Frac

La croisade des Fracs

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 22 mai 2012 - 1044 mots

Les collections des Frac s’étoffent lentement mais sûrement, en dépit de subventions inadaptées à leur vocation.

La stabilité des budgets d’acquisition des Fonds régionaux d’art contemporain (Frac) n’est qu’apparente. En réalité, compte tenu de l’inflation des prix de l’art contemporain, leur pouvoir d’achat est en baisse. Certaines régions ont beau réaffirmer leur détermination à mettre l’art et la culture au cœur de leur politique, leurs efforts budgétaires ne seront jamais suffisants pour répondre aux exigences du marché. Avec une enveloppe moyenne de 150 000 euros (moins de 100 000 euros pour les moins bien dotés, jusqu’à 300 000 euros pour les plus chanceux), les Frac ont depuis longtemps tiré un trait sur la possibilité d’opérer des achats significatifs. Entre reporter un budget d’une année sur l’autre, faire appel à du mécénat, bénéficier de dons, se montrer âpre négociateur, donner sa chance à des jeunes pousses, redonner une opportunité à des artistes négligés ou encore jeter son dévolu sur des multiples par définition moins chers, toutes les solutions sont bonnes. Et la liste des emplettes sera toujours le fruit d’une mûre réflexion.

Qu’un Frac ait une politique d’acquisition dite « généraliste », ou qu’il favorise un domaine spécifique (le son pour la Franche-Comté, le dessin pour la Picardie, l’architecture prospective pour le Centre, l’immatériel pour la Lorraine, les figures historiques pour le Frac Bretagne…), la vision et les goûts du directeur ou de la directrice ne sauraient être négligés dans le processus de sélection. « La moitié des propositions sont les miennes », explique Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin, se justifiant : « contrairement aux directeurs de Frac, tous les experts qui siègent au comité technique sont bénévoles ». L’énergique Limogeais ajoute cependant que pour que chaque acquisition soit assumée, elle doit être adoptée de manière unanime par le comité technique.

Prospection et prescription
Visites d’ateliers, visites d’expositions, de biennales et de foires, contacts avec les artistes et les galeristes, chaque directeur a son réseau propre où la région tient une bonne place. À chaque directeur son réseau, et à chaque Frac sa collection originale et unique qui se compose au gré des rencontres, des opportunités, ou encore des voyages qui permettent d’aller à la rencontre de scènes artistiques prometteuses. Faut-il pour autant parler d’une ligne d’acquisition subjective ? « C’est aussi le rôle du directeur que d’impulser des lignes, de donner une orientation », argue Béatrice Josse, directrice du Frac Lorraine. Laquelle révèle que plusieurs séjours en Colombie et en Uruguay dans le cadre de projets d’expositions, ou encore la visite de la Biennale d’Istanbul, ont largement influencé sa liste d’achats dressée l’année 2011 (Agnes Denes, Rice/Tree/Burial, 36 photographies digitales, 1968/2011 ; Alvaro Barrios, El Mar Caribe, 1971-2004). Directrice du Frac Bretagne (qui a vu son budget amputé depuis deux ans par une baisse des crédits de l’État, à laquelle la Région a mécaniquement fait écho), Catherine Elkar est plus pragmatique : « quand une collection existe, elle a sa vie propre et induit des cohérences ». Elle ajoute que le travail des Frac comme celui des Pays-de-Loire, sur les projets et autres productions d’œuvres trouvent très souvent leur place dans la collection en dehors des séances du comité technique. Et de rendre hommage aux membres dudit comité, dont le talent d’historien et de critique d’art est essentiel pour dénicher des œuvres qui ont échappé à l’attention du marché. La liberté de faire de la prospection est l’une des richesses des Frac, qui prend tout son sens à l’heure où leurs maigres portes-monnaies ne permettent qu’à de rares occasions de s’offrir des œuvres d’artistes qui ont passé le test du marché.

La réputation des fonds régionaux peut aussi peser lorsqu’ils ne traitent pas directement avec les artistes. Ainsi, une galerie peut-elle choisir de sacrifier ses prix pour voir l’un de ses poulains rejoindre une collection publique, et voir sa cote monter en conséquence. La plus belle récompense est sans doute de voir une perle dénichée prendre son envol, à l’image de Rainier Lericolais, entré au Frac Limousin en 2000, avant de passer chez Decimus Magnus Art (Bordeaux), puis chez Frank Elbaz (Paris). Lointain souvenir de l’époque où les Frac étaient encore prescripteurs.

La moisson du Fnac

En 2011, le Fonds national d’art contemporain a consacré 2,15 millions d’euros à ses achats, dont 1,35 million pour les arts plastiques. 75 œuvres, une cinquantaine d’artistes dont vingt rejoignent pour la première fois la collection riche de près d’une centaine de milliers de pièces. Parmi les achats d’importance, l’installation Goldbarrgorod de Nicolas Moulin, cinq sculptures du projet We the People de Danh Vo, Looking through blue de Mac Adams, et Damoclès de Pascale Marthine Tayou. Outre les artistes confirmés dont les ensembles s’étoffent (Ange Leccia, Philippe Cazal, Hamish Fulton, Mathieu Mercier, Dewar & Gicquel), les plus jeunes pousses ont été reconnues : Chloé Maillet et Louise Hervé, Benoît Maire, Théo Mercier et Mélanie Delattre-Vogt ont tous figuré dans l’exposition « Dynasty » au Palais de Tokyo, à Paris en 2010. Citons également Mathieu Cherkit, Aurélien Porte, Julien Berthier, David Lefebvre, Cédrick Eymenier, Jean-François Leroy, Marielle Paul, Gianni Pettena, Florence Reymond et les deux artistes indiennes Anita Dube et Zarina Hashmi.

Un legs sous condition
Lorsqu’en 2010, le Frac Limousin a reçu plus de neuf cents dessins du sculpteur tchèque, Jan Krizek (1985), léguée par sa veuve Jirina Krizek, l’institution a découvert les aberrations dont le système administratif peut faire preuve. Si l’ensemble surtout constitué de dessins préparatoires et de linogravures appartient, selon la définition convenue, au domaine de l’art moderne, ce legs a son sens car le couple avait trouvé refuge dans le Limousin dans les années 1960. Heureux destinataire du legs, le Frac apprend non sans surprise qu’il doit s’acquitter des droits de succession, soit 70 % de la valeur de la collection ! Après avoir envisagé de convertir ce legs en dation, en redonnant quelque six cent trente œuvres sur les neuf cents, le Frac est entré en résistance. « L’État nous verse une somme chaque année pour les acquisitions, et non pas pour la lui reverser sous la forme d’impôt ! », s’insurge Yannick Miloux, directeur du Frac Limousin. Dix-huit mois d’échanges de courrier plus tard, l’association a finalement, et non sans fierté d’avoir soulevé des montagnes, été exonérée de l’impôt de succession.

Lire les autres articles du dossier du Journal des Arts n°370 Embellie pour les acquisitions publiques
 

- Une belle moisson

- Ancrage territorial

- L’équation contemporaine
 

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°370 du 25 mai 2012, avec le titre suivant : La croisade des Fracs

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque