Arts premiers

L’art océanien, plus rare et cher

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 2 septembre 2008 - 958 mots

La pénurie de sculptures majeures pousse la cote des objets ethnographiques dont les plus beaux spécimens deviennent de moins en moins abordables.

Le monde océanien, continent d’eau aux chapelets d’îles associé à la navigation, fait rêver. Les masques, statues, parures et beaucoup d’objets ethnographiques travaillés avec de belles matières (essentiellement bois et coquillages et parfois écailles de tortue et dents de requin) n’ont pas la même intériorité que les objets africains liés à la terre et attirent pour cela des collectionneurs », rapporte Jean-Édouard Carlier, de la galerie parisienne Voyageurs et Curieux. Parce qu’elles apportent un éclairage important sur les différentes cultures des sociétés du Pacifique (polynésiennes, mélanésiennes ou micronésiennes, sans oublier celle de l’île de Pâques), les expositions muséales attirent un nombreux public et suscitent des vocations de collections. Certes, les expositions « Polynésie Arts et divinités 1760-1860 », au Musée du quai Branly, à Paris (jusqu’au 14 septembre), et « L’Art ancestral des îles Marquises » au Musée des beaux-arts de Chartres (jusqu’au 28 septembre) donnent envie de posséder ces objets. Mais, l’apparition trop rare sur le marché de belles et anciennes pièces océaniennes est assez décourageante pour les amateurs. L’un des chefs-d’œuvre de l’exposition « Nouvelle-Irlande, art du Pacifique sud », présenté au Musée du quai Branly du 3 avril au 8 juillet 2007, était une grande statue Uli de Nouvelle-Irlande, de 150 cm, datant de la fin XVIIIe-début XIXe siècle. Elle avait été collectée par l’administrateur colonial allemand Franz Boluminski en 1908, puis avait fait partie des anciennes collections Museum für Völkerkunde de Leipzig. Elle est entrée dans les collections du musée en 1999 grâce au marchand parisien Alain Schoffel, contre une somme avoisinant les 2,8 millions d’euros. Selon le catalogue de l’exposition, seulement 255 Uli sont recensés dans les collections publiques et privées. Aux dires des spécialistes, le Uli du Musée du quai Branly vaudrait aujourd’hui près de 4 millions d’euros sur le marché. « Très peu de beaux objets océaniens passent en vente publique. Comme ils sont rares, ils deviennent très chers et tendent à rejoindre en valeur l’art africain », observe l’expert parisien André Schoeller. Plus un objet océanien est ancien, plus sa cote grimpe. Les premières expéditions dans ces régions remontant au XVIIIe siècle, un pedigree liant un objet à un navigateur de cette époque augmente considérablement la valeur de l’objet. Les collectionneurs recherchent de beaux objets précontacts. Aussi, les pièces datées après 1930 ne présentent-elles pas d’intérêt pour le marché. Le 11 juin 2008, à Paris, chez Sotheby’s, plusieurs lots d’Océanie ont volé la vedette aux objets africains, telle une rarissime statue canaque de Nouvelle-Calédonie (lire l’encadré). Autre pièce canaque très convoitée, un monumental chambranle de porte sculpté d’un personnage stylisé, de même provenance, est monté à 157 750 euros, cinq fois son estimation haute. Dans la même vente, un exceptionnel bouchon de flûte du XIXe siècle de 57 cm, de l’aire Biwat, cours moyen de la rivière Yuat en Bas-Sépik (Papouasie-Nouvelle-Guinée), à l’expression féroce très recherchée pour ce type d’objet, est parti au prix attendu de 408 750 euros.

Records aux enchères
Le 8 juin 2007, toujours à Paris chez Sotheby’s, une hache-ostensoir canaque de l’ancienne collection parisienne Félix Fénéon s’est envolée à 312 000 euros (cinq fois l’estimation haute), un record dans sa catégorie. Elle incarnait la perfection par sa belle lame en serpentine verte de forme circulaire, par la finesse du tressage et par son ornement de deux petits visages humains très finement sculptés. Devant la raréfaction de la statuaire océanienne, la cote des beaux et anciens objets ethnographiques (lances, massues, coupes, bols, appuie-nuques...) monte. Le 11 juin 2007, à Paris, chez Christie’s, une massue de jet des îles Fidji de 41,5 cm, à la tête sphérique décorée d’incrustations d’ivoire en forme d’étoile, de croissant et autres formes géométriques, a atteint 55 200 euros, un record pour une massue de jet aux enchères. Le 11 décembre 2007, à Paris, la maison de ventes cédait une massue de guerre des îles Marquises de 138 cm, en bois de toa, ornée de trois têtes en relief et finement gravée de motifs géométriques, estimée au mieux 50 000 euros. Elle a été acquise par un amateur européen pour 113 050 euros, soit un record pour une massue des îles Marquises.

Le patrimoine canaque au sommet

L’art de la Nouvelle-Calédonie est beaucoup plus fort, puissant et expressif que l’art d’autres populations de Mélanésie. Les poteaux en bois dur sculptés, les flèches faîtières et panneaux verticaux de la maison des chefs ainsi que les sceptres de cérémonie constituent l’essentiel de l’art canaque. Figure gardienne rappelant la mémoire des ancêtres, ce personnage monumental représenté debout, surmontant un large pieu (ill. ci-contre), était placé dans le sol sur un périmètre sacré face à la maison du chef. Son buste est recouvert d’un manteau de plumes stylisé de « porteur de masque ». Ses jambes droites ont une musculature et des articulations marquées et ses pieds encadrent l’extrémité de la base. La tête surmontée d’une haute coiffure en dôme offre les traits caractéristiques de la statuaire canaque : larges yeux en amande, court nez aux ailes dilatées, bouche aux commissures relevées. La puissante monumentalité de la sculpture est accentuée par la surface profondément érodée du bois dur, due à une très longue exposition aux intempéries. « Sa date de collecte (entre 1924 et 1932 par le gouverneur général Joseph Guyon) ajoutée à la profonde érosion du bois dur, atteste son ancienneté. Cet objet peut avoir 300 ou 400 ans d’âge », relève Patrick Caput, spécialiste chez Sotheby’s. En l’absence de référence de prix, la maison de vente l’avait prudemment estimée 30 000 à 50 000 euros. Elle fut disputée le 11 juin jusqu’à 696 750 euros, soit un record mondial pour une œuvre canaque.

Les deux coups de cœur d’Anthony J.-P. Meyer

Anthony J.-P. Meyer, expert et antiquaire spécialisé en art océanien, galerie Meyer Oceanic Art, Paris



Quelles est votre dernière découverte ou récent coup de cœur ?

J’en ai deux. Je suis subjugué par une spatule à chaux Massim de Papouasie Nouvelle-Guinée du XIXe siècle que j’ai acquise et dont le manche sculpté représente deux personnages de différentes tailles, probablement la mère et l’enfant. Cet objet fait partie des cinq exemples connus de spatules à chaux réalisés par le « Maître des proportions réalistes » ou son atelier, inventoriés par Harry Beran – grand spécialiste de l’art Massim. Seules deux autres spatules à chaux, sur les cinq répertoriées, sont ornées de deux personnages. Celle que j’expose pour l’exposition « Parcours des Mondes » montre le petit personnage attaché au grand par un bras. Mais ce qui est merveilleux et rend cet objet unique est le mouvement naturaliste de l’enfant tournant la tête vers le monde. Mon autre coup de cœur récent : une amulette en bois taillée à la pierre, figurant un ancêtre du Sépik, d’une très grande ancienneté. Elle fut collectée vers 1904 par Albert Hahl, premier gouverneur de la colonie allemande de Nouvelle-Guinée en 1899, qui légua sa collection au Musée Linden de Stuttgart. Dans les années 1960-1970, l’institution allemande a troqué et vendu une partie de son fonds pour enrichir ses collections en art africain. L’amulette qui porte le numéro d’inventaire du musée, est passée dans une collection allemande puis dans une autre française avant d’arriver chez moi. Ce petit chef-d’œuvre de 14,3 cm qui compte parmi les objets les plus appréciés de l’art océanien, parvient même à charmer les collectionneurs d’objets de grande taille.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°286 du 5 septembre 2008, avec le titre suivant : L’art océanien, plus rare et cher

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