pour ce poste à Amsterdam, nul n’ignorait qu’elle menait, à côté, de ses brillantes responsabilités institutionnelles – elle a été une directrice remarquée de la Kunsthalle [centre d’art contemporain] de Zurich – moult activités privées. Elle était même louée pour cette énergie : conseillère de la Fondation Luma fondée par Maja Hoffmann et de la compagnie Swiss Re, éditrice associée des éditions JRP|Ringier et directrice de la collection d’œuvres d’art Michael Ringier, jurée du Turner Prize et de bien d’autres prix ou commissions… L’an dernier, le magazine ArtReview l’avait sacrée à la 11e place du classement des 100 personnalités les plus influentes du monde l’art, devant le directeur du MoMA de New York, Glenn D. Lowry. Elle vient de chuter à la 29e place. Par sa capacité, sa force de travail, l’omniprésente était devenue l’incontournable. Ainsi, elle contribuait à l’attribution de récompenses à des artistes dont les œuvres étaient ensuite exposées dans des musées, avant d’être acquises, par l’intermédiaire de galeries, par des collectionneurs qui les prêtaient ou les donnaient à d’autres musées, en manque de moyens financiers et enchantés de l’aubaine. Nul n’y trouvait à redire, il s’agissait seulement d’un échange de bons procédés ; de conflit d’intérêts, personne n’osait l’imaginer. En 2014, le président du conseil de surveillance du Stedelijk Museum avait indiqué que Beatrix Ruf « poursuivrait ses activités secondaires à condition de le faire pendant son temps libre et en ne nuisant pas à son travail de directrice ».

Une activité de conseil passée sous silence
Dans ce milieu policé, cette forte personnalité est allée néanmoins trop loin en développant une agence privée de conseil, Currentmatters, domiciliée en Suisse. Celle-ci a déclaré 437 306 euros de bénéfices en 2015, première année pleine du mandat de Beatrix Ruf à Amsterdam ! Cette activité n’est pas mentionnée dans le rapport annuel du musée, comme le sont les vingt autres activités périphériques de la directrice, a déploré un rapport de la Chambre de commerce d’Amsterdam, s’interrogeant à la fois sur la capacité de Beatrix Ruf à être directrice du Stedelijk Museum à plein-temps et sur la légalité de ce double emploi.

L’ex-directrice a dû affronter deux autres assauts. Une prétendue « donation » – Thomas Borgmann, 600 œuvres – qui s’est révélée n’être que partielle, le Stedelijk Museum ayant dû acquérir certaines pièces pour un total de 1,5 million d’euros et s’engager à verser 250 000 euros d’indemnités si l’ensemble n’était pas exposé et si un catalogue n’était pas publié. Par ailleurs, la grande négligence de l’institution a été rendue manifeste face à un faux « Mondrian », dont Beatrix Ruf avait obtenu le prêt par un collectionneur suisse. L’examen très rapide du tableau par le Stedelijk a démontré combien celui-ci fuyait ses responsabilités, affirmant : « Ce n’est pas le rôle d’un musée de déterminer l’authenticité d’une œuvre d’art. »

Espérons que le cas Ruf soit extrême. Mais les musées publics, pris en tenaille entre réduction des subventions, concurrence des fondations privées et besoin d’être actifs au sein d’une scène artistique contemporaine prise de vertige, feraient bien d’être vigilants. À eux de clarifier leur éthique, de circonscrire l’entre-soi et de faire respecter un code de déontologie. « Ruf », en allemand, ne signifie-t-il pas « réputation » ?

Légende photo

Beatrix Ruf © Photo Pure Media HD - 2015 | Licence CC BY-SA 3.0

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°489 du 17 novembre 2017, avec le titre suivant : Le cas Ruf, révélateur d’un « écosystème »

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