Patrimoine

La création dans les gènes du Garde-Meuble à la française

Par Sophie Flouquet · L'ŒIL

Le 11 mars 2011 - 1223 mots

Le Mobilier national est né du rapprochement des manufactures des Gobelins et de Beauvais. Une histoire qui inscrit l’institution dans une tradition de commande aux artistes encore bien vivante.

Une exception culturelle française. L’expression revient sans cesse pour qualifier cette vitrine du savoir-faire français dans le domaine des arts décoratifs qu’est le Mobilier national. Seule l’Autriche dispose, à une échelle moindre, d’un garde-meuble proche de l’exemple hexagonal. À la différence près que celui-ci ne peut s’appuyer sur un tel ensemble de manufactures, comme c’est encore le cas pour le Mobilier national français. 

Au fil du temps, ce qui est aujourd’hui un service du ministère de la Culture s’est en effet constitué par l’agrégation de différentes structures. Soit un garde-meuble, mais aussi des ateliers de restauration et plusieurs fabriques artisanales de très haut niveau, héritières de l’Ancien Régime. S’il est un lieu de conservation, le Mobilier national est donc bien resté un lieu vivant dédié aux arts décoratifs, où fourmille encore une armada de professionnels. 

« Il n’y a pas de frontière entre les missions de création et d’ameublement », confirme Arnauld Brejon de Lavergnée, le directeur de ces collections qui s’accroissent donc de manière continue. Cela en dépit des changements de régime auxquels cette institution régalienne, créée sous le règne de Louis XIV, a finalement réussi à survivre, malgré une brève dissolution en 1797. 

Sur les terres des Gobelins
Le site, en bordure d’une Bièvre aujourd’hui remblayée, n’a cependant pas toujours été occupé par le palais monumental en béton construit par Auguste Perret dans les années 1930. C’est dans ce quartier du faubourg Saint-Marcel qu’ont été installées les premières manufactures françaises de tapisserie, créées à l’initiative d’Henri IV pour concurrencer les importations flamandes. Le nom de « Gobelins » serait ainsi lié à une famille de teinturiers qui vendra plus tard ses terrains à la Couronne.

En 1662, perpétuant le grand dessein d’Henri IV, Colbert décide d’y regrouper les ateliers de tapisserie parisiens ainsi que ceux qui ont été créés par Fouquet à Maincy. Il leur adjoint également une manufacture de meubles, donnant ainsi naissance à la manufacture des Gobelins. La fabrique de tapis au point noué de la Savonnerie, créée par Henri IV et jadis installée au pied de la colline de Chaillot dans un ancien atelier de savonnerie – d’où son appellation –, sera relancée en 1663 pour servir les commandes royales. Son sort sera donc également lié aux Gobelins, même si le rattachement officiel n’interviendra qu’en 1826 – une unité de production existe également aujourd’hui à Lodève (Hérault).

Entièrement dédiés aux commandes royales et aux présents diplomatiques, les Gobelins connaîtront un véritable âge d’or sous la houlette de Charles Le Brun, premier peintre de Louis XIV. Le garde-meuble de la Couronne, créé parallèlement par Colbert en 1663 pour meubler les maisons du roi, aura logiquement partie liée avec les Gobelins, malgré des implantations distinctes. La situation financière difficile de la Couronne provoquera une fermeture du site de 1694 à 1695, mais les Gobelins renaîtront au XVIIIe siècle puis survivront aux différents régimes du XIXe siècle.

La manufacture de Beauvais
Il faudra toutefois attendre 1937 pour que Gobelins et Mobilier national, qui s’installe alors dans l’enclos historique de la manufacture, soient regroupés en une institution unique. Entre-temps, la manufacture de Beauvais est également entrée dans ce giron. Créée elle aussi en 1664 par Colbert, mais pour alimenter le marché privé – ce sont au final les commandes royales qui la feront vivre –, elle sera rapatriée à Paris en 1940 après l’incendie de ses bâtiments historiques et ne retournera à Beauvais qu’en 1989. 

Enfin, le Mobilier national gère aussi deux ateliers conservatoires de techniques destinés à préserver la dentelle à l’aiguille d’Alençon – la manufacture a été créée en 1665 pour concurrencer les productions vénitiennes – et la dentelle au fuseau du Puy-en-Velay. 

Dépoussiérer le Garde-Meuble
Autant de diversité fait donc du Mobilier national une institution unique. Depuis plusieurs années, cette belle endormie a toutefois progressivement entrepris une mue, grâce notamment à un vaste chantier de rénovation, initié par Jacques Toubon lors de son passage au ministère de la Culture. Ses vastes collections ont été peu à peu remises à l’étude et publiées, alors que les réserves ont été réorganisées et modernisées. « D’un point de vue patrimonial, c’est un lieu de découverte permanente », confirme Arnauld Brejon de Lavergnée. Rouverte en 2007, la galerie d’exposition, longtemps occupée par des métiers à tisser, permet à nouveau de présenter au public, par roulement, les joyaux des réserves. « Il nous faut désormais renouer avec un public d’amateurs après trente-cinq ans de fermeture de la galerie », explique Bernard Schotter pour préciser ce nouveau défi qui attend le Mobilier national.

En continuant à faire travailler les artistes vivants pour fabriquer des meubles et des tapisseries, la maison est par ailleurs toujours restée ouverte à la création. Mais sa vocation à ne travailler que pour l’État – même si quelques exceptions ont été faites, entre autres pour la reine du Danemark, la Knesset à Jérusalem ou un musée coréen – l’a aussi confinée dans la discrétion. Un sujet qui pourrait, peut-être, faire à nouveau l’objet d’un débat.

LA COLLECTION DE TAPISSERIES, FLEURON DU MOBILIER NATIONAL

« C’est un peu notre Joconde », estime Arnauld Brejon de Lavergnée en désignant la monumentale collection de tapisseries de l’institution. Car malgré des pertes dues à des incendies, en 1793 et 1871, cet ensemble comprend encore plus de 1 500 pièces, dont la moitié est encore déposée dans les palais nationaux. De quoi constituer une véritable « mémoire de la tapisserie française », selon l’expression du directeur des collections.

Des cartons originaux
Si l’âge d’or du règne de Louis XIV a permis de tisser des ensembles prestigieux, comme L’Histoire d’Alexandre ou L’Histoire du Roi, d’après Le Brun, Les Actes des Apôtres d’après Raphaël ou L’Histoire de Moïse d’après Poussin, le fonds a continué à être enrichi au XVIIIe siècle. Souvent déconsidérées dans l’histoire de la tapisserie pour avoir fréquemment produit de simples copies de tableaux, les productions du XIXe siècle apportent aussi leur lot de redécouvertes, avec des créations d’après des modèles de Chéret ou Redon. Ce « musée de la tapisserie » est aussi complété par les nombreuses créations contemporaines des manufactures. Autre redécouverte récente liée à cet ensemble : une collection encore largement à étudier de cartons peints, soit 10 000 numéros de modèles à grandeur des tissages à exécuter aux Gobelins ou à Beauvais.


ET SI LE GARDE-MEUBLE FAISAIT SON RETOUR A L’HOTEL DE LA MARINE ?

Si la nouvelle commission mise en place pour trouver un avenir à l’hôtel de la Marine, et présidée par Valéry Giscard d’Estaing, cherche un projet culturel pour les lieux, l’idée de se tourner vers le Mobilier national serait loin d’être incongrue. En effet, le prestigieux bâtiment, érigé en bordure de la place de la Concorde, a abrité au XVIIIe siècle le garde-meuble de la Couronne. Et dès son installation, une partie des espaces avaient été aménagés avec une logique muséale, comme un musée des Arts décoratifs donnant à voir les plus belles pièces créées pour la Couronne, faisant des lieux l’un des premiers musées du pays, avant même l’ouverture du Louvre. Si déménager l’ensemble du Mobilier national place de la Concorde est logiquement impensable, y exposer une partie de ses trésors méconnus prendrait en revanche tout son sens.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°634 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : La création dans les gènes du Garde-Meuble à la française

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