L'actualité vue par Nicholas Penny - Directeur de la National Gallery à Londres

« L’art contemporain insuffle de la vie à l’art ancien »

Le Journal des Arts

Le 13 novembre 2012 - 1267 mots

Nicholas Penny, directeur de la National Gallery de Londres, crée des passerelles inédites entre les œuvres anciennes et l’art contemporain.

Ces derniers temps, le directeur de la National Gallery de Londres s’est intéressé à la relation entre l’art contemporain et la tradition de la peinture européenne. Avec l’organisation de « Métamorphose : Titien 2012 » cet été, et actuellement « Richard Hamilton : les dernières œuvres » et « Séduit par l’art : la photographie au passé et au présent » (respectivement jusqu’au 13 et au 20 janvier 2013), Nicholas Penny a travaillé avec une franchise réjouissante sur le sujet. Les confrontations, ou « interpolations », entre travaux récents et œuvres anciennes ne trouvent pas toujours grâce à ses yeux, car « un artiste dont l’œuvre peut paraître inoffensive, rassie et secondaire peut sembler neuf et avant-gardiste aux côtés d’œuvres produites dans les années 1920 ou 1930 ». Mais lorsque cela est fait avec intelligence, le dispositif peut offrir de nouvelles voies vers la peinture historique.

Ben Luke : Comment l’exposition « Séduit par l’art » a-t-elle été conçue ?
Nicholas Penny : J’ai pensé que cela serait une très bonne idée de faire une exposition sur la photographie en lien avec la peinture. Je dois avouer que je pensais aux zones évidentes d’intersection – Degas et l’asymétrie, le recadrage ; les paysages urbains brumeux à la Whistler qui sont des photographies ressemblant à des estampes ou des estampes ressemblant à des photographies ; le surréalisme ; le collage. Lorsque nous avons contacté Michael Wilson [fondateur du Wilson Centre for Photography] à ce sujet, il a recommandé la conservatrice Hope Kingsley, laquelle a livré une proposition assez inattendue : elle voulait se concentrer sur la photographie primitive ainsi que sur la pratique contemporaine. Je n’avais pas conscience du nombre de photographes actuels qui s’intéressent aux techniques et aux artifices de la première photographie.

B.L. : « Métamorphose : Titien 2012 » faisait aussi dialoguer des artistes contemporains avec des œuvres du passé.
N.P. : L’un des aspects les plus réussis de « Métamorphose » est la diversité des trois artistes contemporains inclus dans le projet – pas seulement à titre comparatif, mais parce que différents champs de création étaient pris en compte.

B.L. : Dans « Métamorphose », l’artiste britannique Mark Wallinger proposait une installation comprenant une salle de bains ; les visiteurs pouvaient y épier une femme nue prendre son bain au travers d’œilletons. Comment interprétez-vous cette œuvre ?
N.P. : Lorsque j’ai appris ce qu’il avait prévu, nous avons parlé des notices d’avertissement à afficher. Mais ensuite j’ai vu l’œuvre. Et j’ai compris que Diana était manifestement une œuvre d’art sérieuse, qui vous faisait réfléchir sur le pourquoi et le comment du regard – si évidemment sérieuse qu’il aurait été absurde de s’en inquiéter. Il y a beaucoup d’exemples d’art contemporain qui sont assez proches, mais en réalité bien moins excitants, de la tendance sensationnaliste du divertissement populaire. Mark Wallinger n’est pas un artiste que l’on peut dénigrer par ce biais.

B.L. : Vous avez déclaré que l’acquisition et la présentation d’art contemporain dans les musées remplaçaient l’évaluation critique, et vous doutez de la croyance du marché selon laquelle la réputation des artistes dans les musées ne « sera jamais remise en question ».
N.P. : J’ai remarqué que The Art Newspaper [notre partenaire éditorial] propose des études assez intéressantes sur la valeur de Warhol, Koons ou d’autres au cours de la dernière décennie. Mais si vous remontez aux années 1950, vous trouverez sans doute qu’Utrillo vendait encore bien, alors qu’aujourd’hui il est difficile de savoir que faire d’un Utrillo. L’un des artistes les plus à la mode et les plus cotés des années 1960 en France était sans conteste Bernard Buffet, mais je ne crois pas que ces œuvres soient les bienvenues en maisons de ventes aujourd’hui… Et Morris Louis aux États-Unis ; vous souvenez-vous de Morris Louis ? Je ne vois pas en quoi la peinture moderne serait différente de la poésie moderne, et je ne pense pas non plus qu’un grand pourcentage d’œuvres contemporaines seront estimées très haut dans une centaine d’années, qu’elles soient peintes ou écrites. Les gens se leurrent en pensant que cela ne sera pas le cas avec la peinture, sinon je ne pense pas qu’ils paieraient de tels prix. Si l’on en prenait conscience, les artistes contemporains vivraient dans un monde beaucoup plus sain. Ce n’est pas que je ne veux pas que les artistes ne gagnent pas beaucoup d’argent, mais l’idée d’une reconnaissance rapide sur le plan de l’histoire de l’art ne saurait être bon.

B.L. : Pouvez-vous proposer un modèle différent pour les musées d’art moderne ? Vous n’allez évidemment pas commencer une collection d’art contemporain à la National Gallery.
N.P. : Non, nous sommes d’ailleurs assez contents de ne pas en faire collection. Mais nous sommes très contents d’en présenter, et ce faisant l’objectif atteint est double. D’abord, les œuvres contemporaines en rapport avec l’art [de la collection du musée] insufflent de la vie aux œuvres anciennes, et cela est très important. Ce qui compte aussi à mes yeux, même si c’est moins visible, c’est que les artistes eux-mêmes y gagnent. C’est un juste retour aux origines de la fondation de la National Gallery.

B.L. : Beaucoup d’artistes ont affirmé que, pour eux, la National Gallery était un endroit libérateur.
N.P. : C’est ce que nous espérons, et cela pourrait bien être vrai. Mesurer l’assimilation du passé est toujours difficile pour un artiste. Mais si vous voulez faire quelque chose d’original et être complètement déprimé, la meilleure chose à faire est d’aller dans un musée d’art moderne. Historiquement, les artistes modernes ont très rarement été inspirés par les œuvres anciennes auxquelles les conservateurs et directeurs de musée pensaient. Le fait que la National Gallery possède de grands Titien ne signifie pas que les peintres britanniques ont produit des œuvres « à la Titien ». Or, dès que le musée a acquis des peintures italiennes primitives, au XIXe siècle, et aussi le Portrait du couple Arnolfini de Van Eyck – un chef-d’œuvre, mais considéré comme éloigné du canon –, l’effet sur les jeunes artistes fut explosif, comme on peut le voir avec les travaux des préraphaélites.

B.L. : Vous avez émis des critiques au sujet des commandes d’œuvres contemporaines pour le « quatrième pilier » sur Trafalgar Square. Pour quelles raisons ?
N.P. : Je suis très inquiet à propos du sort réservé à Trafalgar Square. L’idée de transformer régulièrement cette place publique en lieu événementiel, le plus souvent de nature commerciale, est un changement fondamental de la destination originelle de cette place qui n’est clairement pas dans l’intérêt de la National Gallery. Vous avez ici l’une des premières attractions culturelles d’Europe, avec cinq millions de visiteurs par an, et les responsables officiels de la place s’efforcent de créer des séries d’infrastructures qui bloquent la vue sur le musée et gênent l’accès du public. Nous appliquons les règles de l’urbanisme les plus strictes du pays en ce qui concerne les ajouts architecturaux permanents à un bâtiment historique, mais entraver un tel bâtiment avec des tentes voyantes et des panneaux publicitaires, un week-end après l’autre, est pourtant autorisé. L’usage actuel du Quatrième pilier est tout aussi contradictoire : il transforme un élément architectural en un piédestal, qui peut être utilisé de manière ironique, comique et inappropriée. La place ne devrait plus être centrée sur la Colonne de Nelson, que l’on ne peut pas considérer comme un chef-d’œuvre de l’architecture ou de la sculpture. Quant aux deux piliers nord, nous devrions y mettre deux œuvres contemporaines de profil architectural bien assorties – peut-être des trophées modernes ou quelque chose de la sorte.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°379 du 16 novembre 2012, avec le titre suivant : L'actualité vue par Nicholas Penny - Directeur de la National Gallery à Londres

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