L'art au travail

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 12 avril 2011 - 912 mots

Terre fertile en collectionneurs privés, la Belgique l’est tout autant en collections d’entreprise. Une manière d'initier les salairiés à l'art contemporain.

Bien souvent, les collections d’entreprise sont le fait de princes éclairés. Les fondements de celle de la banque ING Belgium remontent aux années 1960, lorsque le baron Léon Lambert achetait des pointures modernes tels Pollock, Miró, Lam, Matta et de Kooning. En 1986, la société baptisée alors « BBL » a racheté au fondateur un noyau de deux cents pièces, qui constitue le socle du fonds actuel. L’extension du bâtiment a permis de reprendre les achats en 1991 jusqu’à parvenir aujourd’hui à un ensemble de 2 500 pièces. De même, la collection de l’opérateur de télécommunications Belgacom, lancée en 1996, est redevable à son ancien président feu John Goossens. Celui-ci estimait nécessaire un vrai choc culturel dans une société qui avait alors perdu sa position monopolistique. « Il fallait désormais un changement d’attitudes, aller vers le client et le satisfaire, rappelle Baudouin Michiels, responsable de la collection. Parmi beaucoup d’autres facteurs, le fait de confronter le personnel à l’art pouvait faciliter cette dynamique. »

De fait, la majorité de ces collections affichent une vocation prioritairement interne : il s’agit d’intégrer l’art à une communauté de travail. Au sein du groupe Lhoist, chaque employé peut ainsi choisir les œuvres de son bureau et en changer aussi souvent qu’il veut. « La collection a vraiment été considérée comme partie intégrante de notre culture d’entreprise, de notre identité et de notre image. Elle a été portée aussi bien par la direction que par le personnel, souligne Patricia de Peuters, directrice de la collection ING. Lorsque nous avons fait à Courtai l’exposition « I want you », c’était pour faire comprendre aux employés « vous comptez pour nous ». Nous voulons que vous ne soyez pas seulement les employés d’une machine mais des personnalités à part entière. » Un credo qui n’est pas éloigné de l’action « Well being », menée depuis quelque temps au sein de la banque. Celle-ci prévoit même l’installation dans deux ans de bornes renvoyant à des liens Internet permettant de s’informer sur les œuvres accrochées. De son côté, Belgacom a créé un site intranet très fourni documentant les 650 œuvres de la collection. « Nous partons du principe que l’art actuel ne se jette pas en pâture », insiste Baudouin Michiels. 

Ouverture d'espaces
Si la plupart des collections sont ouvertes aux clients de l’entreprise, via parfois des visites guidées, ING a haussé l’action publique d’un cran en ouvrant en 1986 l’espace culturel ING, situé place Royale à Bruxelles, dans laquelle elle organise des expositions indépendantes de son fonds propre. La National Bank of Belgium a inauguré pour sa part en 2010 un bâtiment des années 1870 disposant d’un petit espace d’exposition. Une trentaine de pièces de la collection ont alors été montrées au public sous le titre « Delight ». Une nouvelle série d’acquisitions récentes y sera dévoilée en mai prochain. La banque Dexia présente enfin une centaine d’œuvres de sa collection en ligne tout en organisant des visites guidées pour le public extérieur. « Le projet « Culture pour tous » vise à mettre notre collection permanente à la portée du plus grand nombre et à proposer chaque année, une exposition temporaire thématique basée sur les richesses parfois moins connues de la collection », explique-t-on. L’établissement a ainsi proposé en 2009 un accrochage autour de l’œuvre gravé d’Ensor, et cette année une présentation de l’art abstrait en Belgique.

Certaines collections restent résolument belges, à l’image de celle de la National Bank of Belgium, lancée en 1972, et de Dexia, cette dernière allant des maîtres flamands du XVIe siècle à Fernand Khnopff, René Magritte, Luc Tuymans et Jan Fabre. « Le marquage national est très fort. Certes depuis l’euro, on travaille dans un contexte européen, mais on a pensé que rester sur l’art belge continue à avoir du sens », explique Yves Randaxhe, responsable de la collection de la National Bank of Belgium. La plupart des établissements préfèrent toutefois un profil varié et international, pour donner une image d’ouverture sur la diversité. Ainsi de la collection de Belgacom, orientée pour partie vers les minimalistes et le Groupe Zéro, comprend des artistes tels que Sol LeWitt, Hans-Peter Feldman, Gunther Förg ou François Morellet. La photographie, notamment de Bernd et Hilla Becher, reste l’axe principal de la collection du groupe Lhoist. Si vidéos et installations sont globalement plus difficiles à insérer dans un cadre de travail, les entreprises ne se tournent pas nécessairement vers des œuvres faciles. Ainsi, ING possède une série de photos de Craigie Horsfield, ou l’œuvre intitulée Sans soucis de Christian Boltanski.

« Oiseau du ciel » livré aux enchères
Les firmes interrogées se disent fermement attachées à leurs fonds. Lors de la fusion de la BBL avec ING Pays-Bas, l’intégrité et l’autonomie de la collection ont ainsi été respectées par le groupe. De son côté, le budget de la National Bank reste stable depuis sept ou huit ans. En revanche, depuis la crise, Dexia a suspendu les achats. Belgacom admet une réduction des acquisitions, tout en soulignant un investissement chiffré à environ 8 à 10 millions d’euros ces quinze dernières années. Néanmoins, malgré les vicissitudes, aucune société n’entend vendre ses collections. Le destin en décide parfois autrement. Lors de sa faillite, la compagnie aérienne Sabena a cédé en 2003 à l’encan une pièce mythique, l’Oiseau du ciel, commandé en 1965 à René Magritte par le président de l’époque.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°345 du 15 avril 2011, avec le titre suivant : L'art au travail

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