Italie - Biennale

La France prend soin de Sophie Calle

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 28 août 2007 - 665 mots

VENISE / ITALIE

Représentante de la France à la Biennale de Venise, l’artiste fait d’un épisode de sa vie privée l’objet d’une analyse commentée par une centaine de ses semblables.

On dit de Venise qu’elle est la ville des amoureux. Sophie Calle, invitée de la France à la Biennale, en a fait celle d’une rupture. Non point vécue sur place, mais analysée et commentée par une centaine de femmes au simple lu d’une lettre reçue par l’artiste à Berlin lors du vernissage d’une de ses expositions. Ce recours à l’autre, Sophie Calle le justifie en disant qu’elle ne savait pas comment répondre. « Une façon de prendre de la distance aussi. » Le choix exclusif des femmes, elle l’explique parce que « cette lettre est écrite par un homme à une femme » et que sa teneur en est caractéristique.

Une « simple » lettre de rupture
« Prenez soin de vous. » Lapidaire, la formule qui termine la lettre et que Sophie Calle a choisie pour titre de sa pièce est inscrite en lettres de néon à l’entrée du pavillon français transformé en un petit théâtre. Si elle en dit long sur l’attitude tout à la fois froide et attentionnée de l’expéditeur, elle est surtout l’expression d’une situation éminemment triviale. Quoi de plus banal en effet qu’une lettre de rupture ? De plus communément mortel. Depuis près de trente ans qu’elle est apparue sur la scène artistique, Sophie Calle se saisit de tels cas de figure et, par la magie de son art, s’applique à en faire les prétextes d’une œuvre.
Venise, Sophie connaît bien : elle y avait réalisé son premier projet en se faisant engager comme femme de chambre dans un hôtel, de manière à pénétrer incognito l’intimité des clients. Pour cette 52e Biennale, elle nous invite à nouveau à mesurer les tréfonds d’une histoire privée. Non celle de glorieux anonymes, mais la sienne propre. Non une histoire en devenir, mais en phase finale. Non décryptée par elle, mais par ses semblables auxquelles cette lettre aurait pu tout aussi bien être adressée.
À l’invitation de l’artiste, toute une cohorte de figures féminines – Marie Desplechin, Jeanne Moreau, Arielle Dombasle, Mazarine Pingeot, Florence Aubenas… – a passé au crible la fameuse lettre. Les points de vue sont légion : stylistique, graphique, analytique, sémantique, romantique, psy, etc. Photos et vidéos des lectrices, textes de leurs analyses constituent la « forme » de l’œuvre de Sophie Calle. ­Conçue par Daniel Buren, retenu comme commissaire de son exposition à l’issue d’une petite annonce, la scénographie en appelle à un accrochage dense mais minimal et quelque peu esthétisant.
D’aucuns trouveront qu’il y a trop à lire et pas assez à voir. Il est vrai que les expositions de Sophie Calle privilégient le littéraire et qu’elles se présentent toujours sur le mode du livre ouvert. Mais l’erreur serait de ne pas accorder d’importance à l’image tant l’artiste sait parfaitement gérer les relations entre les deux supports. L’image n’opère jamais en illustration de l’écrit, mais tous deux contribuent à l’amplification du sens de sorte qu’ils sont pleinement indispensables à l’intelligence de l’œuvre.
C’est ce qu’a bien compris Buren dont la mise en espace surenchérit cette osmose. La dimension dramatique du propos y est livrée au regard dans une étroite relation d’intimité qui ne peut échapper au spectateur. Celui-ci ne peut manquer de se prendre au jeu de l’interprétation et finalement de constituer la sienne propre, ce qu’espérait assurément Sophie Calle. Partie gagnée.

Pavillons (suite)

Ancienne république yougoslave de Macédoine: Blagoja Manevski.
République de Slovénie: Tobias Putrih.
République tchèque et Slovaquie : Irena Juzovà.
Roumanie : Victor Man, Cristi Pogacean, Mona Vatamanu & Florin Tudor.
Royaume-Uni : Tracey Emin.
Russie: AES F (Tatiana Arzamasova, Lev Evzovich, Evgeny Svyatsky Vladimir Fridkes), Andrey Bartenev, Arseny Mescheryakov, Julia Milner, Alexander Ponomarev, Georgy Frangulyan.
Serbie : Mrdjan Bajic.
Singapour : Vincent Leow, Jason Lim, Zulkifle Mahmod, Da Wu Tang.
Suisse : Yves Netzhammer, Christine Streuli, Urs Fischer, Ugo Rondinone.
Syrie : Bassem Dahdouh, Nasser Naassan Agha, avec Dario Arcidiacono, Stefano Bombardieri, Renato Mambor, Philippe Pastor, Donato Piccolo, Concetto Pozzati, Alfredo Rapetti.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°594 du 1 septembre 2007, avec le titre suivant : La France prend soin de Sophie Calle

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