La nouvelle vie des « décentralisés »

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 juin 2008 - 1075 mots

Écoute, proximité, moyens nouveaux : les responsables des quelques châteaux qui ont fait l’objet d’une procédure de transfert aux collectivités se réjouissent de leur nouveau statut.

Le transfert d’un certain nombre de monuments historiques appartenant à l’État vers les collectivités locales est-il une chance pour le patrimoine ? C’est ce que semble indiquer le sort des quelques monuments qui ont déjà changé de main depuis le 1er janvier 2007. Parmi eux se trouvent moins d’une dizaine de châteaux. « Le Centre des monuments nationaux (CNM) est une machine infernale, note un observateur. Il s’est toujours concentré sur les grands monuments rentables en se contentant d’une péréquation sur les plus petits, situés notamment en régions. Le système est à bout de souffle ». La baisse des crédits affectés à l’entretien et à la restauration du patrimoine, chronique depuis plusieurs années, n’a fait qu’accentuer le malaise. Des grands monuments, l’État n’en a pourtant guère proposé aux collectivités locales. À l’exception d’un seul, qui était aussi l’un des plus rentables pour le CNM avec plus de 500 000 visiteurs par an : le château du Haut Kœnigsbourg, cédé au département du Bas-Rhin. Sa décentralisation, négociée par l’ancien président du Conseil Général, le sénateur Philippe Richert (UMP), auteur de plusieurs rapports sur le patrimoine, avait valeur de symbole dans la seule région restée aux couleurs de la majorité lors des élections régionales de 2004. Pour le département, qui mène, par ailleurs, une active politique patrimoniale, ce nouveau fleuron « devra jouer le rôle évident de produit d’appel et de moteur, capable de diffuser sur le territoire une partie de son important public ». Les élus ont donc compris que le patrimoine avait aussi une valeur économique. Autre grand château à avoir été cédé, Chaumont-sur-Loire (Loir-et-Cher), a été repris par la région Centre. S’il est nettement moins fréquenté avec ses 80 000 visiteurs annuels, l’arrivée du château dans le giron de la Région a permis de le rapprocher de son voisin, le Conservatoire international des jardins et son célèbre festival, installés dans les anciens jardins du Domaine, et qui lui attire près de 150 000 visiteurs par an. Un Établissement public de coopération culturelle (EPCC), doté par la Région et le département, et autofinancé aux trois quarts, a été mis sur pied pour assurer la gestion du site. L’État s’est néanmoins engagé à financer les travaux de restauration du château prévus dans les 5 ans à venir à hauteur de 50 %. De son côté, la Région investira, dès 2009, 12 millions d’euros dans le projet du « Grand Chaumont », destiné à développer le domaine et à en améliorer l’offre en termes d’accueil (résidences d’artistes, parkings paysagers…), avec l’objectif d’atteindre les 300 000 visiteurs annuels. « Depuis la réunion des deux entités, les frontières ont été abolies, les visiteurs peuvent circuler librement entre le festival et le château », souligne Chantal Colleu-Dumont, la nouvelle directrice du domaine. Son projet culturel s’articule autour de trois axes : une mission patrimoniale ; l’organisation du festival des jardins et un projet d’art contemporain sur le thème « art et nature ».

Changement de propriétaire
Si le mouvement de décentralisation n’a pas rencontré le succès escompté auprès des collectivités, méfiantes quant aux charges que représentent l’entretien et l’animation de tels monuments, d’autres châteaux moins connus ont également trouvé preneurs : ainsi de Tarascon (Bouches-du-Rhône), Campagne (Dordogne), Châteauneuf (Côte d’Or), La Hunaudaye (Côtes d’Armor) et bientôt Château-Gaillard sur la commune des Andelys (Eure). À chaque fois, les collectivités ont présenté un projet spécifique et se sont engagées à ne pas privatiser le monument. Depuis six mois, le château du Roi René, imposant édifice médiéval qui surplombe le Rhône, a lui aussi changé de propriétaire : l’État l’a cédé à la commune de Tarascon (14 000 habitants). Pour le nouveau conservateur du château, Aldo Bastié, cette proximité avec la Ville est une chance pour le monument, désormais géré en régie directe. « Quand je suis arrivé, le château était un immense pigeonnier, déplore ce dernier. Il a fallu mener un gros travail de mise en sécurité et de nettoyage du site. Mais maintenant, la mairie et les services municipaux interviennent directement pour régler tous les problèmes de la vie du château ». Pour la municipalité, l’objectif était d’abord de recréer des liens avec la population locale. « La demande sociale était très forte, souligne le conservateur, or le château s’était coupé de la ville. Il était devenu un véritable Fort Chabrol ». Un programme d’événements et une gratuité destinée aux habitants ont permis d’attirer à nouveau les Tarasconnais vers leur château. Si le transfert a été l’un des sujets sensibles des dernières élections municipales, Tarascon avait toutefois une chance : l’édifice, même s’il a été mal entretenu, est l’un des rares à être en très bon état de conservation.
Tel n’était pas le cas du château de La Hunaudaye, situé à Plédéliac, une commune du département des Côtes d’Armor, devenue propriétaire des lieux depuis le 1er septembre 2007. Le transfert, retardé de quelques mois, n’a été accepté qu’après achèvement des travaux de restauration du château, que le département a refusé de prendre à sa charge. Car avec 15 000 visiteurs par an, le site ne sera pas la poule aux œufs d’or de l’économie touristique locale. Mais le département a souhaité ce transfert pour y conserver le centre pédagogique existant. Des raisons affectives ont aussi été déterminantes : « Le président du Conseil général est un élu de ce canton, précise-t-on au sein de l’assemblée départementale. Il avait donc un attachement particulier pour le site ». De son côté, l’association, qui gère le site depuis 1976, se réjouit de cette décision. « C’est une aubaine et une facilité pour l’avenir, explique Françoise Le Moine, sa responsable. Le Conseil général est plus proche, plus à l’écoute que la Conservation régionale des monuments historiques qui était notre interlocuteur et qui n’avait qu’une vision conservatrice du site, sans se préoccuper de l’animation ».
Pour l’heure, cette nouvelle proximité semble donc donner satisfaction à tous les acteurs de terrain qui gèrent désormais ces monuments. Et à ceux qui se méfieraient de l’alternance politique et de leurs effets sur la continuité des projets, Aldo Bastié, qui a travaillé une quinzaine d’années pour le ministère de la Culture au sein du CNM, répond sans ambages : « Mais le problème est le même avec les changements de ministres : quand l’un soutient le patrimoine, son successeur fait l’inverse ! » Triste réalité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°284 du 20 juin 2008, avec le titre suivant : La nouvelle vie des « décentralisés »

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