L’art contemporain en chantiers

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 11 mai 2011 - 881 mots

En marge d’un marché de l’art en plein boom et malgré l’absence de toute politique culturelle, un musée d’art moderne et une biennale devraient voir le jour à partir de 2012 en Inde.

Alors que New Delhi et Mumbai sont depuis quelques années le théâtre du développement fulgurant du marché de l’art en Inde, la politique du gouvernement indien en faveur des arts visuels a été jusqu’ici totalement inexistante. Deux initiatives émanant du privé, le « Kolkata Museum of Modern Art » (KMoMA) et la « Biennale de Kochi-Muziris », qui devraient respectivement voir le jour en 2013 et 2012, appellent à dynamiser et structurer le champ des arts plastiques dans le pays.  Active depuis de nombreuses années en tant que collectionneuse et fondatrice du premier centre d’art contemporain indien, à Kolkata (Calcutta), Rakhi Sarkar, directrice du futur KMoMA, veut faire de ce projet inédit un modèle institutionnel à la mesure des grands musées internationaux. La collection, dont le contenu n’est pas encore dévoilé, compose avec les enjeux culturels de la mondialisation (et d’un passé colonial). Elle accorde aussi une large place à l’art national, qui occupera une des quatre ailes de l’édifice confié aux architectes Herzog & de Meuron. Deux autres sections accueilleront l’art occidental et oriental. Avec cinquante-cinq galeries, un amphithéâtre de 1 500 places et un auditorium, lesquels permettront d’accueillir conférences, projections et arts vivants traditionnels, le KMoMA est envisagé comme un centre pluridisciplinaire capable de répondre aux attentes à la fois du milieu international et d’un public local caractérisé par de fortes disparités socioculturelles. Mais ce qui distingue les ambitions de ce projet est sans conteste l’activité qu’abritera la quatrième aile du musée, dévolue à l’enseignement de l’histoire de l’art, la muséologie, l’administration culturelle et la restauration. Cette « académie » intégrée au musée est le signe de l’urgence pour le pays de se doter de professionnels de l’art. Ainsi, le KMoMA entend œuvrer à l’amélioration des conditions d’exposition, de conservation et de circulation de l’art indien. Le MoMA de New York aurait déjà promis, lors du « Symposium international sur les musées du futur » organisé à Calcutta en mars 2009, de soutenir ce développement à travers un programme d’échange impliquant des curateurs indiens. Rakhi Sarkar, également à la tête du comité sur l’art et le marché de l’art au sein de la Fédération de la chambre du commerce et de l’industrie indienne, souligne par ailleurs le rôle du secteur privé dans la mise en place d’une politique culturelle (lire p. 20). À cet effet, elle pointe la nécessité d’alléger le système de taxes qui régissent le commerce de l’art et le mécénat en Inde.

C’est aussi à cette absence de programme gouvernemental que répond le projet de biennale d’art contemporain porté par les artistes Bose Krishnamachari et Riyas Komu, ici dans un élan « alternatif ». « Puisque l’État n’est pas capable ou n’a pas la volonté de mettre en œuvre une véritable politique culturelle, les artistes se débrouillent comme ils peuvent et les initiatives se multiplient. Je n’attends plus rien de personne et je ne fais plus de compromis », a déclaré le très médiatique Krishnamachari dans la revue en ligne L’Inde aujourd’hui le monde. L’implantation de la biennale dans les villes de Kochi et Muziris dans l’État du Kerala, à l’extrême sud-est du pays, très loin des centres névralgiques du marché de l’art, indique le positionnement de cette manifestation, à contre-courant du boom économique de l’art indien (dont jouissent pourtant les deux artistes). Lors de l’inauguration de l’exposition « Indian Highway », à Lyon (lire p. 18-19), dont il est co-commissaire, Krishnamachari a déploré la substitution de l’engagement public par les acteurs phares du marché, qui entraîne un conditionnement de la liberté de l’artiste. 

Atout stratégique
Kochi-Muziris affiche ici son ambition de devenir une plate-forme inédite pour penser l’art indien dans le monde, en s’appuyant sur la rencontre d’artistes ou de critiques d’art avec le public. Le propos, fortement teinté d’une pensée altermondialiste, reconsidère la « culture globale » sous l’angle du multiculturalisme et de la coexistence des traditions et de la modernité. La longue histoire cosmopolite de Kochi et du port englouti de Muziris, où transitaient dès l’Antiquité des marchands du monde entier, donne sa pleine envergure à la manifestation. Mais la biennale, qui devrait être inaugurée en novembre 2012, bénéficie également d’un sérieux atout pour attirer le public international : elle est implantée dans la région la plus prisée actuellement par le tourisme « vert ».
Annoncée en grande pompe le 17 février à Kochi en présence du ministre indien de l’Éducation et de la Culture, la biennale augure une nouvelle effervescence artistique. Cependant, tout semble encore à faire sur le site même des expositions, et les commissaires n’ont encore communiqué aucun nom de liste des soixante-cinq artistes participants. De son côté, le KMoMA devrait faire une annonce publique dans les prochains mois au sujet de l’avancement des travaux du musée, alors que le cabinet d’Herzog et de Meuron est peu prolixe sur le sujet. Souhaitons que ces grandes démonstrations d’enthousiasme ne masquent pas l’existence de complications logistiques, auxquelles est malheureusement accoutumé le pays. 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°347 du 13 mai 2011, avec le titre suivant : L’art contemporain en chantiers

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