Jacques Villeglé, toujours prêt à décoller

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 avril 2006 - 577 mots

Il n’est pas du genre à se faire remarquer d’autant que, sans être irrévérencieux, il n’a pas un physique particulièrement remarquable. 

Jacques Villeglé appartient en effet à cette catégorie d’hommes que l’on dit volontiers ordinaires. Et pourtant, ce petit homme, engoncé dans son manteau, le chapeau sur la tête, qui se promène dans la rue d’un pas nonchalant, l’air de rien, compte parmi les plus importantes figures de l’art contemporain, versant Nouveau Réalisme.

Un affichiste acharné
Breton d’origine, comme son regretté complice Raymond Hains, né la même année 1926 que lui mais de sept mois son cadet, Jacques Mahé de la Villeglé – son patronyme – n’est pas un artiste
ordinaire. Voilà plus de cinquante ans que, sans lassitude, il parcourt la ville à la recherche d’affiches anonymes lacérées dont il a fait le noyau dur de son travail.

Dès le début des années 1950, en quête d’une activité qui ne le fatiguerait pas trop, Villeglé, constatant que l’aventure matiériste dans laquelle la peinture est engagée ne vaut pas mieux que les images collées sur les murs de la ville, a idée de se les approprier. Il les arrache de leurs supports, en recadre les morceaux récupérés puis les contrecolle sur toile pour en faire des tableaux.

Le geste est pionnier – certes quelque peu duchampien – mais en phase avec l’époque gourmande d’information et de communication. C’est le début de la folle époque de la société de consommation et Villeglé, qui a le nez fin et l’esprit vif, en a tout de suite perçu les potentialités plastiques. Il poursuit seul l’aventure engagée en compagnie de son copain Raymond, persuadé qu’il est de son bien-fondé.

Sans atelier fixe
À quatre-vingts ans tout juste sonnés – bon anniversaire, monsieur Jacques ! –, Villeglé persiste et signe. Et il fait bien, car le propos est riche en rebondissements. Installé depuis des lustres dans le Marais à Paris, Jacques Villeglé fait chaque jour le trajet de son appartement à son secrétariat. Pas question de parler d’atelier. Cela sonne trop vieillot, voire romantique. Ce qui le branche, ce sont les rumeurs de la ville, les coups de gueule, les passions qu’elle affiche sans pudeur sur ce qui lui sert de cimaises. Aussi l’œuvre qu’il constitue en est-elle une mémoire vive. Vedettes d’un jour, activités culturelles et événements politiques s’y entassent dans un palimpseste de ses affiches dont les couleurs et la matière le disputent à tous les pigments.

Celui que Pierre Restany qualifiait d’« arpenteur du Lacéré Anonyme » n’est autre qu’un chapardeur de talent qui a su transgresser tous les interdits de la fameuse loi d’interdiction d’afficher. Lui n’a pas peur d’afficher ses larcins – car il s’agit bien de cela – et de les placer au premier rang des œuvres de l’art contemporain. Étonnant artiste en vérité qui a fait du « décollage », cher à Léo Malet, un objet artistique de premier choix et qui, de plus, s’est inventé un alphabet emprunté à tous les graffitis piqués ici et là !

Biographie

1926 Naissance à Quimper de Jacques Mahé de la Villeglé.

1944 Aux beaux-arts de Rennes, il se lie d’amitié avec Raymond Hains

1947 Il débute une collection d’objets insolites. 1949 Premières affiches lacérées.

1954 Rencontre avec Klein et Tinguely à la Biennale de Paris. Ils fondent les Nouveaux Réalistes.

1969 Il réalise la « guérilla des écritures », travail autour d’idéogrammes politiques.

1972 Rétrospective à Stockholm.

2003 San Francisco lui rend hommage lors d’une nouvelle rétrospective.

Jacques Villeglé », CHÂTELLERAULT (86), galerie de l’Ancien Collège, 8 rue de la Taupanne, tél. 05 49 93 03 12, 30 mars-3 mai.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : Jacques Villeglé

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