José Alvarez, le regard libre

L'ŒIL

Le 1 novembre 2004 - 845 mots

Fondées en 1979 par le charismatique José Alvarez, les éditions du Regard fêtent cette année leur quart de siècle. Une gageure de tout premier plan quand on sait les difficultés rencontrées par l’édition d’art et quand on connaît l’exigence que s’impose cette maison, pionnière en son temps et qui demeure aujourd’hui une référence majeure sur les plans intellectuel et iconographique.

« Désertique » : voilà comment José Alvarez perçoit l’édition d’art à l’époque où il fonde sa maison, il y a désormais vingt-cinq ans. Un désert, qu’en comblant d’abord lui-même, il contribua grandement à peupler, tant sa démarche a suscité de vocations. « Il y a aujourd’hui trop de parutions et les livres se parasitent fatalement les uns les autres », regrette-t-il. Dans ce contexte, les éditions du Regard, pionnières en leur temps, font pourtant front avec un catalogue sans concession au grand public et une liberté intacte, qui commença avec la sortie d’un ouvrage sur le styliste Mariano Fortuny. Depuis lors, règnent invariablement le souci d’exhaustivité et le goût de la découverte. En 1980 sortait un livre sur Jean-Michel Frank, alors ignoré comme l’étaient les arts décos en général, sans même le nom de la maison en couverture. Mais il rencontra une audience « car il y avait une avidité incomparable », explique José Alvarez. La maison prend son essor au fil de publications audacieuses que son directeur a souvent pensées et programmées très en amont. Le livre phare de cette année, la monographie de Cy Twombly par Richard Leeman, est ainsi un projet qui remonte aux débuts des années 1980...
Convaincu du rôle clef de Courbet dans l’histoire comme chantre de l’indépendance et de l’autonomie artistiques, José Alvarez s’est fait le promoteur de domaines jugés secondaires et les a consacrés comme champs de création à part entière. Il traita ainsi exactement comme des peintres ou des sculpteurs les architectes (Jean Nouvel, Christian de Portzamparc…), mais encore les stylistes (Balenciaga, Dior…). Le parti pris intellectuel des éditions du Regard a donc fait évoluer les idées que l’on se fait de l’art ou de la création. Dorénavant, ce sont les artistes contemporains que la maison veut mettre en avant, sachant que pour José Alvarez, « l’enjeu de la mise en scène des œuvres dans l’espace du livre est très proche de celui d’une exposition ». Dans cette mesure, il envisage de travailler avec le photographe Georges Tony Stoll ou le plasticien Gilles Barbier, par exemple. Travailler « avec » et non pas « sur », car ce type de démarche signifie forcément qu’un dialogue s’instaure et que le couple auteur-éditeur prend une part active dans l’évolution esthétique de l’artiste. Ce dialogue, jadis assumé par les marchands et les critiques, existe fort peu aujourd’hui. Et José Alvarez avoue son enthousiasme à reprendre le flambeau. La relation privilégiée qu’il entretient avec Anselm Kiefer et le catalogue qu’il sort à son sujet dans les mois à venir, relèvent aussi de cette exigence.

Nourri d’une conviction profonde
Les ouvrages parus aux éditions du Regard ne sont jamais les fruits d’une stratégie, mais d’une conviction profonde. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’en sacrifiant une fois à la concession commerciale en sortant Baskets en 1997 – qui était en outre réussi – les éditions aient essuyé un échec, comme une mise en garde du destin. Pas de stratégie, donc, mais, parallèlement à la rigueur, un principe de plaisir. Des « friandises », comme dit José Alvarez, l’œil pétillant. On sent combien Les Lettres d’amour en Somalie (1983) de Frédéric Mitterrand, en marge de la ligne habituelle, ont été importantes et savoureuses. « Ma friandise, cette année, c’est le catalogue sur Kiefer. Son travail inédit pour la Bicocca de Milan sur sept tours détourés est stupéfiant », explique-t-il avec appétit.
Reste, en plus des désirs du moment, deux caractéristiques essentielles : une forme d’autocritique sincère et constructive, d’abord. Les éditions du Regard ne se cantonnent pas à une seule version d’un livre quand celui-ci a besoin d’être renouvelé et d’acquérir, ou plutôt de réacquérir, son exhaustivité. Le public pourra ainsi se procurer avec plaisir le fameux Dictionnaire de la mode au 20e siècle, qui subit un lifting fort légitime, et ressort prochainement. Deuxième caractéristique importante, José Alvarez sait reconnaître sans fausse modestie ce qui a une valeur immuable. Réalisme et vision sociale chez Courbet et Proudhon de Rubin (1999), De la peinture italienne par Giovanni
Morelli (1994) ou le Bronzino de Maurice Brock (2002) sont de grandes références universitaires. Depuis septembre, la publication des textes de Roberto Longhi sur le Caravage constitue assurément une contribution capitale à l’histoire de l’art.
Au cœur de magnifiques bureaux rue du Delta, dans une sérénité trompeuse, qui cache un acharnement au travail, les éditions du Regard entament donc leur deuxième quart de siècle. Le temps n’a pas altéré la foi de José Alvarez et ce dernier se dit prêt à poursuivre son aventure vingt-cinq ans de plus, à condition de conserver encore et toujours une qualité et une indépendance similaires. Si l’occasion nous est donnée de souffler les bougies avec lui, nous ferons le même vœu.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°563 du 1 novembre 2004, avec le titre suivant : José Alvarez, le regard libre

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