L'actualité vue par

L’actualité vue par François Trèves

Président de la Société des amis du Musée national d’art moderne

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 22 novembre 2002 - 1499 mots

Président de la Société des amis du Musée national d’art moderne, à Paris, François Trèves est également secrétaire général de Paris Musées. Depuis peu, il est aussi président du Fonds régional d’art contemporain (Frac) Bretagne. Il commente l’actualité.

Au mois de décembre, Jean-Jacques Aillagon doit annoncer l’ouverture d’une antenne du Centre Georges-Pompidou en région. La Lorraine semble être pressentie pour l’accueillir. Quel est votre sentiment sur cette initiative ?
J’ai toujours défendu avec beaucoup d’intérêt l’idée que le Centre Pompidou était un vecteur artistique, mais aussi un outil pour faire connaître la puissance culturelle de la France. Le Centre possède 55 000 œuvres, cela en fait un des premiers musées d’art moderne et contemporain mondial. L’art n’a pas de frontières, mais il n’en reste pas moins que la capacité de la France à détenir de pareilles collections prouvent sa stature dans ce domaine. J’ai toujours espéré que l’on pourrait se développer internationalement. Il ne s’agit pas de faire une copie du Guggenheim, mais bien de présenter le plus possible nos collections et de le faire le mieux possible. L’idée d’un deuxième lieu est donc souhaitable. Sa place est vraiment une question de stratégie. Il est vrai que l’est de la France offre une situation centrale dans le cadre de l’Europe. Cela aurait un sens national mais aussi international. L’arrivée de notre nouveau président, Bruno Racine, qui me réjouit, va dans ce sens.

Le Musée national d’art moderne vient de renouveler l’accrochage de ses collections contemporaines. Que pensez-vous de ces renouvellements rapides ?
Alfred Pacquement en a fait une de ses priorités. Cela correspond aussi à quelques-unes de mes idées, celle, entre autres de toujours voir les œuvres. C’est une vraie catastrophe de penser qu’il puisse y avoir des collections entières qui ne sont pas mises à disposition du public. Lors de l’exposition “Passions Privées”, organisée en 1995 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, j’avais eu l’occasion de faire un petit commentaire sur ce sujet : une œuvre dans un coffre est un crime, l’œuvre ne commence à vivre qu’à travers le regard. Tout ce qui amène à voir les collections est important, comme tout ce qui permet de montrer l’art réalisé en France. Notez que je n’emploie pas le terme “art français”, il exprime des connotations qui ne me plaisent pas tellement.

Parallèlement à ce nouvel accrochage, le Musée national d’art moderne accueille dans ses salles les quatre œuvres de la collection d’Alex Maguy Glass, rentrées par dation dans ses collections. La dation est un dispositif fiscal qui a fait ses preuves quant à l’enrichissement des collections publiques. Parmi les chantiers du ministère de la Culture, figure la mise en œuvre de mesures supplémentaires, aptes à encourager l’initiative privée dans le domaine culturel. Cette volonté a été encore soulignée par Jean-Jacques Aillagon lors de la présentation de son budget à l’Assemblée nationale le 15 novembre dernier. Quelles sont vos attentes ?
Je crois que c’est une des meilleures nouvelles que l’on puisse avoir, et nous pouvons pleinement faire confiance à Jean-Jacques Aillagon pour obtenir des résultats tangibles rapidement. Cela fait beaucoup d’années que le mécénat est au premier plan de nos réflexions. Personnellement, j’ai participé en 1988 à des améliorations – certes limitées – de la loi sur le mécénat. Aujourd’hui, il faut que les entreprises puissent agir d’une manière efficace, en déduisant de leurs résultats la totalité des actions qu’elles mènent. Concernant les particuliers, ce qui a été fait avec la relève du plafond de dégrèvement est à poursuivre. Troisième point, il faut arrêter chaque année de revenir sur la question de l’inclusion des œuvres d’art dans le calcul de l’impôt sur la fortune. Cela rendrait les amateurs moins frileux. Quand on parle du mécénat, il y a deux problèmes : celui de la fiscalité, mais aussi celui de l’environnement, la manière dont les gens aujourd’hui envisagent cette action. Il y aurait lieu de faire un pas en avant pour qu’un mécène soit reconnu, qu’il ne soit pas juste considéré comme quelqu’un qui a des moyens. Un mécène fait un geste fort. Il faut créer l’envie en France du mécénat. Ce n’est pas facile.

La Société des amis du Musée national d’art moderne répond justement à ce désir. Quels sont vos projets récents dans ce cadre ?
Avec Alfred Pacquement, nous avons créé le “Projet pour l’art contemporain”, qui consiste à réunir une vingtaine d’amateurs dont les dons permettent d’effectuer des achats en concertation avec le musée. Grâce à cela, nous avons acheté en 2002 une peinture de Carole Benzaken, qui est d’ailleurs présentée dans le nouvel accrochage, une vidéo de Salla Tykkä, une œuvre d’Ernesto Neto, et une quatrième pièce pour laquelle le choix n’a pas encore été entériné. Il est important d’avoir une action forte, dynamisante et enrichissante. Deuxième événement, les cent ans de la société, créée en 1903 sous le nom de “Société des amis du Luxembourg”. Nous voulons rappeler que le Musée national d’art moderne a été composé en grande partie de donations, et retracer l’historique des grands collectionneurs du XXe siècle, pour que la reconnaissance de ces derniers soit assurée. Autre événement pour cet anniversaire, nous comptons offrir au musée une œuvre à sa hauteur.

La rentrée semble être la saison des prix. Le prix Marcel-Duchamp vient en effet d’être remis à Dominique Gonzalez-Foerster, le prix Ricard S.A. à Boris Achour, le prix Gilles-Dusein à Éric Baudard, et le prix Altadis a récompensé comme chaque année six artistes français et espagnols. Tous ces prix sont assez récents ; sont-ils, selon-vous, le signe d’un intérêt croissant pour la jeune création de la part de la société civile ?
Toutes ces manifestations sont souhaitables. Encore faut-il qu’il y ait une certaine coordination. Il faut se méfier d’un trop grand éclatement des moyens existants, car, au final, nous n’avons plus la capacité de faire reconnaître à l’étranger les artistes qui vivent en France. Cela reste un grand souci. Pourquoi n’avons-nous pas suffisamment de reconnaissance ? Il faudrait avoir la capacité de soutenir davantage les artistes à un niveau international. Ne restons pas franco-français. Pendant toute la deuxième moitié du XXe siècle, nous avons connu des personnalités qui, artistiquement, devançaient les artistes américains. Alors, pourquoi n’ont-ils pas “explosé” ? Malheureusement, c’est aussi une question de puissance financière. Aujourd’hui, on a vraiment l’impression qu’il se passe quelque chose, mais nous avons eu une génération un peu sacrifiée, il faut se l’avouer.

Vous êtes depuis peu président du Fonds régional d’art contemporain (Frac) de la Bretagne. En 2003, les Frac fêteront leur vingtième anniversaire avec une série d’expositions. Pensez-vous que ces institutions, aujourd’hui riches de collections qualifiables “d’historiques”, soient vraiment différentes des musées ?
C’est vrai qu’il s’est créé des collections importantes. Vous savez effectivement qu’on parle désormais des “Frac de la deuxième génération”. Alors, la différence ? Les Frac ont dans leur mission originelle le soutien de la création et du tissu artistique, leur environnement, les artistes, les galeries. Aujourd’hui, la question se pose pour le Frac Bretagne – c’est en partie pour cela que j’en suis devenu président – de construire un nouveau lieu à Rennes. Cette installation répondrait aussi à la mission de diffusion des Frac, celle de permettre à un public élargi d’avoir accès à un savoir d’habitude centralisé. Mais quelle sera la différence avec un musée ? La partie documentation et pédagogique est centrale. J’en veux pour exemple la situation actuelle. Le Frac est décentré, situé à Châteaugiron, mais, la dernière fois que j’y suis allé, il y avait vingt-cinq étudiants en train de faire des recherches !

La Fiac a fermé ses portes sur un bilan satisfaisant, mais qui marque un net recul quant aux achats d’œuvres à des prix importants, et les premiers résultats des ventes d’art moderne de New York ont, eux, montré une tendance à la baisse. En tant qu’amateur, comment ressentez-vous l’état général du marché de l’art ?
Je suis très mal placé pour parler de cela, car je n’ai jamais regardé l’art sous la forme d’un marché. Je préfère le terme d’amateur à celui de collectionneur. Je n’ai jamais pensé à des problèmes de valorisation. Ce qui compte au regard de l’histoire, c’est la notoriété. Le temps remet les choses dans une juste perspective. Cela s’est toujours passé ainsi. Il en sera de même concernant les excès de notre époque. En ce qui me concerne, les œuvres que j’ai pu acquérir ne m’ont jamais quitté, privilégiant dans mes achats des artistes que j’ai bien connus, Henri Michaux, Jean Dubuffet, ou mon ami proche Gérard Singer...

Quelles expositions ont attiré votre attention récemment ?
Bien sûr, la très belle exposition d’Anselm Kiefer chez Yvon Lambert. Ensuite, je ne vais pas vous parler de toutes les expositions si réussies du Centre Pompidou, “Beckmann”, “Sonic Process”... L’intervention d’Alain Séchas à la chapelle de la Salpetrière était formidable, drôle. Mais c’est difficile de citer des noms, pourquoi celui-ci et pas celui-là ? La Société des amis organise trois événements par semaine, des expositions, des visites d’ateliers, c’est dire si nous sommes attentifs à la vie contemporaine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°159 du 22 novembre 2002, avec le titre suivant : L’actualité vue par François Trèves

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