Société

ÉDUCATION POPULAIRE

Une expérience de démocratisation culturelle dans des logements sociaux

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 28 août 2022 - 773 mots

ÎLE-DE-FRANCE

Le bailleur social Toit et Joie mène depuis cinq ans des actions culturelles sur le long terme dans ses résidences franciliennes. Une initiative imitée depuis janvier par d’autres bailleurs sociaux.

Performance de tricot géant proposée par l'artiste Caroline Vaillant à Champigny-sur-Marne (Val de Marne). © Au-delà des toits
Performance de tricot géant proposée par l'artiste Caroline Vaillant à Champigny-sur-Marne (Val de Marne).
© Au-delà des toits

À L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), l’une des plus vieilles résidences du parc locatif de Toit et Joie – bailleur social du groupe Poste Habitat – sera bientôt démolie et remplacée par un ensemble neuf mêlant logements sociaux, résidences étudiantes et accession sociale à la propriété. Ce samedi 18 juin, alors qu’un épisode caniculaire s’abat sur l’Île-de-France, les habitants ont pu adresser un adieu festif aux bâtiments années 1960 de la résidence des Fauvettes. Durant une journée, les artistes de la compagnie Lu2 ont investi cages d’escalier, entrées d’immeubles, parkings et caves de la résidence pour un spectacle mêlant danse, vidéo, cuisine… Une déambulation réussie pour Michèle Attar, directrice générale de Toit et Joie, « sauf peut-être pour les stations en plein cagnard ! ».

Si, à l’instar de la résidence des Fauvettes, le parc locatif du bailleur social s’anime aux beaux jours, le temps du festival « Au-delà des toits », cet événement n’est que la restitution d’une action culturelle au long cours, lancée par Toit et Joie il y a cinq ans. Après avoir doté son organigramme en 2017 d’une direction de la culture, le bailleur a conclu un partenariat avec la Drac (direction régionale des Affaires culturelles) Île-de-France en 2018 : l’objectif alors est de développer la création artistique au sein du parc locatif social de Toit et Joie, et de favoriser l’accès à la culture des locataires. La démarche s’inscrit dans la mission de démocratisation culturelle du ministère de la Culture.

Cinq ans plus tard, Toit et Joie consacre 400 000 euros par an à ces projets (financés pour moitié sur ses fonds propres, complétés par les subventions de la Drac et l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, dont le gain doit être fléché vers des actions en zone prioritaire). Le programme a trouvé un rythme de croisière dans les résidences artistiques disséminées chaque année sur le parc locatif francilien, après quelques années de rodage. « Les premiers temps, nos actions attiraient surtout les enfants, on faisait office de garderie, se souvient Michèle Attar. J’ai mis le holà car ce n’est pas du tout notre objectif. »

Des objectifs bien définis

La directrice garde aussi un mauvais souvenir d’une résidence de circassiens dans un immeuble du 20e arrondissement de Paris qui devait offrir une respiration aux locataires éprouvés par de lourds travaux : « Un échec, c’étaient d’excellents artistes mais sans compétences pédagogiques. Cela s’est terminé par une représentation dans un jardin parisien… : la cible était totalement ratée, nous ne sommes pas là pour offrir des spectacles aux bobos parisiens. » Pour le bailleur social, la création d’une direction artistique répond en effet à des objectifs précis : recréer du lien social entre locataires, poursuivre l’ambition d’accès à la culture pour tous, et parfois utiliser les activités artistiques pour en remplacer d’autres, plus nuisibles. « S’il y a un chapiteau devant un immeuble, il prend la place d’un trafic [de stupéfiants] », explique Michèle Attar.

Le bailleur se montre ambitieux sur la qualité des projets culturels : pas question de tomber dans la facilité, avec la sempiternelle fresque murale, tarte à la crème de l’action culturelle dans les quartiers prioritaires, ni de proposer des résidences au rabais. Les artistes sont tous professionnels, rémunérés, et investis sur une année complète dans un projet au contact direct des résidents. De grands noms se prêtent au jeu, comme le photojournaliste de l’agence Magnum Patrick Zachmann, qui a collecté la mémoire des habitants des Fauvettes à L’Haÿ-les-Roses. « Les locataires ne le connaissaient pas forcément, mais étaient bluffés après avoir regardé son nom sur Internet !, s’enthousiasme Patricia Guérin, directrice de la culture à Toit et Joie. Nous souhaitons créer des aventures où les locataires vont se rencontrer entre eux, vont rencontrer un artiste et voir une œuvre se créer. »À la fin de la résidence, les habitants avaient compris qu’un portrait photographique exigeait un peu plus que poser devant un arbre, et le tutoiement était de rigueur avec le photographe de Magnum.

La création d’un jeu vidéo à Sevran (Seine-Saint-Denis), la réalisation d’un film aux Ulis (Essonne), une représentation de Richard IIIà Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), une performance de tricot géant à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) : le succès des récentes résidences de Toit et Joie a entraîné dans son sillage la signature en janvier 2022 d’un nouvel accord-cadre entre la Drac et l’AORIF (Union sociale pour l’habitat d’Île-de-France). Pour le développement culturel dans ces « zones blanches » paradoxalement parfois proches des institutions parisiennes, les services déconcentrés de l’État considèrent désormais les bailleurs sociaux comme des alliés de poids.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°593 du 8 juillet 2022, avec le titre suivant : Habitat social et démocratisation culturelle

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