Jacques Rigaud

\"Le mécénat est entré dans les mentalités\"

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 1 août 2007 - 2066 mots

Haut fonctionnaire, penseur, directeur de Frac… Jacques Rigaud s’est toujours mêlé de culture. Devenu président de l’Admical, il se fait aujourd’hui l’avocat du mécénat d’entreprise.

Président de l’Admical (Association pour le développement du mécénat industriel et commercial) depuis sa création en 1979, Jacques Rigaud va passer la main. Celui qui a effectué toute sa carrière au service de la culture et de la communication (directeur de cabinet de Jacques Duhamel et de Maurice Druon aux Affaires culturelles, PDG de RTL, président du musée d’Orsay, du Frac Aquitaine…) nous donne sa vision des évolutions survenues dans ces domaines ces trente dernières années.

Vous avez longtemps animé l’Admical. Quel bilan dressez-vous de votre action en faveur du mécénat ?
Tout d’abord je dois rappeler que j’ai eu 75 ans en février et je ressens la nécessité de passer la main à quelqu’un de plus jeune, qui ait une légitimité dans l’entreprise, qui sache gérer les relations avec les pouvoirs publics comme avec les médias, et qui s’intéresse au mécénat sous toutes ses formes. Il faut un nouvel élan. Beaucoup reste à faire, même s’il faut aussi sans cesse rappeler les fondamentaux du mécénat encore ignorés d’un certain nombre.

Quand j’ai commencé l’aventure de l’Admical, je me suis dit qu’il faudrait une génération pour ouvrir les mentalités au mécénat en France. Le monde culturel public et privé brandissait l’image du « grand-capital-étouffant-la-création ». La culture, c’était « l’affaire de l’État, point final ». L’administration nous regardait de travers, les médias considéraient que si les entreprises voulaient faire parler d’elles, elles n’avaient qu’à acheter des espaces publicitaires. Le mécénat d’entreprise était quasi inexistant.

Un des éléments déclencheurs a été le refus par la télévision de deux films proposés par Comte Orlowski sur Léonard de Vinci et Barichnikov à cause de la mention au générique du soutien d’IBM, pourtant un des premiers mécènes de l’exposition Manet au Grand Palais.

Pourquoi avoir créé l’Admical ?
Nous avons voulu créer l’association Admical car nous avons pensé que le fait d’agir dans le cadre de la société civile nous donnerait de la liberté, tant par rapport au marché que par rapport aux aux politiques. Dès le début, nous avons été une association à but non lucratif, nos financements venaient des cotisations d’une quinzaine de patrons comme Jean Riboud, à la tête de Schlumberger, de groupes comme Paribas, EDF, le Crédit agricole ou la Caisse des dépôts.

Ensuite l’Admical s’est développée, nous avons recruté des permanents. Peu à peu nous avons reçu des subventions du ministère de la Culture et même des Affaires sociales à un certain moment, et nous avons généré nos ressources propres en publiant un répertoire des entreprises mécènes, une lettre d’information, en proposant du conseil…

Quels ont été les principaux combats menés par l’Admical ?
Nous sommes partis du constat que le statut juridique et fiscal du mécénat en France était obscur, mal connu et peu incitatif. Mais nous n’avons rien voulu demander à l’État au départ. Nous avons voulu montrer que le mécénat était en mouvement, l’imposer par le consensus. Puis on a mis l’État devant ses responsabilités en lui demandant ce qu’il comptait faire pour l’encourager. Nous pouvons nous targuer d’être à l’origine de toutes les lois qui ont été votées dans ce domaine.

Aujourd’hui, le mécénat existe dans les textes et dans les mentalités. La loi du 1er août 2003 a été votée sans opposition. Et les syndicats, que nous avons toujours conviés à nos assises, ont compris notre démarche.

Comment percevez vous la place de l’État français dans la culture ?
Il y a vraiment une exception française. Dans aucun autre pays démocratique libéral l’État ne joue un rôle aussi actif. Aux États-Unis, il y a une action culturelle mais pas de ministère de la Culture. La seule institution est le National Endowment for the Arts, créé sous Johnson. La culture y relève du marché et du secteur non « profitable ».

En Europe, c’est différent. Il y a partout des financements publics pour la culture, mais souvent à un niveau très décentralisé. En Allemagne, le ministère fédéral de la Culture existe mais la responsabilité incombe plutôt aux Länder et aux villes. En Espagne c’est la même chose, la culture est plutôt l’affaire des autonomies, en Belgique, celle des communautés française et flamande, en Suisse, celle des cantons. En Italie, plusieurs ministères sont concernés mais les financements publics relèvent aussi principalement des régions et des villes.

Alors qu’en France subsiste une tradition pluriséculaire d’intervention de l’État dans les œuvres de l’esprit ou le patrimoine. La plupart des institutions actuelles et datant de l’Ancien Régime sont culturelles : la Comédie-Française, l’Académie royale de musique, le Collège de France, les Manufactures de Sèvres et des Gobelins ont été créées par Colbert. Les peintres du temps de Louis XIV étaient logés au Louvre. Les Académies des belles-lettres et des beaux-arts ont été constituées par Richelieu ou Louis XIV.

Qu’est ce qui vous a le plus frappé depuis trente-cinq ans que vous arpentez les arcanes de la culture ?
Le plus grand changement depuis Malraux, c’est l’implication des collectivités territoriales, même si elles ont certaines responsabilités, comme les bibliothèques, depuis la Révolution, grâce aux fonds des monastères ou des châteaux qui ont été nationalisés.

Pendant longtemps, beaucoup de villes et de départements ont géré de manière routinière leurs musées ; mais ces collectivités ont opéré une prise de conscience dans les années 1980, comprenant que la culture était un facteur de rayonnement et une filière pourvoyeuse d’emplois nouveaux.

Les Fonds régionaux d’art contemporain ont été créés sous Jack Lang par Claude Mollard. C’était osé, car les régions naissaient en tant qu’échelon territorial et n’avaient pas de compétence spécifique en matière culturelle. Pourtant, elles ont toutes joué le jeu quelle que soit leur couleur politique. C’est le signe d’une grande maturité car, pour de nombreux élus, l’art contemporain ce n’était pas évident, parfois même provoquant, dérangeant ! Mais ils ont compris que c’était aussi le reflet de notre société, que la culture ce ne sont pas seulement de vieilles pierres à conserver, mais également un regard sur le monde actuel.

À qui le mécénat a-t-il profité ?
Aux trésors nationaux. Versailles et Le Louvre en ont beaucoup profité. L’exposition sur la France romane au Louvre n’aurait pas eu cette ampleur sans le soutien du Crédit agricole, devenu très international, mais qui a du même coup réaffirmé son image rurale.

La loi Tasca sur les musées a encouragé ce mécénat, avec des incitations fiscales pour les entreprises. Mais l’art contemporain a aussi été aidé par des commandes d’œuvres, la constitution de collections, comme celle de la Caisse des dépôts et consignations donnée au musée d’Art moderne de Saint-Étienne et présentée au Centre Pompidou. Tout comme la photographie avec des initiatives comme celle de la fondation HSBC.

Le mécénat est-il encore considéré comme la « danseuse » du président parfois, ou plutôt utilisé comme un outil marketing ?
Le mécénat n’est pas un caprice de PDG. Il doit constituer une prise de risque dans l’intérêt bien compris de l’entreprise, conduire celle-ci au questionnement, la mettre en rapport avec l’extérieur. Les mécènes ne doivent pas en attendre des retombées directes sur leur chiffre d’affaires, mais des bienfaits dans leurs relations avec leur environnement, des clés de compréhension d’un monde en mutation, une mise en contact avec d’autres univers. 

Le mécénat peut permettre à l’entreprise de s’informer sur les évolutions en profondeur de la société bien mieux que si elle faisait appel à des études marketing lourdes.

Le mécénat a-t-il contribué à démocratiser la culture ?
Oui, au même titre que l’école. Quand la société Vinci sponsorise la rénovation de la galerie des Glaces à Versailles, ou Total la galerie d’Apollon au Louvre, c’est tout leur personnel qui peut venir visiter ces lieux gratuitement. Les conservateurs de musées sont très intéressés par la rencontre de ces nouveaux publics.

Qu’a changé la loi de 2003 sur le mécénat et quel a été son impact ?
Cette loi, que nous avons voulue et préparée en 2002 lors de nos assises de Lyon, est une étape historique puisqu’elle concerne cette fois aussi bien le mécénat des particuliers que celui des sociétés, qu’elle encourage par des déductions fiscales multipliées par deux par rapport au régime antérieur. Plus le mécénat des premiers se développera, plus cela tirera le soutien des seconds.
Tous mécènes ! Comme l’a dit Jean-Pierre Raffarin lorsqu’il était Premier ministre, l’État n’a plus le monopole de l’intérêt général. Que chacun de nous puisse prendre sa part du bien commun et de l’intérêt général, dans un pays jacobin, où l’État ne considère ses individus-sujets comme des citoyens qu’une fois tous les cinq ans, cela est un vrai changement !

Cette loi a aussi consolidé les fondations d’entreprises, elle les a rendues plus simples à créer, les salariés s’y investissent. Depuis 2003, il s’est constitué davantage de fondations qu’entre 1990 et 2003. Beaucoup de PME ont désormais la leur. Cela engage les entreprises à long terme, les incite à opérer des choix stratégiques. La fondation de Lacharrière, par exemple, qui réunit la Fimalac, le Théâtre du Rond-Point, l’École du Louvre et l’association La Source de Gérard Garouste, est exemplaire et va permettre à un grand nombre de jeunes d’accéder à des repères culturels. L’implication de la société civile dans la culture est très importante à l’heure où l’État pourrait être tenté de se désengager, ce à quoi je ne suis pas favorable.

Que pensez-vous des programmes culturels des candidats à la présidentielle ? Et comment expliquez-vous que ces derniers communiquent peu sur le sujet ?
Je connais personnellement la plupart des candidats en lice. La culture est jusqu’ici largement absente de leurs programmes, à droite comme à gauche. Elle semble ne les intéresser que par le biais des parrainages de personnalités – parfois encombrantes d’ailleurs – que cela peut leur apporter, que par les idées qu’elle peut émettre. Nicolas Sarkozy avait même imaginé un ministère rassemblant l’Éducation et la Culture, il y a semble-t-il renoncé, mais cela illustre l’essoufflement de la politique culturelle. Ségolène Royal, en tant que présidente du Frac Poitou-Charentes a voulu « délocaliser » cette institution en plein milieu rural malgré les tollés que cela a suscité.

Quant à l’équipement culturel du territoire, il est pour l’essentiel réalisé : les musées ont fait l’objet de rénovations, de multiples festivals et biennales ont vu le jour, des centres culturels de rencontre ont essaimé, etc. Mais on vit encore sur des idées des années 1960 alors que le monde a évolué : il y a la mondialisation, l’exclusion, les nouvelles technologies… Ce sont de nouveaux défis. Il ne s’agit pas de vivre dans le protectionnisme culturel pour autant, mais la culture doit tenir compte de cette nouvelle donne.

Heureusement les grandes institutions artistiques font preuve d’une grande vitalité. Orsay est un établissement public autonome, comme Versailles. Même chose pour la Comédie-Française ou l’Opéra. Le public aujourd’hui n’est plus le public bourgeois de mon enfance, il est plus jeune, plus diversifié. Regardez les files d’attente pour l’exposition Doisneau à l’Hôtel de Ville de Paris : c’est le grand public, pas celui des vernissages mondains !

Le mécénat a contribué à rapprocher le grand public de l’art. Comment aller plus loin, notamment dans l’art contemporain ?
L’art contemporain part dans toutes les directions. Sa volonté de provoquer fonctionne bien avec un public averti, pas forcément sur des non-initiés.

Il me semble que le spectacle vivant et la danse tiennent davantage compte de tous les publics. Cette distance dans l’art contemporain est moins le fait des artistes eux-mêmes que des institutions, telles les Frac, qui doivent intégrer la nécessité de faire évoluer le public. Nous constatons que lorsqu’un artiste en résidence est en contact avec des scolaires, cela fonctionne bien. Il faut réintroduire le souci du public, ne pas arriver en conquérant.

Quels sont vos artistes préférés ?
Je vis entre Soulages, Zao Wou-Ki et Jenkins. Je reste très attaché aux peintres qui peignent et aux sculpteurs qui sculptent, plus qu’aux performances et aux installations.

Biographie

1932 Naissance à Paris. 1952-1953 Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, il intègre l’Ena. 1971 Directeur de cabinet de Jacques Duhamel au ministère des Affaires culturelles. 1973 Directeur de cabinet du ministre des Affaires culturelles Maurice Druon. 1975-1979 Sous-directeur général de l’Unesco. 1981-1987 Président du musée d’Orsay. 1995 Publie L’Exception culturelle. 2000 Il quitte la direction de RTL après un mandat de 20 ans. Président du Frac Aquitaine. 2007 Jacques Rigaud s’apprête à quitter la présidence de l’Admical.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°590 du 1 avril 2007, avec le titre suivant : Jacques Rigaud

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