Suisse - Patrimoine

L’Alliance internationale se met enfin en marche

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 17 janvier 2019 - 1118 mots

GENEVE / SUISSE

L’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit a annoncé les trois premiers projets qu’elle va financer, en Irak et au Mali. Riche de son fonds de 60 millions de dollars, elle lance par ailleurs un appel à projets.

Genève. Deux ans après sa création très médiatisée sous la présidence de François Hollande, l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (Aliph) dispose enfin des structures nécessaires à son action, et annonce deux projets en Irak et un au Mali. Après une phase de préfiguration (automne 2016 à mars 2017) et une levée de fonds pour un montant de 60 millions de dollars (49 M€), l’alliance cofondée par la France et les Émirats arabes unis (EAU) a nommé à l’automne 2018 un secrétaire général, le diplomate français Valéry Freland : assisté de la Canadienne France Desmarais, venue de l’Icom (Conseil international des musées), il sera chargé de mettre en œuvre les projets.

Des trois projets annoncés, le plus ambitieux est celui du Musée de Mossoul : pillé par l’organisation État Islamique (EI) entre 2014 et 2017, le musée a ensuite été très endommagé par les combats lors de la reprise de la ville par l’armée irakienne. À la demande des autorités irakiennes, l’Aliph finance à hauteur de 460 000 dollars (375 000 €) une première phase d’évaluation des destructions, en collaboration avec le Musée du Louvre et la Smithsonian Institution (Washington).

Si cette somme paraît « modeste », de l’aveu même de Valéry Freland et France Desmarais, c’est parce que les experts des deux musées ont accepté de travailler gratuitement. Ces experts vont dresser l’inventaire des collections, examiner la viabilité du bâtiment, mais aussi récolter des preuves des destructions : en effet, un tribunal pénal international pourrait être un jour instauré pour juger de ces destructions du patrimoine. Après cette phase de collecte de données, les experts et l’Aliph proposeront aux autorités irakiennes un plan d’action par étapes. « C’est la volonté des Irakiens qui va primer », souligne France Desmarais. Ensuite, l’Aliph mettra en place les partenariats et les appels aux donateurs pour financer le projet de réhabilitation du Musée de Mossoul, un chantier de plusieurs années.

L’autre projet irakien concerne le monastère syriaque de Mar Behnam, au sud de Mossoul. Pour Valéry Freland, c’est un « symbole » car le monastère était un lieu de culte partagé par des chrétiens et des yazidis. Il a été pillé et en partie détruit par l’EI, et l’Aliph contribue pour 250 000 dollars (204 000 €) à sa reconstruction ainsi qu’à la restauration de ses manuscrits médiévaux. Une ONG française, Fraternité en Irak, se charge des travaux sur place.

Au Mali, c’est également un lieu de culte que l’Aliph va aider à restaurer, le tombeau des Askia à Gao. Ce tombeau du XVe siècle en pisé était traditionnellement entretenu par les populations locales, mais depuis 2012 les combats contre les groupes djihadistes ont fait fuir les habitants. L’Unesco est aussi partie prenante puisque le monument est inscrit sur sa Liste du patrimoine mondial en péril depuis cette date. L’Aliph financera pour 500 000 dollars (408 000 €) la restauration par des habitants de Gao, jouant ici un rôle de coordination entre les différents acteurs.

Siège à Genève

Au regard des annonces faites en mars 2017, les sommes engagées jusqu’ici peuvent sembler faibles, mais, selon Valéry Freland, près de 30 millions de dollars (24M euros) devraient être dépensés d’ici à 2021. L’Aliph dispose d’un capital de 60 millions de dollars déjà récoltés sur les 77,5 millions promis (63,2 M€). Les frais de fonctionnement représenteront à terme 15 % des dépenses selon le diplomate, des frais qui comprennent principalement les salaires des quatre membres du secrétariat, une équipe amenée à s’étoffer. Quant au loyer des bureaux installés à Genève, il est couvert par « une subvention de la Suisse », indiquent Valéry Freland et France Desmarais. Le choix de Genève « est celui des pays fondateurs de l’Aliph car c’est la capitale du droit humanitaire international », explique Valéry Freland. Ajoutant que l’Alliance, une fondation de droit privé suisse, a obtenu auprès des autorités suisses le statut d’organisation internationale, au même titre par exemple que l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Outre son secrétariat, l’Aliph possède un conseil de fondation et un comité scientifique d’experts ; Valéry Freland relève « une vraie osmose entre les membres du Conseil, les États, les partenaires privés et les experts, on sent une volonté commune d’avancer et d’agir concrètement ».

Appel à projets

Au delà de ces premiers projets, l’Aliph a annoncé le lancement d’une procédure d’appel à projets, sous des critères assez larges et sans restriction géographique. Les porteurs de projet peuvent déposer leur dossier pour des projets à long terme ou pour une procédure d’urgence : France Desmarais précise ici qu’il faut « des règles claires de fonctionnement pour permettre des actions comme l’octroi de subventions pour les urgences », le montant maximum de ces dernières étant de 75 000 dollars (61 000 €). La notion de « patrimoine » retenue est large, de même que celle de « conflit », « qui inclut – mais n’est pas restreinte à celle de – la Convention de 1954 ». Les guerres civiles sont donc aussi concernées, ce qui pourrait bénéficier à des projets en Syrie ou au Yémen. En revanche, l’idée défendue par François Hollande de transformer la France en « refuge » pour des œuvres menacées de destruction a été abandonnée, faute de pays candidats.

La liste des projets sélectionnés par le conseil sera communiquée en juin 2019, la priorité étant accordée aux projets élaborés collectivement. Entre-temps, le secrétariat et les membres du Conseil vont motiver les bailleurs et chercher de nouveaux partenariats : pour Valéry Freland et France Desmarais, « aucun acteur, même quand il s’agit d’une institution internationale, ne peut y arriver seul. C’est pourquoi il faut unir nos forces ».

La gouvernance de l’Aliph  

Organisation internationale. Dans le processus de décision, le comité scientifique présidé par Jean-Luc Martinez (président-directeur du Louvre) examine les projets proposés et émet des recommandations. Ce comité est composé d’experts en politique culturelle issus des pays membres, de l’Unesco et d’Irak. L’organe décisionnel est le conseil (board), présidé par le philanthrope américain Thomas Kaplan : il regroupe un représentant de chaque pays membre (France, Émirats arabes unis [EAU], Koweït, Arabie saoudite, Maroc, Chine, Luxembourg), un représentant de la Confédération helvétique, des personnalités qualifiées et un représentant de l’Unesco. Une vice-présidence tournante est attribuée en alternance au représentant des EAU et à celui de la France : après Jack Lang, c’est la sénatrice et conseillère d’Emmanuel Macron Bariza Khiari qui occupe cette fonction. Seul le conseil sélectionne les projets à financer, et, comme le résume Valery Freland, « c’est le conseil qui décide au final ». Le processus décisionnel reste donc simple.

 

Olympe Lemut

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°515 du 18 janvier 2019, avec le titre suivant : L’Alliance internationale se met enfin en marche

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