L’art en marque-page

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 décembre 2005 - 4456 mots

Décembre est traditionnellement une saison d’intense activité éditoriale. À l’approche de Noël, nous proposons une sélection d’ouvrages pour tous les goûts et sur toutes les époques.

 L’important, c’est la rose
Passionné par le vitrail, auteur de divers ouvrages sur le verre, Painton Cowen analyse aujourd’hui l’art de la rosace, élément caractéristique de l’architecture gothique. Haut en couleur, le livre retrace l’histoire de ces fascinantes résilles de pierre et de verre, depuis la réalisation de la première rose à Saint-Denis jusqu’aux interprétations contemporaines. Une riche iconographie révèle la délicatesse de pièces telles que les rosaces grandioses élaborées au XIIIe siècle pour Chartres ou Notre-Dame de Paris, celles de la cathédrale de Lyon (XIVe), les exemplaires étonnants de la cathédrale de Florence (XVIe), la lumineuse étoile à six branches créée pour la nef de la cathédrale de Palma
de Majorque en Espagne (XVIe) ou encore l’œuvre originale conçue par Matisse pour l’Union Church de Pocatanico Hills, à New York. Dans les deux derniers chapitres, l’auteur examine en détail l’iconographie, le dessin, la pose et la géométrie des roses majeures, comme celles de la cathédrale de Lausanne (1220-1235) ou de la Sainte-Chapelle (XVe siècle) à Paris. Un répertoire des roses, classées par pays, complète ce riche ensemble. Au total, plus de trois cents rosaces sont référencées, mais Painton Cowen a aussi créé un site Internet pour donner une vision plus large de cet art du verre (www.therosewindow.com).
- Painton Cowen, Rosaces, éditions de l’Imprimerie nationale, 2005, 228 p., 69 euros, ISBN 2-7433-0553-3

Le Caravage à l’ouvrage
Source inépuisable d’inspiration pour les romanciers, psychanalystes, conservateurs, commissaires d’exposition, historiens ou critiques d’art, le Caravage (vers 1571-1610) fait l’objet d’un nouveau livre aux éditions Phaidon. Catherine Puglisi, docteur et professeur associée au département Histoire de l’art de la Rutgers University (New Jersey), y retrace l’itinéraire biographique et artistique du peintre, soulignant son rôle dans le renouveau de la peinture du XVIIe siècle. Révélant des archives parfois inédites, l’auteur décrit les inventions récentes, comme la découverte par Randolph Park du contrat passé pour la Mort de la Vierge ou la monographie de Pamela Askew sur cette même œuvre. Sans oublier les nouveaux travaux parus sur l’exil du Caravage à Malte et en Sicile (durant ses dernières années) et les investigations menées par Pacelli et Marini sur sa mort. « Au cours de l’élaboration de ce livre, ma perception de Caravage s’est considérablement élargie […]. J’ai donc essayé de montrer l’homme dans toutes ses dimensions, à la fois sociable et irascible, ingénieux et combatif, et surtout totalement engagé dans son art », témoigne Catherine Puglisi. En annexe, le lecteur trouvera un catalogue de l’œuvre – les quatre-vingt-neuf tableaux du maître, y compris les attributions
et copies, sont présentés de manière chronologique –, différents témoignages écrits par ses contemporains, ainsi qu’une abondante bibliographie.
- Catherine Puglisi, Caravage, éditions Phaidon, 2005, 448 p., 59,95 euros, ISBN 0-71489-475-3

L’icône, fruit de la tradition
« À la différence des œuvres occidentales de nature analogue, l’icône assurait le passage du visible à l’intelligible et jouait donc un rôle de médiateur entre la forme concrète, immédiatement perceptible, et le monde céleste qui échappait aux sens. » Telle est la définition adoptée par Tania Velmans, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et spécialiste de l’art byzantin. Elle propose Icônes. Le monde orthodoxe après Byzance, ouvrage collectif dont elle a assuré la direction et qui retrace le destin de l’icône se mêlant à celui du peuple orthodoxe après la chute de l’Empire byzantin en 1453.
Moscou s’étant autoproclamée héritière de Byzance après l’expansion de l’Empire ottoman au XVe siècle, la tradition russe a longtemps éclipsé les productions d’icônes répandues à partir de cette époque à travers le Bassin méditerranéen, les Balkans et l’Orient chrétien. Celles-ci n’ont d’ailleurs été réhabilitées sur le plan scientifique qu’il y a seulement une vingtaine d’années. Tania Velmans a réuni historiens et spécialistes pour dresser le panorama, le premier en son genre, de cette vaste production post-byzantine. L’ouvrage s’ouvre sur une évocation instructive sur le sort des chrétiens orthodoxes des Balkans, sous domination ottomane entre le XIVe et le XIXe siècle. Bernard Lory, spécialiste de l’histoire des Balkans et du monde ottoman, met en perspective l’occupation turque, qui permit aux chrétiens de poursuivre leur culte jusqu’à la fin du XIXe siècle. Panayotis L. Vocotopoulos, professeur d’art byzantin à l’université d’Athènes, décrit les différents courants de l’école crétoise – la Crète, alors vénitienne, étant devenue un centre artistique incontesté, notamment grâce à des artistes puisant leur inspiration dans le modèle byzantin, le modèle italien de la Renaissance, du baroque, du maniérisme voire du gothique international. Une même approche est réservée à la production russe, roumaine, chrétienne d’Orient, ukrainienne occidentale et biélorusse. L’analyse est historique,
sociologique et, surtout, artistique. Car si la tradition de l’icône s’appuie sur des préceptes établis entre les VIe et IXe siècle, son évolution stylistique est souvent subtile.
Une brève parenthèse est accordée aux icônes d’inspiration populaire, qui, si elles ne possèdent pas tous les atouts esthétiques, sont néanmoins touchantes. Tania Velmans rappelle à cette occasion que l’icône est, avant tout, un « lieu de rencontre entre le personnage sacré figuré et le fidèle ». Pédagogique mais en rien professoral, rédigé sur un ton enlevé témoignant de la passion de ses auteurs, Icônes est un ouvrage réussi, tant par ses illustrations, ses textes enrichissants que par la qualité de ses traductions.

- ICÔNES. LE MONDE ORTHODOXE APRÈS BYZANCE, sous la direction de Tania Velmans, traduit de l’italien par Claire Mulkai, éditions Hazan, 2005, 240 p., 250 ill. couleurs, 59 euros, ISBN 2-85025-990-X

Maureen Marozeau



Au plus près de Botticelli
Ce Botticelli édité par Actes Sud/ Motta n’est pas une simple monographie de plus sur l’artiste. Comme le précise dès l’introduction son auteur, Alessandro Cecchi (directeur du département Peintures du Moyen Âge et des débuts de la Renaissance à la Galerie des Offices à Florence), le catalogue le plus complet à ce jour reste le livre de Ronald Lightbown publié en 1978. Cette somme s’intéressait à toutes les peintures, chefs-d’œuvre ou œuvres mineures, mais aussi aux travaux de marqueterie, broderie, tapisserie et gravure réalisés à partir de dessins du maître, en incluant les pièces attribuées à son atelier.
Ici, l’auteur place son texte « entre essai et étude historique », s’appuyant sur les sources premières, les recherches menées sur les fonds d’archives au début du XXe siècle par G. Milanesi,
H. P. Horne et J. Mesnil, et sur les études les plus récentes.
Organisé de façon chronologique, ce monumental ouvrage retrace le parcours d’Alessandro Filipepi, dit Sandro Botticelli (1445-1510) : depuis sa naissance au sein d’une famille modeste de tanneurs jusqu’aux années sombres qui suivent la mort de Laurent le Magnifique en 1492, en passant par son apprentissage aux côtés de Filippo Lippi et sa glorieuse carrière florentine liée aux Médicis. Exception faite de sa participation aux fresques de la chapelle Sixtine à Rome en 1481-1482 (Histoires de Moïse), la carrière de Botticelli se déroule exclusivement à Florence. Sa vie est intimement liée à sa peinture. De la douceur des figures, de l’harmonie des lignes qui caractérisent les chefs-d’œuvre des années 1480-1490 (le Printemps et la Naissance de Vénus, des scènes mythologiques marquées par l’idéal antique, de délicats portraits), l’artiste s’adonne, après 1492, à une peinture plus dure, aux tonalités plus obscures. Une période tourmentée, marquée par la chute des Médicis et les prédictions de Savonarole, étudiée en 2003 lors de l’exposition présentée à Paris (Musée du Luxembourg) et
à Florence (Galerie des Offices).
Plutôt que de chercher à rassembler un corpus d’images exhaustif, Alessandro Cecchi a souhaité montrer « le panorama le plus complet des commanditaires florentins de Botticelli dans la seconde moitié du Quattrocento » et ordonner l’œuvre du maître et de ses collaborateurs. Une clarification
nécessaire qui, selon l’auteur, manque à l’ouvrage de Lightbown. Le texte est rigoureux, documenté de nombreuses notes, et le choix iconographique est à la hauteur de l’écrit. Les tableaux en pleine page, les détails soignés plongent le lecteur au plus près de la peinture, les reproductions étant le plus souvent de belle qualité.
En fin de volume, une bibliographie très complète recense l’intégralité de ce qui a été écrit sur Botticelli, depuis Albertini et Vasari jusqu’à aujourd’hui. Un ouvrage somptueux, qui allie la rigueur scientifique aux qualités que l’on peut attendre d’un beau livre.

- Alessandro Cecchi, Botticelli, éditions Actes Sud/Motta, 2005, traduit de l’italien par Anne Guglielmetti, relié sous coffret, 384 p., 250 ill., 120 euros jusqu’au 31 janvier puis 140 euros, ISBN 2-74275-663-9

Guillaume Morel


Suave le Corrège
Influencé dans sa jeunesse par Mantegna, Antonio Allegri, dit le Corrège (vers 1489-1534), a laissé derrière lui un œuvre emprunt de tendresse, qu’il traduisait par le jeu subtil du clair-obscur. Après Bellini, Mantegna, Titien ou Van Eyck, les éditions Gallimard explorent l’univers singulier de cet artiste trop souvent considéré comme un peintre mièvre. Après une brève intro-duction historique, les peintures du Corrège sont présentées à travers une riche et délicate iconographie, point fort de la collection « Maîtres de l’art ». Les plans rapprochés permettent d’apprécier dans leurs moindres détails les multiples person-nages de la fresque l’Assomption (1526-1529), réalisée pour la coupole de la cathédrale de Parme et récemment restaurée, ou la grâce évidente de Marthe figurée dans le retable Quatre Saints.
Des toiles comme l’Adoration des mages (vers 1515-1518) témoignent de l’évolution du style du peintre, qui s’oriente vers des compositions dynamiques aux couleurs vibrantes.
À la même époque, il crée quelques-unes de ses plus belles toiles, telle la Vierge à l’Enfant, dite Madone Campori. En 1520, le Corrège reçoit la commande de la décoration de l’église San Giovanni Evangelista de Parme (œuvre détruite en partie), puis il travaille, à partir de 1526, pour la cathédrale de cette ville.
- Eugenio Riccòmini, Corrège, éditions Gallimard, coll. « Maîtres de l’art », 2005, 144 p., 45 euros, ISBN 2-07011-811-8

Tout Florence
Faire découvrir ou redécouvrir la Galerie des Offices avec Léonard de Vinci, Botticelli, le Caravage ou Raphaël, la Galerie de l’Académie avec le David de Michel-Ange, les fresques de Giotto et Brunelleschi pour Santa Maria Novella, le palais Pitti s’ouvrant vers le jardin Boboli, le Palazzo Vecchio… Telles sont
les ambitions des Éditions Mengès, qui explorent l’inestimable patrimoine artistique de Florence dans un ouvrage faisant la part belle aux illustrations. Certaines images de pièces ou d’édifices récemment restaurés sont même inédites. Chronologiques, les différents chapitres replacent les chefs-d’œuvre de la cité italienne dans leur contexte historique, depuis la Florence du Moyen Âge aux nouveautés introduites par de jeunes artistes surnommés les macchiaioli (de l’italien macchia, « tache »)
dans les années 1860, en passant par le gothique international, la révolution de Masaccio, l’art de cour des derniers Médicis ou le néoclassicisme. Ces grands thèmes sont ponctués d’encadrés consacrés à des thèmes spécifiques comme les manuscrits enluminés, l’orfèvrerie du XVe siècle ou les célèbres marqueteries de pierres précieuses. « L’histoire artistique que le présent ouvrage raconte est une histoire qui implique tout le monde et à laquelle tout le monde participe, conclut l’un des auteurs, Antonio Paolucci. Parce que le destin de Florence est d’être le reflet et l’emblème de l’histoire de notre civilisation. »
-  S. Bietoletti, E. Capretti, M. Chiarini, C. Cresti, A. Giusti, C. Morandi, A. Paolucci, M. Scalini, A. Tartuferi, Florence. Art et civilisation, Éditions Mengès, 2005, 528 p., 89 euros, ISBN 2-85620-459-7

Histoires symbolistes
Né dans un climat d’industrialisation, d’urbanisation grandissante et de recul de la religion, le symbolisme correspondrait à l’expression d’un certain pessimisme européen. Conservateur en chef du patrimoine, Rodolphe Rapetti rappelle qu’il « est impossible de ramener le symbolisme aux problèmes de telle ou telle école nationale, ni même à un groupement d’artistes liés par un parcours historique commun ». Sobrement intitulé Le Symbolisme, son ouvrage propose plusieurs niveaux de lecture reflétant la complexité d’un mouvement pictural spirituel, onirique et métaphorique. Rapetti débute avec les portraits de « Figures tutélaires » qu’étaient les préraphaélites anglais, mais aussi George Frederic Watts, Arnold Böcklin, Gustave Moreau et Puvis de Chavannes (lire p. 10). Vient ensuite la description d’un style novateur, puisant dans un idéalisme où l’espace et les couleurs sont abstraits. L’auteur resitue le symbolisme dans son siècle, en cherchant du côté de la réception critique mais également des autres courants de l’époque. Après la forme, Rapetti étudie le fond, c’est-à-dire les thèmes récurrents abordés dans ces œuvres, comme le religieux, le mythe, le paysage, l’histoire ou le défi au rationnel.
- Rodolphe Rapetti, Le Symbolisme, Flammarion, 2005, 320 p., 190 ill. couleurs, 75 euros, ISBN 2-08011-342-9

Les secrets des « Caprices »
En 1796-1797, Francisco de Goya (1746-1828) réalise la suite la plus connue de ses gravures, Les Caprices, un ensemble de quatre-vingts planches gravées à l’eau-forte, dont les fonds et les ombres sont enrichis de lavis à l’aquatinte. Il y dépeint les folies et stupidités humaines sur des thèmes aussi divers que l’éducation, la justice, la religion, l’illusion de l’amour ou la prostitution. De l’aveu même de l’artiste, dans une note manuscrite, « j’ai choisi des sujets qui donnent occasion à tourner en ridicule, à stigmatiser des préjugés, des impostures, des hypocrisies consacrées par le temps ». Les Éditions de l’Amateur réunissent pour la première fois, en face de chacune des estampes, le dessin préparatoire, les inscriptions autographes l’accompagnant et des commentaires de l’époque. Un recueil passionnant, permettant de cerner au plus près cette suite ésotérique et comique, peuplée d’étranges figures humaines ou animales. Craignant qu’elle ne suscite la condamnation
de l’Inquisition, cette œuvre ne fut tirée du vivant de Goya qu’à trois cents exemplaires. « Deux siècles après sa première publication, la “langue universelle” de Goya intrigue toujours. Plus on feuillette la série, plus on la referme avec le sentiment d’un mystère parcouru », s’émerveille Jean-Pierre Dhainault, qui signe l’introduction à l’ouvrage.
- Goya. Les Caprices, présenté par Jean-Pierre Dhainault, Éditions de l’Amateur, 2005, 204 p., 38 euros, ISBN 2-85917-426-5

Baudelaire et son musée imaginaire
Fort du succès de La Divine Comédie de Dante illustrée par Botticelli ou des Métamorphoses d’Ovide éclairées par les peintres du baroque, les éditions Diane de Selliers offrent cette année Les Fleurs du mal (texte de 1861) de Charles Baudelaire. L’idée est simple : accompagner les sulfureux poèmes par des peintures, lithographies, pastels, aquarelles et dessins d’artistes de son époque en résonance avec l’œuvre. En l’occurrence, les décadents, les symbolistes et autres créateurs proches de ces mouvements de la seconde moitié du XIXe siècle. Qui mieux que Rops, Spilliaert, Ensor, Klimt, Munch, Redon, Moreau, Böcklin, Rodin ou Gauguin pouvait en effet illustrer les écrits de celui qui fut salué à sa mort comme précurseur de l’esprit décadent et initiateur du symbolisme ? Loin d’une approche scientifique ou rigoriste, l’ouvrage est un recueil de propositions, volontairement subjectives, afin de
relire les écrits condamnés en 1857 pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Les encres de Léon Spilliaert, Le Nuage (1902) ou Le Vertige (1908), viennent ainsi illuminer « La Chevelure », tandis que La Buveuse d’absinthe (1876) de Félicien Rops soutient « La Muse malade » décrite dans « Spleen et Idéal ». « La Musique » fait face à Ma Destinée (1857) de Victor Hugo. Grand admirateur de ce dernier, Baudelaire lui dédia plusieurs poèmes, comme « Le Cygne ». La réponse d’Hugo fut éloquente : « Vous venez de le prouver. Vos fleurs du mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Continuez. Je crie bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. » Pour « La Géante », c’est une encre d’Alfred Kubin, La Noyade (1903), qui a été choisie ; pour « Sisina », une huile sur toile de Vladyslav Podkowinski, Frénésie (1894) ; pour « Chant d’automne », le célèbre Cri d’Edvard Munch (1893) (lire p. 3) ; pour « Les Litanies de Satan » l’impressionnant Lucifer (1890) de Franz von Stuck. Les éditions ont même choisi des œuvres de Goya, spécialiste des tréfonds de l’âme humaine, pour des poèmes tel « Le Calumet de la paix ». Ces associations sont d’autant plus judicieuses que Baudelaire était un passionné de peinture doublé d’un redoutable critique d’art, grand défenseur de Delacroix, Courbet, Manet, Cézanne, Ingres ou David, et adorateur de Rubens, Rembrandt,
Watteau ou Goya lui-même. Publiées dans leur intégralité, Les Fleurs du mal sont enrichies des Épaves (1866) et de l’édition posthume (1868), ainsi que de notices biographiques sur les quatre-vingt-cinq créateurs cités dans l’ouvrage et d’une chronologie précisant les relations qu’entretenait Baudelaire avec les artistes et hommes de lettres de son temps. Conçu sous la forme d’un musée imaginaire, ce recueil constitue un bel hommage à celui qui affirmait à ses détracteurs vouloir « extraire la beauté du mal ».

- LES « FLEURS DU MAL » DE CHARLES BAUDELAIRE ILLUSTRÉES PAR LA PEINTURE SYMBOLISTE ET DÉCADENTE, préfacé par Jean-David Jumeau-Lafond, éditions Diane de Selliers, 2005, 472 p., 190 euros jusqu’au 31 janvier 2006 puis 230 euros, ISBN 2-90365-632-0

Daphné Bétard


Made in France
Depuis la parution de sa première édition, en 1987, L’Art contem-porain en France de Catherine Millet est devenu en quelque sorte un manuel pour se replonger dans l’histoire récente de l’art dans notre pays. Certes, l’entreprise n’est pas exempte de partis pris, comme l’importance donnée à un groupe comme Supports-Surfaces, cité ici à vingt-sept reprises, alors que Raymond Hains n’est évoqué brièvement qu’une seule fois et que Jacques Villeglé est totalement absent… De plus, le livre ne prend en compte que tardivement le formidable essor de la photographie – la vidéo bénéficiant malheureusement du même traitement. Depuis sa sortie, l’ouvrage a été révisé en 1994, avant la présente édition, qui s’est enrichie d’un nouveau chapitre de quarante-cinq pages intitulé « Le triomphe de l’art contemporain ? » Pour ces dernières années, de 1995 à 2005, Catherine Millet a confié la rédaction du texte à Richard Leydier, un talentueux critique d’art press.
Ce dernier s’attache en particulier à rappeler le contexte artistique et institutionnel, de l’ouverture des galeries de la rue Louise-Weiss, dans le 13e arrondissement de Paris, à l’annonce de l’inauguration du Mac/Val à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). L’auteur revient aussi sur les diverses polémiques qui ont traversé le milieu, et notamment le fameux « rapport Quemin ». Et de conclure : « Il est une règle de vie essentielle : si on veut être aimé des autres, il faut d’abord s’aimer soi-même. Il devient extrêmement urgent pour la France de réfléchir sérieusement à l’exportation de ses artistes. […] C’est le plus grand défi auquel le milieu de l’art est confronté au milieu des années 2000. »
- Catherine Millet, L’Art contemporain en France, éditions Flammarion, 2005, 383 p., 45 euros, ISBN 2-08011-472-7

Un monument pour l’art contemporain
L’arrivée d’un nouveau titre dans la collection « L’art et les grandes civilisations » des éditions Citadelles & Mazenod est toujours un événement. Il l’est d’autant plus avec ce volume qu’il vient aborder un domaine jusqu’à présent soigneusement laissé de côté par l’éditeur : l’art contemporain. Signe de la « patrimonialisation » de l’art de l’après-guerre, de sa mode peut-être un peu, et de la reconnaissance d’une certaine histoire aussi, cet ouvrage de 620 pages se consacre aux dernières années du XXe siècle. Il s’inscrit temporellement de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale (même si le livre commence en réalité en 1945) à 2002, année marquée par la Documenta 11 de Cassel dirigée par Okwui Enwezor – dont le nom n’est d’ailleurs pas cité. Pour cette vaste entreprise, Citadelles & Mazenod a confié la direction de l’ouvrage à Daniel Soutif, actuel directeur du Centro per l’arte contemporanea de Prato, en Italie, ancien directeur du département du développement culturel du Centre Georges-Pompidou, à Paris, et commissaire de l’exposition « Le temps, vite ! », qui marqua, en 2000, la réouverture de Beaubourg. Il s’est entouré d’une équipe de choc, qui réunit Marco Bazzini, Éric de Chassey, Jean-Pierre Criqui, Carlotta Darò, Véronique Goudinoux, Élisabeth Lebovici, Jean-Hubert Martin, Stefano Pezzato, Denys Riout, Didier Semin, Catherine de Smet, Gilles A. Tiberghien et Éric de Visscher.
Si, comme les ouvrages de la collection, celui-ci s’appuie sur une riche iconographie, ce volume adopte en revanche une maquette spécifique, plus jeune et dynamique, qui s’accorde mieux avec son sujet. Comment d’ailleurs aborder soixante ans de création, et surtout l’ordonner, dans un siècle qui s’est fait une spécialité de l’éclatement et de la rupture ? Les auteurs ont choisi deux dates charnières, celles d’expositions : 1964 et la consécration de Robert Rauschenberg à la Biennale de Venise ; et 1982, année du retour à la peinture, de « Zeitgeist » de Joachimidès et Rosenthal à Berlin et de la Documenta VII de Cassel signée Rudi Fuchs.Prenant un parti contemporain affirmé, les dernières années des maîtres de l’art moderne (Picasso, Miró, Matisse…) sont vite évacuées au début de l’ouvrage pour laisser ensuite se dérouler une histoire familière aux visiteurs attentifs des grands musées d’art contemporain internationaux, le Musée national d’art moderne (MNAM) de Paris en tête. L’influence de ce dernier se devine même en filigrane, avec en particulier la prise en compte d’un domaine de la création rarement aussi bien traité dans un ouvrage de synthèse de ce type : le graphisme. Trois chapitres signés Catherine de Smet permettent d’en faire le tour, tandis que le design doit se contenter de quelques pages à la fin des chapitres consacrés à l’architecture ! Dans ce découpage souvent par support – soulignons ceux qui sont consacrés au son – apparaissent deux chapitres plus sociologiques, consacrés aux créations signées par des femmes, sous la plume
d’Élisabeth Lebovici, ou aux arts des autres continents, explorés par Jean-Hubert Martin.
Bref, Citadelles & Mazenod publie ici un bel ouvrage de synthèse, qui vient courageusement intégrer l’art le plus contemporain à une histoire des civilisations entamée par l’éditeur il y a plusieurs décennies.

- DANIEL SOUTIF (DIRIGÉ PAR), L’ART DU XXE SIÈCLE. 1939-2002, DE L’ART MODERNE À L’ART CONTEMPORAIN,
éditions Citadelles & Mazenod, 620 p., 199 euros, ISBN 2-85088-084-1

Philippe Régnier


Boutique ou musée, même combat
Il est des bouts de phrases qui peuvent en dire long. Ceux-ci par exemple : « …ont fait appel à des architectes et des designers de renom pour aménager leurs espaces… des intérieurs étonnants… se distinguer, afin de séduire la clientèle et d’attirer l’attention des médias […] ». Ces bouts de phrases s’affichent en exergue du livre de Raul A. Barreneche intitulé Nouvelle Architecture commerciale. Mais ils pourraient aussi bien figurer en introduction du second ouvrage de ce même auteur, baptisé cette fois Nouveaux Musées. Car, s’il est bien deux domaines en architecture qui, ces dernières années, sont devenus de véritables outils de communication, ce sont bien les boutiques et les musées. C’est à qui, de la marque ou de l’institution, s’attirera les faveurs des architectes les plus prestigieux du moment ! Une vraie course à l’échalote, et ce à l’échelle mondiale. Pas étonnant dès lors si l’on retrouve parfois, dans les deux opus, les mêmes signatures : celles de stars de la « jet-architecture » que sont l’Italien Renzo Piano, l’Anglais Norman Foster, le Néerlandais Rem Koolhaas ou encore les Suisses Jacques Herzog et Pierre de Meuron.
Les deux ouvrages sont construits sur une structure identique, décortiquant chacun une vingtaine d’exemples sélectionnés à travers la planète – 27 pour les musées, 20 pour les magasins. Des bâtiments évidemment récents, réalisés, pour les premiers, entre 1997 – le River & Rowing Museum de David Chipperfield à Henley-on-Thames (Angleterre) – et 2004 – l’extension du MoMA de New York par Yoshio Taniguchi –, pour les seconds, entre 1999 – le centre Brink de Peter Wilson et Julia Bolles-Wilson à Hengelo (Pays-Bas) – et 2004 – quatre projets en tout. Outre les édifices « médiatisés », sinon « médiatiques », on peut néanmoins dénicher quelques réalisations moins connues, mais tout aussi intéressantes. Du côté des musées, on découvre ainsi le minuscule (12 x 30 m au sol) mais puissant American Folk Art Museum de Tod Williams et Billie Tsien à New York ; ou encore la longue façade ondoyante en verre sérigraphié, comme en lévitation, du Musée O à Nagano (Japon) de
Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa (Sanaa), les lauréats de la future antenne du Louvre à Lens (lire le JdA no 222, 7 octobre 2005). On remarque, pour les magasins, la boutique Carlos Miele de Hani
Rashid et Lise Anne Couture (Asymptote) à New York, immaculée façon Milk Bar, et le Y’s Store (Yohji Yamamoto) de Ron Arad à Tokyo, dont l’attraction principale reste ces étonnants anneaux elliptiques en aluminium argenté, qui servent, au choix, de portants ou de présentoirs. Point commun de la plupart de ces projets : un important degré d’innovation, aussi bien dans la forme, que dans les matériaux utilisés. Depuis 1997 et l’avènement du Guggenheim basque de Frank O. Gehry, le
fameux « effet Bilbao » souffle sur le monde des musées. L’« effet Prada », lui, balaie celui des boutiques depuis 2001 et l’ouverture de son Flagship Store new-yorkais. L’architecture se remettra-
t-elle un jour de tant d’effets ?

- RAUL A. BARRENECHE, NOUVELLE ARCHITECTURE COMMERCIALE et NOUVEAUX MUSÉES, éditions Phaidon, 2005, respectivement 208 et 200 p. et 275 et 250 ill. en couleurs, ISBN 0-71489-486-9 et 0-71489-485-0, 59,95 euros chacun

Christian Simenc


Barthélémy-Griño, revue de détail
L’équation Barthélémy-Griño est simple : vingt ans égale vingt projets… ou presque – 17 très exactement. Voilà comment Philippe Barthélémy, né en 1950 à Moyenmoutier (Vosges), et Sylvia Griño, née en 1957 à Montevideo (Uruguay), ont voulu évoquer dans cet ouvrage le parcours de leur agence fondée à Paris en 1984. Les projets sont classés selon les quatre thèmes chers au duo : «Charpentes », « Composants », « Intérieurs » et « Enveloppes ». On comprend que ceux-ci prennent leur source dans les détails, dans le choix subtil des matériaux et dans la façon de les assembler, dans le travail sur les textures et sur leur impact visuel. En témoignent, entre autres, le triple jeu de façades du Kowa Building à Kobe (Japon), ou la toiture de la tribune d’un stade à Nanterre, tressée en pin Douglas et en forme d’ailes de papillon. Cette passion du détail se traduit, notamment, par la présence pour la majorité des projets d’un dessin en coupe, preuve que la globalité ne résiste que par la qualité du fragment. Toutes les réalisations sont du même tonneau. La griffe Barthélémy-Griño est sans fioritures. Outre le soin extrême porté à la réalisation, une grande sobriété s’avère de rigueur, comme dans cette bibliothèque construite dans le 14e arrondissement à Paris.
Les lecteurs du Journal des Arts connaissent, eux, peut-être, la finesse de l’aménagement intérieur de la Galerie Xippas, rue Vieille-du-Temple, à Paris (3e arr.), espace que les architectes ont logé, en 1992, dans un ancien atelier de confection.
- Philippe Barthélémy, Sylvia Griño, Barthélémy-Griño architectes, trait pour trait, éditions Birkhäuser, 2005, 152 p., 54 euros, ISBN 3-76437-268-0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°226 du 2 décembre 2005, avec le titre suivant : L’art en marque-page

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