Diplomatie culturelle - Soft power

La nouvelle feuille de route de l’influence française

Par Olympe Lemut · Le Journal des Arts

Le 22 février 2022 - 1145 mots

PARIS

Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a présenté le 14 décembre 2021 les lignes de force et les six priorités stratégiques du réseau d’influence de la France pour la prochaine décennie. Parmi ces priorités : la francophonie, l’Afrique, le numérique et les industries créatives.

Programme "Accès culture" de l'Institut Français : soutiens aux projets culturels en Afrique et lien social. Ici, atelier de Parakou (Bénin) avec des enfants. © Institut Français
Programme "Accès culture" de l'Institut Français : soutiens aux projets culturels en Afrique et lien social. Ici, atelier de Parakou (Bénin) avec des enfants.
© Institut Français

Paris. Les termes employés par Jean-Yves Le Drian donnent le ton : il faut renforcer « le désir de France » et « les offres de France » auprès des partenaires étrangers. Derrière cette rhétorique volontariste du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères se déploient des priorités et des actions ciblées pour consolider la diplomatie d’influence de la France, en s’inspirant manifestement d’une note de la commission des Affaires étrangères du Sénat publiée en novembre 2021. Après avoir dressé un bilan globalement positif de l’influence française, malgré la crise sanitaire, la feuille de route propose une stratégie « plus offensive » afin que la France « assume qui elle est ». Si la culture occupe une place non négligeable dans cette stratégie, les aspects économiques et politiques restent essentiels.

Le mot d’ordre pour cette stratégie pourrait être : « valoriser la marque France », c’est-à-dire promouvoir une identité forte identifiable à l’international : c’est déjà le cas dans les Instituts français et Alliances françaises qui dispensent des cours de français sous un label commun. Plusieurs grandes priorités guident la stratégie en prenant appui sur des valeurs « françaises », mais ces priorités n’ont rien de vraiment nouveau, puisque la langue française, l’Afrique et la jeunesse en font partie. Le continent africain reste en effet une des priorités géographiques (avec le Pacifique), dans la continuité de la saison « Africa 2020 » en France, et des nombreux projets de développement menés par l’AFD (Agence française de développement). Lors du sommet Afrique-France qui s’est tenu à Montpellier en octobre 2021, le président de la République, Emmanuel Macron, annonçait ainsi la création d’un « Fonds d’innovation pour la démocratie en Afrique » et d’une « Maison des mondes africains et des diasporas » à Paris. En parallèle, la France multiplie les actions destinées à la jeunesse, avec des sommets internationaux, des programmes d’enseignement du français (autre grande priorité) et des bourses d’études. Étrangement la feuille de route n’évoque pas les projets culturels en Afrique, alors que la France mène par exemple des campagnes de fouilles archéologiques au Soudan, au Bénin, en Éthiopie, au Congo…

Une des autres priorités est le numérique, car selon le MEAE (ministère de l’Europe et des Affaires étrangères), « l’espace numérique doit devenir la nouvelle frontière de notre diplomatie d’influence ». Promouvoir la French Tech et ses start-up ; créer des « communautés numériques »à l’étranger ; moderniser le fonctionnement des opérateurs culturels par le numérique, mais aussi lutter contre la désinformation en ligne : ici le réseau diplomatique français et les opérateurs devront innover rapidement. Pour autant, comme le souligne la note du Sénat, « la numérisation ne doit pas devenir le prétexte à un recul des implantations physiques du réseau culturel ». L’articulation entre numérique et présence physique ressort d’ailleurs dans plusieurs chapitres de la feuille de route du MEAE, mais le document n’évoque pas clairement l’ouverture de nouveaux Instituts français, contrairement aux préconisations du Sénat.

Six objectifs stratégiques

Quels sont les objectifs du réseau d’influence français, une fois réaffirmés les principes fondateurs ? La feuille de route en définit six, avec un certain nombre de données chiffrées. Tout d’abord la langue française, avec une estimation de « 750 millions de locuteurs en 2050 », principalement en Afrique. Il s’agit de doubler le nombre d’établissements scolaires français à l’étranger, et de finaliser le rapprochement entre l’Institut français de Paris et la Fondation des Alliances françaises, un sujet épineux qui traîne en longueur. Sur ces deux points, le Sénat insistait pour que soient prises des mesures fortes.

Deuxième objectif, l’enseignement supérieur et la recherche : côté chiffres, la feuille de route prévoit« 500 000 étudiants étrangers en France en 2027» grâce au programme « Bienvenue en France ». Parmi les pays ciblés par ce programme se trouvent la Chine et l’Inde, qui envoient déjà beaucoup d’étudiants finir leur cursus en France. Le Sénat notait que « l’accueil d’étudiants étrangers est un investissement en termes d’influence » et préconisait d’augmenter le nombre de bourses et de mieux coordonner l’accueil de ces étudiants. Les deux documents omettent pourtant de préciser que les droits d’inscription ont quasiment décuplé pour les étudiants étrangers en 2020.

Concernant le patrimoine, la diplomatie d’influence doit « mettre l’archéologie et le patrimoine au service de la stabilité, du développement et de la protection des minorités », selon le MEAE, une formulation inattendue. Il s’agit surtout ici du rôle de la fondation Aliph pour le patrimoine dans les zones en conflit, cofondée en 2017 par la France et les Émirats arabes unis : l’Aliph vient de réaliser une deuxième levée de fonds, et constitue un outil central dans la diplomatie culturelle française en permettant des projets de coopération universitaire à l’international.

Côté culture contemporaine, la feuille de route préconise de relancer les ICC (industries culturelles et créatives) à l’exportation, dans une optique clairement économique : l’adjectif « offensive » vient ici encore caractériser la stratégie envisagée. Parmi les nouveautés, on note que l’Agence France-Muséums se verra confier un mandat « fonctionnel et géographique pour contribuer à la projection de l’expertise française » dans ce domaine. Initialement créée pour répondre aux demandes d’ingénierie culturelle, cette agence diversifie désormais ses activités, non sans entraîner un rééquilibrage des opérateurs publics. En effet, l’Institut français de Paris a lancé en novembre 2021 « IFdigital », une plateforme destinée à promouvoir les ICC numériques à l’export (lire le JdA no 577, 12 nov. 2021), mais la feuille de route ne le mentionne pas.

Un consortium entre l’Institut du monde arabe et les Instituts français de recherche à l’étranger

Le quatrième objectif concerne les médias, avec comme priorité le continent africain et les pays arabes, notamment du point de vue des langues locales. Ce focus sur les pays arabes se retrouve d’ailleurs dans plusieurs autres objectifs énoncés, comme le cinquième qui concerne les think tank et « la diplomatie des idées ». La feuille de route prévoit une plus grande coopération avec des structures étrangères, en particulier pour la création de l’ « Institut français d’islamologie » voulu par l’Élysée et officialisé le 2 février dernier. Au même chapitre est annoncée la création d’un consortium liant l’Institut du monde arabe (IMA, Paris) et les Instituts français de recherche à l’étranger (IFRE) présents dans les pays arabes, sous la tutelle du MEAE. Ce consortium serait « au service des objectifs diplomatiques pour la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient », un rôle que les chercheurs des IFRE n’endosseront pas forcément de bon cœur !

Pour conclure, la feuille de route préconise de renforcer l’attractivité de la France auprès des organisations internationales, en les incitant à s’installer à Paris grâce à l’octroi d’immunités diplomatiques. Le MEAE vise donc des objectifs assez ambitieux, et a d’ailleurs obtenu lors du projet de loi de finances pour 2022 une augmentation significative du budget de son programme 185, qui finance la diplomatie culturelle et d’influence française.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°583 du 18 février 2022, avec le titre suivant : La nouvelle feuille de route de l’influence française

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