La collection s’éclate

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 2005 - 683 mots

Pour la première fois, la collection du Musée national d’art moderne abandonne sa présentation chronologique. « Big Bang » offre de nouvelles confrontations en s’affranchissant des contraintes de temps et de discipline.

Pour « Big Bang », le MNAM (Musée national d’art moderne/Centre Pompidou) se livre aujourd’hui à son tour à cet exercice consacré dans les grandes institutions modernes (la Tate Modern à Londres, le Museum of Modern Art à New York) de proposer un accrochage profondément renouvelé de la collection. Quel parti pris engager alors, sous les contraintes multiples, tant savantes que d’attention aux visiteurs de l’été et de responsabilité didactique ? L’équipe, menée par Catherine Grenier – responsable des collections contemporaines –, et associant cinq conservateurs à deux conseillers littéraires « maison », propose une présentation visible jusqu’en février 2006, date à partir de laquelle les travaux en cours à l’étage contemporain gagneront le cinquième. « Big Bang » remet en cause le parcours chronologique et les convergences historiques reçues en proposant d’autres articulations et regroupements, selon des axes thématico-formels qui transforment profondément le parcours de la collection et son rythme, malgré le compartimentage de la redoutable architecture de Gae Aulenti. Le tempo est celui d’une exposition, avec un accrochage très serré – parfois trop – dans la grosse quarantaine de salles du plateau. Quelle histoire alimente la liste de mots-clés qui font titre de salle ? Le scénario découpe le siècle moderne en huit sections, de la « Destruction », posée comme fondatrice de la modernité, au « Réenchantement », hypothèse rédemptrice qui tente de nuancer la vision noire que l’art donne de son siècle, en passant par « Construction/Destruction », « Archaïsme », « Sexe », « Guerre », « Subversion », « Mélancolie ». Entre fondements anthropologiques et état d’âme, cette trame se révèle diffuse et ambiguë, accordant une centralité parfois pesante à la figure humaine ; elle laisse cependant une autonomie interprétative suffisante aux œuvres, au niveau de la lecture historique en tout cas. En revanche, il y a dans les salles de nombreux moments problématiques, heureux et parfois moins, mais qui sollicitent tant une lecture active que le rapport immédiat : le pari de vivifier le regard sur la collection est globalement très largement gagné, avec ce parcours dirigé mais disponible. Briser la linéarité théâtrale de l’allée par une salle noire [pour le Bill Viola récemment acquis (Five Angels for the Millennium, 2001), pièce qui n’échappe pas à la tentation du sublime pompeux – voire pompier – de l’artiste américain] et par un espace de consultation (qui, lui, ressemble plutôt à une aire de pique-nique d’autoroute) n’était pas un mince défi. L’utilisation des nombreuses vitrines des couloirs réunissant soit des ensembles de dessins et/ou de photographies, soit des extraits de rayonnage d’une bibliothèque du XXe siècle, est bibliographiquement consistante mais sans doute un peu maigre comme objet d’exposition. Reste que l’effet d’accumulation dans certaines salles vient parfois alourdir des rapprochements analogiques trop faciles : la salle blanche qui, par le trop réduit le blanc à un tic, associant Arp, Castellani, Flavin, Klein, Malévitch, Manzoni, Morellet, Ryman, de vries et Le Corbusier… ; la salle qui signale le passage à l’horizontale malmène par étouffement Ulrich Rückriem, Carl Andre et César (dont la grande compression blanche est juchée sur un socle indéfendable). Mais ces réserves alimentent aussi le regard, comme l’intégration de maquettes d’architecture et d’objets de design, comme l’arythmie historique ou la (re-)découverte d’œuvres marquantes : le Diego Rivera (1938) venu de la vente Breton, l’installation de Cristina Iglesias de 2002, et encore, avec son impertinence entière, L.H.O.O.Q. (Marcel Duchamp, 1919) mis en dépôt au MNAM par le Parti communiste. Notez-le bien : il y a un nouveau musée à Paris ! Pour huit mois seulement !

Ils ont dit

« Bien sûr, il y a des passages, des voisinages discutables, mais aussi nombre de confrontations nourrissantes : le musée en prend un vrai coup de vivant, où l’appréciation sensible, au travers de la découverte de telle ou telle pièce, recoupe le regard analytique et relance la fonction pédagogique du musée. » Michel Salsmann, artiste et professeur à l’Ensba

BIG BANG, DESTRUCTION ET CRÉATION DANS L’ART DU XXE SIÈCLE

Jusqu’au 27 février 2006, Centre Pompidou, niveau 5, place Georges-Pompidou, 75004 Paris, tél. 01 44 78 12 33, www.cnac-gp.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Catalogue, 184 p., 200 ill., français/anglais, 29,90 euros, ISBN 2-84426-286-4. - Commissaire générale : Catherine Grenier - Nombre d’artistes : 400 - Nombre d’œuvres : 850 - Surface : 4 500 m2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°219 du 8 juillet 2005, avec le titre suivant : La collection s’éclate

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