Les tendances du marché

Le calme après la tempête ?

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2010 - 1583 mots

Analyse des tendances de six grandes spécialités du marché à la lumière des résultats enregistrés en 2009. Qualité et rareté sont plus que jamais recherchées par les amateurs

Tableaux anciens : Une valeur sûre
« Le marché des tableaux anciens n’a pas connu, en 2009, les chutes de prix qui ont touché les domaines les plus spéculatifs du marché de l’art », indique Cécile Bernard, directrice du département de Christie’s France. « Ce secteur est fort et stable. Nous n’avons pas eu besoin de baisser nos estimations, comme pour l’art moderne et contemporain », confirme Nicolas Joly, spécialiste international chez Sotheby’s. Selon Elvire de Maintenant, spécialiste chez Christie’s, « les œuvres les plus prestigieuses, à la provenance et à l’état impeccables, continuent de voir leur valeur monter. De nouveaux acheteurs, attirés sans doute tant par le placement que constituent ces œuvres que par leur intérêt culturel et historique, enchérissent désormais contre les clients traditionnels restés actifs ».

À Londres chez Christie’s, un Portrait d’un homme, à mi-corps, mains sur les hanches (1658) signé Rembrandt a été adjugé 20,2 millions de livres sterling (22,3 millions d’euros), soit non seulement un record pour l’artiste, mais aussi une des plus hautes enchères pour une peinture ancienne en vente publique. Toujours à Londres, Sotheby’s a établi un record pour une peinture d’Anthony Van Dyck figurant un autoportrait de l’artiste, vendue 8,3 millions de livres sterling (9,2 millions d’euros). La place parisienne a enregistré, l’an passé, quelques belles performances, à l’instar d’une huile sur toile de Jacob Jordaens, partie pour 1,7 million d’euros à Drouot ; d’une Allégorie de la poésie (vers 1642) d’Eustache Le Sueur et d’Adam et Eve (1720) de François Le Moyne, vendus aux prix records de 1,3 million d’euros, respectivement chez Christie’s et Sotheby’s.

Arts premiers : Un marché soutenu
Avec plus de 18 millions d’euros de ventes d’art africain et océanien à Paris en 2009 (un chiffre légèrement supérieur à 2008), le marché des arts premiers demeure particulièrement soutenu pour les œuvres rares et de qualité. Sotheby’s France s’impose comme le leader international dans ce secteur depuis plusieurs années. Avec 25 % de lots en moins l’an dernier à Paris, la maison de ventes, toujours plus sélective, maintient ses 12 millions d’euros de produit de ventes qu’elle avait obtenus en 2008.

New York reste une place de marché secondaire pour l’art tribal, alimenté par les collections américaines : 10,6 millions de dollars (7,8 millions d’euros) de recette en 2009 en deux vacations chez Sotheby’s. Moins forte dans cette spécialité qu’elle ne développe d’ailleurs qu’à Paris, Christie’s a enregistré un résultat de 4,3 millions d’euros en progression, auréolé d’une enchère d’un million d’euros pour une rare et ancienne figure d’ancêtre royal masculin Bangwa du Cameroun. Mais le clou de l’année est revenu à un exceptionnel masque Bamana de la société du Kònò, présenté chez Sotheby’s à Paris et disputé jusqu’à 1,4 million d’euros, soit un record mondial pour un masque de l’Afrique de l’Ouest et la plus haute enchère mondiale en art tribal en 2009. Par ses formes épurées et son esthétique universelle, cet objet a séduit un public international qui dépassait largement le cercle des amateurs d’arts premiers.

Mobilier et objets d’art : Belle reprise au second semestre
Secteur traditionnel du marché français, le domaine du mobilier XVIIIe et des objets d’art a su tirer son épingle du jeu en 2009, en étant animé par la mise sur le marché de pièces sortant du lot, malgré une désaffection pour les œuvres moyennes ou courantes. « Les ventes en 2009 ont montré que ce secteur suscitait encore pleinement l’engouement des collectionneurs les plus exigeants, dès lors que des lots de grande qualité leur sont proposés », souligne Brice Foisil, directeur du département chez Sotheby’s France. Avec la crise, « on a observé un comportement plus frileux de la part des vendeurs, à Paris comme à l’étranger, note Adrien Meyer, son homologue chez Christie’s. Cela a entraîné une baisse du volume mais, combiné à une demande stable tout au long de 2009, un maintien des prix rassurants ».

Outre la vente de la collection Saint Laurent-Bergé qui a rapporté en février dernier plus de 40 millions d’euros de pièces d’orfèvrerie, de sculptures et objets d’art, le premier semestre a tourné au ralenti. À l’attentisme et la pénurie des premiers mois a succédé un second semestre exceptionnel, avec des vendeurs plus confiants et des acheteurs plus à l’aise financièrement. Des prix sans précédent ont ainsi été réalisés en novembre et décembre : 4,5 millions de livres sterling (5 millions d’euros) pour un cabinet Cucci d’époque Louis XIV à Londres chez Christie’s ; 1,6 million d’euros pour une commode d’époque Louis XV estampillée Joseph à Drouot…

Art déco : Ruhlmann superstar
Comme pour d’autres secteurs, l’Art déco a été porté en 2009 par la collection Saint Laurent-Bergé, avec l’enchère mémorable de 21,9 millions d’euros pour le fauteuil aux dragons d’Eileen Gray. En 1971, la galeriste parisienne Cheska Vallois l’avait vendu autour de 15 000 francs… La griffe d’Yves Saint Laurent a aussi hissé les prix des pièces décoratives d’Albert Cheuret. Hormis cette dispersion atypique, le marché a pâti de la frilosité des Américains durant les six premiers mois de l’année et de la réticence générale des vendeurs. La spécialité a toutefois recouvré des couleurs lors des ventes automnales. Sotheby’s a ainsi enregistré des prix coquets, notamment celui de 588 750 euros déboursé par la galerie Arc en Seine pour un lustre de Giacometti le 25 novembre à Paris. Le lendemain, Christie’s totalisait pour sa part 1,5 million d’euros pour un ensemble que Jacques-Émile Ruhlmann avait réalisé pour l’appartement parisien de lord Rothermere. Une suspension a alors atteint 313 000 euros.

Le décorateur reste une superstar puisque, le 4 juin à Paris, 504 750 euros avaient été déboursés pour un piano chez Sotheby’s. « Ruhlmann est une valeur sûre, même en temps de crise. De nouveaux clients ont émergé, et pour eux c’est la référence la plus assise », observe l’expert Jean-Marcel Camard. Spécialiste chez Sotheby’s, Cécile Verdier constate l’arrivée de nouveaux acheteurs russes et d’une petite poignée très active de Chinois. Le piano de Ruhlmann a été acquis par un Asiatique.

Art contemporain : Un parfum conservateur
D’après l’agence Bloomberg, le volume total des ventes du soir d’art contemporain de Christie’s et Sotheby’s a baissé de 75 % en 2009. Les prix de certaines œuvres d’artistes spéculatifs comme Damien Hirst ont, eux, chuté de 50 %. « On revient aux chiffres de 2005 », observe Florence de Botton, spécialiste chez Christie’s. Si, à la foire de Bâle comme à celle de Miami, les transactions franchissant la barre du million de dollars étaient fréquentes avant la crise, la moyenne des affaires a difficilement dépassé les 200 000 dollars. Restent quelques surprises comme l’adjudication de 200 One Dollar Bills d’Andy Warhol pour 43,8 millions de dollars (29,2 millions d’euros) chez Sotheby’s, en novembre à New York, ou l’enchaînement de gros prix pour l’Écossais Peter Doig. À noter que le premier appartient désormais à l’histoire de l’art, tandis que le second est un peintre plutôt traditionnel. Ce parfum conservateur était aussi palpable sur les salons.

L’année a, par ailleurs, été marquée par quelques ventes forcées, comme celle du financier Ezra Merkin qui a dû céder sa collection, notamment de Rothko, pour 310 millions de dollars (222 millions d’euros) en juillet dernier. Malgré tout, les meilleurs résultats constatés en fin d’année ont suffi à susciter un optimisme tempéré. « La période difficile a été plus courte que prévue », remarque Grégoire Billault, spécialiste chez Sotheby’s. Celui-ci prédit de plus grands volumes de ventes l’an prochain. La vente du soir prévue par l’auctioneer en février, à Londres, semble lui donner raison. Fort de la collection Lenz Schönberg, estimée à 12 millions de livres sterling (13,4 millions d’euros), et d’un ensemble de pièces diverses autour de 23 millions de livres (25,6 millions d’euros), Sotheby’s pourrait doubler le maigre résultat de 17,8 millions de livres (19,9 millions d’euros) enregistré en février 2009.

Tableaux modernes : Navigation à vue
Les résultats de l’année 2009 en art moderne reposent principalement sur la manne de la vente de la collection Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, qui a généré sept records chez Christie’s en février, à Paris. Acheté par le courtier Franck Giraud, le tableau très décoratif Les Coucous, tapis bleu et rose de Matisse a atteint le record de 35,9 millions d’euros. Le Louvre-Abou Dhabi s’est porté acquéreur d’un Mondrian pour 21,56 millions d’euros. En revanche, la composition cubiste de Picasso est restée sur la touche, suite à une estimation trop coquette de 25 millions d’euros. Hors cette manne providentielle, les maisons ont peiné pour monter leurs ventes, même si l’art moderne apparaît comme une valeur refuge en temps de crise.

« C’était une année difficile, de repli. D’un côté, il y avait une impossibilité de vendre des choses médiocres, de l’autre une obligation de performance pour les choses importantes », confie Thomas Seydoux, spécialiste chez Christie’s. Et d’ajouter : « La vente Saint Laurent-Bergé   n’a pas amené d’autres affaires. Les gens se sont dit que ces prix-là ne les concernaient pas. » Pour Samuel Valette, spécialiste chez Sotheby’s, « au fur et à mesure de l’année, les acheteurs ont repris confiance, ce qui en a aussi donné aux vendeurs ». De fait, l’auctioneer a vendu en novembre, à New York, sept toiles de la collection Durand-Ruel pour un total de 18,9 millions de dollars (12,8 millions d’euros). Malgré tout, les acteurs du marché continuent de naviguer à vue.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Le calme après la tempête ?

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