Larry Clark, le conteur de Tulsa

Par Manou Farine · L'ŒIL

Le 22 octobre 2010 - 602 mots

Longue silhouette, chapeau noir, fines lunettes et barbe encore brune, Larry Clark reçoit, courtois mais pas commode, précis mais un poil contrarié à l’idée d’abandonner un instant son chantier de montage.

Pour une rétrospective qui commence évidemment par Tulsa, Oklahoma. Le jeune Larry y grandit, y pousse un peu de travers et assiste sa photographe de mère. Avec elle, il sillonne la région et tire le portrait de nouveau-nés. « J’ai appris à faire rire les enfants, raconte-t-il sans joie. Vous m’imaginez ? J’avais seize ans, je ne pensais qu’à me défoncer et je devais suivre ma mère en me mettant des doudous sur la tête pour faire rire les bébés. »

Dans le même temps, « Skinny » Larry ravage son adolescence. À fond la caisse, un « Rolleiflex » à portée de main. « J’ai photographié des choses qui n’étaient pas supposées exister, qui n’étaient pas supposées arriver », plaide-t-il. Le jeune Clark compile alors sa communauté invisible, dopée mais affalée d’ennui. Au menu : shoots, braquages, virées criminelles, corps juvéniles déjà dévastés et scènes de sexe brutalement explicites. En sous-texte, le recours à la violence et au speed comme échappatoire à la désaffection des parents. Un point de vue moraliste assumé, dont celui qui se définit d’abord comme « un conteur » ne se départira jamais. En 1971 donc, Tulsa paraît et fait l’effet d’une sale bombe. Un coup de pelle dans la face polie de la middle-class blanche américaine. L’album fait du junkie un œil culte, entré au panthéon d’une génération de cinéastes et de photographes. 

Éclipses et réapparitions
Clark n’en a pourtant pas fini avec ses démons. Il disparaît, on le croit mort. Retour en Oklahoma, dope toujours, embrouilles et prison. Douze ans après Tulsa, la déclaration de guerre est reconduite avec Teenage Lust. Les corps y sont plus jeunes, les images plus crues, plus noires, plus excitées, la sexualité y est plus sauvage. Puis silence.

Sa réapparition dans les années 1990 prend des allures de rédemption. Rangé de la bouteille et des seringues, père de famille, il expose en galerie et passe naturellement au cinéma. Ce sera d’abord Kids. Larry Clark a 50 ans et a passé l’âge du skateboard, mais il filme en infiltré garçons et filles, skateurs nihilo-incandescents, amoraux et obsédés par le sexe. Le tout sur fond de sida. Un choc, entre réalisme et mise en scène de son propre regard. Qui parfois peine à régler sa distance. « Mes images sont toujours considérés comme dangereuses, admet-il. Mais je ne pourrais jamais rien faire de pornographique. Ce que je veux, c’est photographier de vrais moments qui puissent être reliés à la vraie vie. »

Que penser alors de l’interdiction aux moins de 18 ans qui prive les adolescents de leur exposition-miroir ? Soupir lassé de celui qui a trop affronté l’affolement du public. Un haussement d’épaules plus loin, le ton monte : « C’est une insulte aux adolescents. Eux qui ont aujourd’hui accès au pire sur Internet, on voudrait les priver d’une exposition dans un musée, c’est ridicule et insultant. » Triste décision que de n’autoriser qu’un œil « adulte » sur ces jeunes corps. Et Larry Clark de confirmer dans un sourire irrité : « Au fond, c’est aux plus de 18 ans qu’il aurait fallu l’interdire. »

Biographie

1943 Naissance à Tulsa aux États-Unis.

1971 Publie un portfolio de photographies, Tulsa, sur le désarroi des adolescents dans sa ville natale.

1995 Son premier court métrage, Kids, est le portrait d’une génération sacrifiée par le sida.

2010 La rétrospective « Larry Clark » au MAMVP est interdite aux moins de 18 ans.

« Larry Clark, Kiss the Past Hello », musée d’Art moderne de la Ville de Paris/Arc, Paris XVIe, www.mam.paris.fr, jusqu’au 2 janvier 2011.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°629 du 1 novembre 2010, avec le titre suivant : Larry Clark, le conteur de Tulsa

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