L’atelier de Bacon réservait encore des surprises : entretien avec Brian Clarke

Un entretien avec Brian Clarke, le nouvel exécuteur testamentaire de la succession du peintre

Le Journal des Arts

Le 30 avril 1999 - 1234 mots

La Haute Cour britannique a nommé Brian Clarke unique exécuteur testamentaire de la succession Bacon. Reconnu internationalement, cet artiste a produit de nombreux dessins pour des vitraux, des tapisseries et des céramiques, et a travaillé avec les plus grands architectes, tels Norman Foster, Arata Isozaki, Zaha Hadid... Brian Clarke nous a accordé son premier entretien depuis sa nomination.

Quelle est la situation de la succession Bacon ?
Juste avant Noël, la Haute Cour à Londres m’a nommé à la tête de la succession à la place des exécuteurs testamentaires. Le Dr Paul Brass, qui a été le médecin de Francis, avait très bien rempli ses fonctions, mais le volume de travail avait fini par le submerger, et surtout, il n’était pas familier du monde de l’art. Quant à Valerie Beston, elle se trouvait au centre d’un conflit d’intérêts puisqu’elle est directrice de la Marlborough Gallery. La cour m’a alors désigné à l’unanimité sole executor and personal representative de la succession Bacon.

Pourquoi vous avoir choisi ?
Je connaissais Francis depuis la fin des années soixante-dix et je suis un ami de longue date de John Edwards [l’unique légataire de Bacon]. À la demande de ce dernier, on m’a donné un mandat pour une durée indéterminée et j’ai accepté de m’occuper de la succession. Cette décision, prise à l’unanimité par les avocats et par John Edwards lui-même, est intervenue au moment où il fallait absolument que quelqu’un d’autre reprenne les rênes.

Que signifie le terme de personal representative ?
Le personal representative reçoit de la Haute Cour la même autorité sur les biens que celle dont disposait Francis Bacon de son vivant. Désormais, en tant qu’exécuteur, j’ai toute l’autorité nécessaire pour administrer la succession.

Quel était l’état de la succession lorsque vous êtes arrivé ?
Je pensais qu’il s’agissait simplement de résoudre un certain nombre de problèmes et que tout rentrerait rapidement dans l’ordre. Mais j’ai vite réalisé que les choses étaient bien plus compliquées que je l’avais imaginé. D’abord, la succession comprend beaucoup plus de peintures qu’on le croit généralement. Et nous avons encore retrouvé dans l’atelier des dessins des années cinquante. Depuis la mort de Francis, j’y étais pourtant allé une centaine de fois, mais sans les remarquer, et John Edwards ne les avait pas vus non plus.

Où étaient-ils ?
Un véritable chaos régnait dans l’atelier et personne ne voulait toucher à rien avant que la Hugh Lane Gallery (qui en est maintenant propriétaire) vienne faire l’inventaire. Nous les avons découvert quand tout a été démantelé, section par section, pièce par pièce. Une ou deux œuvres inconnues ont aussi été retrouvées ailleurs, dans des coins – des peintures que la Marlborough Gallery n’avait jamais vues et dont John Edwards ignorait l’existence. L’ensemble des œuvres de la succession constitue la plus importante collection de Bacon au monde, et elle renferme d’incontestables chefs-d’œuvre.

Avez-vous eu des problèmes pour récupérer certaines œuvres ?
Je ne peux pas répondre à cette question. Mais des avocats travaillant dans différents pays sont en train de rassembler les pièces d’un dossier qui devrait être très prochainement porté devant la justice. La presse semble sous-entendre que nous avons l’intention d’attaquer Barry Joule [ami et homme à tout faire de Francis Bacon, l’artiste lui aurait donné de nombreuses œuvres sur papier dont Joule souhaitait faire don à la Tate Gallery]. Je peux aujourd’hui vous assurer qu’il n’en est rien. J’ai avec lui des contacts tout à fait cordiaux, et nous voulons tous les deux ce qui sera le mieux pour Francis. J’accepte l’assurance que m’a donnée Barry Joule : sa seule intention est de défendre Francis, à la fois en protégeant sa réputation et en faisant connaître son travail à travers cette collection. Les avocats de la succession négocient désormais avec lui à l’amiable.

Le testament de Francis Bacon était pourtant simple. N’a-t-il pas tout légué à son ami John Edwards ?
Ses volontés étaient effectivement très claires : John Edwards devait hériter de tout. Il est maintenant de mon ressort de m’assurer qu’il en est bien ainsi. Les complications actuelles ont nécessité l’embauche de professionnels – des marchands, avocats et administrateurs qui connaissent parfaitement le monde de l’art – et j’ai choisi les avocats, le comptable et les marchands, à la fois pour John Edwards et pour la succession.

Depuis avril, Tony Shafrazi à New York est le marchand de la succession. Pourquoi l’avez-vous choisi ?
Tony Shafrazi est mon marchand depuis plusieurs années. J’ai eu de nombreuses expériences avec les galeristes et, ces cinq dernières années, Tony Shafrazi a géré des millions de dollars pour mon compte. Le connaissant de longue date et ayant avec lui d’excellentes relations d’affaires, je savais qu’il s’agissait d’une personne digne de confiance. Tony a la réputation, tout à fait méritée, d’être un marchand honnête. Parmi les galeries considérées comme fiables qui nous ont approchés certaines avaient un passé trouble. Nous en avons passé en revue une vingtaine, et Tony remplissait tous les critères requis. Il était essentiel d’exposer à nouveau Bacon – mais pas dans le milieu bourgeois des collectionneurs new-yorkais, il suffit pour cela d’organiser un cocktail sur Park Avenue. Je voulais que les Américains prennent conscience du travail de Francis, que les jeunes avec leurs casquettes et leurs planches à roulettes entrent dans la galerie. Aucun marchand n’est davantage en adéquation avec la culture des jeunes que Tony Shafrazi. Il a aussi de nombreux liens avec l’Angleterre. Il a été étudiant au Royal College. Depuis vingt ans que je le connais, il a exprimé des milliers de fois sa passion pour Bacon. Nous savions que Tony se surpasserait parce qu’il y croit. Nous savions également qu’il ne le ferait pas seulement pour l’argent. C’était très important, car nous ne garantissions absolument pas de mettre des œuvres en vente.

Des œuvres de la succession Bacon ont-elles été vendues au cours de l’exposition en octobre dernier chez Tony Shafrazi ?
Nous en avons vendu quelques-unes, mais aucune n’appartenait aux œuvres majeures exposées. Il est facile de vendre un Bacon, et sans grand tapage médiatique. La succession a été homologuée, elle a payé tous ses impôts et n’a pas besoin de recueillir des fonds. Nous nous séparerons certainement de certaines pièces au fil du temps, mais nous ne prévoyons aucune grosse vente, ni même de petite vente. Nous avons pris conscience que les œuvres de la succession, dont beaucoup n’ont jamais été vues, devaient être exposées ensemble. Savez-vous qu’en octobre, nous avons eu de deux à trois mille visiteurs par jour pour l’exposition, dont beaucoup d’enfants et d’étudiants ? David Sylvester a dit que c’était l’une des plus belles expositions de peinture qu’il avait vues, et probablement la meilleure de Bacon.

Quels sont vos projets pour la succession ?
Pour le moment, nous nous efforçons de résoudre les litiges juridiques, mais un programme est en train d’être établi, principalement avec des musées. Nous avons déjà prêté un triptyque pour une exposition à Yale ; deux Popes sont à San Diego ; nous préparons actuellement des expositions en France et en Suisse, et il y en aura certainement une en juin chez Faggionato Fine Art, à Londres. Gerard Faggionato a longtemps collaboré avec Francis Bacon ; il possède déjà une douzaine de tableaux et a une culture encyclopédique de Bacon.

Recevez-vous un salaire pour votre travail à la tête de la succession ?
Non, aucun. Je le fais par amour. Même si c’est gênant à dire, je gagne beaucoup d’argent grâce à mon propre travail.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°82 du 30 avril 1999, avec le titre suivant : L’atelier de Bacon réservait encore des surprises : entretien avec Brian Clarke

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