Entretien

L'actualité vue par Yoyo Maeght, ex-administratrice de la Fondation Maeght

« J’ai une vision entrepreunariale »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 15 mars 2011 - 1597 mots

Yoyo Maeght vient de claquer la porte du conseil d’administration de la Fondation Maeght. Elle s’en explique.

Petite-fille d’Aimé Maeght et fille d’Adrien Maeght, Yoyo Maeght vient de démissionner du conseil d’administration de la Fondation Marguerite et Aimé Maeght et de la galerie Maeght. Elle revient sur les circonstances de ce conflit familial et commente l’actualité.

JDA : Pourquoi avez-vous choisi de démissionner début janvier du conseil d’administration de la Fondation Maeght ?
Yoyo Maeght : La Fondation me tient à cœur, je suis sans doute la personne qui s’est le plus penchée sur les racines, la mémoire, en écrivant sur mon grand-père et ma famille. Cependant, mon but n’est pas de regarder de manière nostalgique le passé, mais d’en tirer un enseignement. Je ne me dis pas « faisons comme a fait Aimé Maeght », mais je me demande plutôt, « que ferait-il aujourd’hui ? ». S’il a voulu créer une fondation, qui est une structure tout à fait particulière, c’est bien qu’il souhaitait quelque chose de pérenne. Il voulait laisser la trace de ce qu’il avait fait, sans qu’il soit possible de le défaire. Pour pouvoir être pérenne, il faut que la fondation soit autonome financièrement, moralement, dans l’esprit Maeght. Comment une structure non subventionnée peut-elle actuellement développer un programme coûteux – car les expositions coûtent très cher ne serait-ce qu’à cause des valeurs d’assurance ?
La pérennité n’est pas aujourd’hui remise en question, mais elle n’est pas projetée dans l’avenir. Il faut trouver d’autres financements que la billetterie, dont les recettes ne peuvent suffire au fonctionnement de la fondation. On pourrait bien sûr se contenter de l’exposition « Miró en son jardin » faite en 2009, mais cela n’offre pas une pérennité à la fondation. Miró n’a certes rien coûté : les œuvres appartenaient à la fondation, il n’y avait pas de catalogue, pas de scénographie, quasiment pas de dîner de vernissage, pas de « plan média ». Assurer le rayonnement de la fondation, c’est savoir par moments faire de grandes expositions, dans l’esprit de Jean-Louis Prat [ancien directeur de la Fondation Maeght]. Pour cela, nous sommes très proches. Il faut se débrouiller pour que les expositions ne soient pas déficitaires, c’est là où peut-être Jean-Louis et moi nous avions une vision un peu différente. Si on parle énormément d’une exposition, dans cinq ans il y aura peut-être X… visiteurs supplémentaires parce qu’en 2010 ils auront entendu parler de la Fondation.

Le désaccord avec votre sœur Isabelle et votre père, Adrien, repose donc sur des divergences de vision concernant l’avenir de la fondation ?
Y.M. : Nous avons un désaccord sur la fondation, et plus généralement sur le reste des entités Maeght, sur la galerie, la maison d’édition et la collection personnelle. J’ai une vision entrepreneuriale. Si on organise des événements voués à être toujours déficitaires, à un moment vous ne pouvez plus faire ce que vous aimez. Mon grand challenge a toujours été d’équilibrer les comptes, de façon à pouvoir enfin faire ce que nous avions envie de faire, ce que nous devons faire. Mais pour cela, il faut être un vrai chef d’entreprise et c’est là où nous n’avons pas la même vision. Mon père et ma sœur veulent vivre davantage sur les acquis. Ils ont une moins grande connaissance de la situation internationale. Les douze expositions non commerciales que j’ai montées en Chine entre 2005 et 2009 m’ont beaucoup apporté. Elles ont installé une notoriété, opéré des rapprochements entre culture occidentale et culture chinoise. Il y a eu un travail autour d’artistes chinois, deux sont vraiment sortis du lot, Liu Baomin et Chen Man. Ou Maeght se dit : « on ne vit que sur nos acquis », ou, si on veut faire du contemporain, il faut aller voir ce qui se passe ailleurs.

Votre sœur déclare que votre départ du conseil d’administration n’est pas grave. Qu’en pensez-vous ?

Y.M.
:
Si cela avait été grave, si la fondation devait en pâtir, je ne l’aurais pas fait. Mon attachement à la fondation passe avant tout. J’étais très contente d’avoir fait l’exposition « Giacometti & Maeght 1946-1966 » en 2010 avec des sponsors, des partenaires, un plan média que la fondation n’avait jamais eu. Pour mon père et Isabelle, ce sont des dépenses inutiles, ils ne pensent pas que la publicité est nécessaire pour une exposition. Les chiffres sont pourtant là pour le montrer. L’exposition « Giacometti » a reçu 51 % de visiteurs de plus par rapport à celle de Miró. Le chiffre d’affaires était nettement plus important car le billet d’entrée était passé de 11 à 14 euros. Les ressources ont été importantes, le catalogue Giacometti ayant très bien marché, alors qu’il n’y avait pas de catalogue pour Miró. Et puis surtout il y a eu des partenaires financiers. Je regarde énormément ce que font les autres structures, les musées, les autres fondations, les grandes maisons internationales dans le luxe ou l’édition. Je suis observatrice de mon époque, j’essaye d’en décrypter les codes et de voir ceux que l’on peut adapter à nos différentes activités. 

Quelle est la situation économique de la fondation ?

Y.M.
:
Je ne la connais pas, je n’ai pas les comptes. Le dernier conseil d’administration s’est tenu au mois de septembre 2010, et je n’ai pas obtenu de chiffres. Nous avons ouvert le 5 mai 2010, après plusieurs mois de fermeture, des travaux qui se sont chiffrés à plusieurs millions d’euros, et ce, avec des coûts de personnels identiques.

Vous et votre sœur Florence comptez quitter la galerie Maeght dont vous êtes chacune actionnaire à hauteur d’un quart. Quelle sera la répercussion de ces deux départs, et à qui vendrez-vous vos parts ?  
Y.M.
:
Nous allons nous débrouiller pour que cela reste dans la famille. Il faut voir comment nous pouvons nous séparer à l’amiable. Mais une conciliation nécessite une photographie absolument fidèle et réaliste de la situation. Il faut que nous ayons cette photographie pour la galerie, pour Maeght Éditeur, et pour la collection personnelle.

Allez-vous aussi quitter Maeght Éditeur ?

Y.M. : Non, c’est une société à laquelle je suis plus attachée que tout. Je vais avoir plus de temps à lui consacrer. Je vais œuvrer pour qu’elle soit une très bonne société, très saine.

Allez-vous demander un partage de la collection ?

Y.M.
:
Oui, absolument. La difficulté sera de faire des lots. Nous sommes quatre enfants. Pour l’instant, personne n’a émis de souhaits.

Cette situation va-t-elle changer quelque chose pour les affaires Maeght ?

Y.M. : Pour l’extérieur, il n’y a pas de raison que cela se voit. Les activités doivent continuer. J’espère que cela ne changera rien.

Quels sont vos projets personnels ?
 Y.M. : C’est de sortir tranquillement de ce partage et après nous verrons. Je sais qu’il y a autre chose à faire, la promotion d’artistes à travers un autre biais que la galerie. Aujourd’hui, je suis conseil, je suis de près différents grands projets en France et à l’étranger, que ce soit pour des fondations, des biennales, des lieux alternatifs artistiques et commerciaux, ou le cinéma qui commence à beaucoup se pencher sur le monde de l’art. J’ai une approche toujours très juridique des choses, j’aime bien que les choses soient très carrées. Je participe actuellement à des tables rondes au ministère de la Culture, sous l’impulsion de Jean-Yves Bobe, sur le statut et la fiscalité des fondations, sur le moyen d’améliorer leur fonctionnement. Le rapprochement privé-public est passionnant et je suis l’une des rares à être tout à fait capable de discuter des deux.

Continuez-vous en parallèle vos projets en Chine ?
Y.M. :
Le bilan de ces activités est très positif, parce que j’ai noué des contacts extraordinaires là-bas. Il y a une énorme demande pour du culturel et les personnes d’expérience manquent pour monter ces expositions en Chine. Beaucoup de critiques d’art s’intéressent dans ce pays à la période contemporaine, mais il n’y existe pas de spécialiste de l’art moderne. J’ai beaucoup de demandes. Mais à partir du moment où je ne travaille plus pour la galerie Maeght, je ne peux plus m’appuyer sur ses œuvres. Pour l’instant, tout est en suspens. Je reste conseil auprès de collectionneurs ou de très gros fonds d’investissement qui sont en train de se monter en Chine autour du monde de l’art. Ceux-ci sont mis en place par de grands groupes industriels, de presse et touristiques. Cela me donne à voir que le XXIe siècle est très différent du XXe siècle. Mais finalement, peu importe que ce soit un fonds d’investissement qui s’intéresse à la création quand c’est l’art qui en est le bénéficiaire ! Derrière le Louvre-Abou Dhabi, il y a un projet d’investissement immobilier pour valoriser du terrain. Qui est le gagnant ? le monde de l’art ! Car malgré tout, il y aura un Louvre, un Guggenheim…

Quelle exposition vous a marquée récemment ?
Y.M.
:
J’ai adoré l’exposition « Philippe Perrin » au Musée Maillol, à Paris. J’ai aussi fait une rencontre exceptionnelle avec Arne Quinze. Sinon j’ai beaucoup aimé Tony Cragg au Louvre, extraordinaire parce qu’il y a Messerschmidt à côté (1). J’étais fière que nous ayons en France des musées nationaux qui savent accueillir un public pour découvrir les chefs-d’œuvre de Poussin et Delacroix, et qui sont capables en même temps de pousser une réflexion sur la sculpture contemporaine, un lieu historique, le regard… Enfin, avec [Takashi] Murakami à Versailles, je me suis dit : « Versailles retrouve ce pour quoi il a été fait, c’est-à-dire rayonner mondialement. »

(1) « Tony Cragg » et « Franz Xaver Messerschmidt », jusqu’au 25 avril au Louvre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°343 du 18 mars 2011, avec le titre suivant : L'actualité vue par Yoyo Maeght, ex-administratrice de la Fondation Maeght

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