États-Unis - Justice

Hélion fait de la déco malgré lui

Des copies inquiètent ses héritiers

Par David d'Arcy · Le Journal des Arts

Le 22 mai 1998 - 652 mots

La découverte dans un restaurant new-yorkais de six tableaux reproduisant des œuvres du peintre Jean Hélion (1904-1988) a déclenché l’ire de ses héritiers. Ils ont exigé que les toiles soient décrochées ou qu’elles soient clairement identifiées comme des copies, craignant de les retrouver un jour sur le marché. Cette affaire soulève un problème de taille, celui de la limite du "droit morale" à disposer de son œuvre qui est accordé à l’artiste et à ses descendants.

NEW YORK (de notre correspondant) - Fin mars, l’hôtelier new-yorkais Andre Balasz a accepté le principe de décrocher six copies d’après Jean Hélion qui ornaient les murs du restaurant Nica’s au Stanhope Hotel, en face du Metropolitan Museum of Art. Bien qu’il se dise désolé que cet “hommage à Hélion” ait été mal interprété, il n’avait toujours pas enlevé les tableaux à la mi-mai. Si cette situation devait se prolonger, la famille du peintre pourrait bien reprendre son combat et faire en sorte d’exclure les toiles du marché, à moins qu’elles soient clairement identifiées comme des copies.
 
Le combat des Hélion pour faire plier Andre Balasz aura duré près de neuf mois. Ces démêlés sont révélateurs des complications qu’entraîne une telle action, surtout aux États-Unis où le “droit moral” des artistes à disposer de leur œuvre est beaucoup plus limité qu’en France. L’affaire a débuté l’été dernier, lorsque des amis de la famille et des admirateurs du peintre ont remarqué dans un journal un article sur le restaurant du Stanhope, illustré par un tableau figuratif dans le style de Jean Hélion. Au même moment, on pouvait lire dans un magazine que cette œuvre, et d’autres, conféraient au Nica’s “l’atmosphère des années vingt”. L’un des amis de la famille a constaté que les six toiles accrochées dans le restaurant étaient toutes des copies “signées” de tableaux exécutés entre 1946 et le début des années soixante, qui avaient été publiés dans la monographie du peintre par Henry-Claude Cousseau (Éditions du Regard, 1992). Tous les originaux sont conservés dans des collections privées. Son fils Nicolas Hélion s’est alors rendu à l’hôtel et a reconnu les tableaux comme étant des faux. Il a demandé que soient apposés des cartels précisant qu’il s’agit de “copies d’après Jean Hélion, 1904-1988”. L’hôtelier n’a jamais cédé à ces revendications. Depuis, la famille Hélion menace d’assigner en justice Andre Balasz et le Stanhope, par le biais de l’Artists’ Rights Society, l’association new-yorkaise chargée de faire respecter et de défendre les droits et la propriété intellectuelle des artistes.

Un format différent des originaux
Les faux Hélion ont été exécutés par le peintre new-yorkais Mark Herstand – il a réalisé dans le passé des copies pour des boîtes de nuit de Manhattan –, à la de­mande du décorateur d’intérieur Shawn Hausman. “J’aimais bien les couleurs, et je ne voulais pas faire du Rothko”, a-t-il déclaré. En capitulant, Andre Balasz et le Stanhope ont surtout voulu éviter la contre-publicité mais, au regard de la loi en vigueur dans l’État de New York, ils ne risquaient pas grand chose. En effet, les tableaux ont un format différent des originaux et ne peuvent donc, d’un point de vue juridique, être considérés comme des copies. Et si l’Artists’ Rights Society a tellement différé une éventuelle action en justice, c’est peut-être parce qu’aucune charge sérieuse ne pouvait être retenue contre l’hôtelier. Que finalement Andre Balasz décroche les tableaux des murs de son restaurant ne résoudrait pas pour autant le contentieux l’opposant à la famille Hélion : les contrefaçons peuvent avoir de la valeur sur le marché en tant que copies, ou être mises en vente comme d’authentiques Hélion. Consciente du problème, la famille de l’artiste a insisté pour que, si les tableaux ne sont pas détruits, leur qualité de copie soit précisée lors de toute transaction. Ces exigences sont sans doute faciles à satisfaire en salle des ventes ou en galerie, mais les ventes privées échappent en grande partie à tout contrôle.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : Hélion fait de la déco malgré lui

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