Görgün Taner, « Nous ne faisons pas de propagande »

Görgün Taner est l’un des commissaires généraux de la Saison de la Turquie en France - Il revient sur les origines de ce projet et sur les temps forts de cette saison

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2009 - 1466 mots

Commissaire général pour la Turquie de la Saison de la Turquie en France, Görgün Taner est le directeur d’IKSV, la Fondation d’Istanbul pour la culture et les arts, acteur central de la scène culturelle et artistique turque.

Pouvez-vous, en quelques mots, nous décrire le travail de votre fondation ?
IKSV est une fondation non gouvernementale à but non lucratif créée en 1973. Elle organise des festivals de théâtre, de films, de musique classique et de jazz tout au long de l’année, ainsi que la Biennale d’art contemporain d’Istanbul. En tant que plus grand opérateur culturel en Turquie, nous possédons une expertise et un réseau international. Depuis 2004, nous organisons les festivals « Turkey Now » dans les grandes villes européennes, en collaboration avec les ministères des Affaires étrangères et de la Culture. Tout cela nous a naturellement mené à obtenir le commissariat turc de la Saison de la Turquie en France. Mais nous ne fonctionnons pas comme CulturesFrance, nous ne sommes pas financés par l’État ou par les autorités locales. Mais nos projets, en revanche, le sont.

Quel est le budget de la saison ?
Notre budget, côté turc, s’élève à 11 millions d’euros. Il est équivalent côté français.

Pouvez-vous nous en dire plus sur sa dimension politique ?
En 2006 s’était tenu le Printemps français en Turquie, avec un budget plus modeste. Vous savez, la Turquie et la France entretiennent des relations dans de nombreux domaines comme la culture, la politique et l’éducation. D’après mes observations, et tous s’accordent sur ce sujet, les Français, comme la plupart des habitants d’Europe, connaissent pourtant peu la Turquie de 2009 et ce qui s’y passe dans ces différents domaines. La Turquie a une population très jeune, très dynamique, à l’inverse de la majorité des pays européens. Nous voulons montrer la manière dont ce dynamisme se reflète sur la scène culturelle et artistique turque. Nous avons donc donné beaucoup de poids à l’art contemporain, à la musique et aux débats d’idées. Notre vœu est de provoquer des réactions, initier des discussions auxquelles les Français participent, et développer la communication et la coopération entre les institutions culturelles des deux pays. Pour ce qui est de l’organisation, nous avons formulé une nouvelle manière de travailler : nous avons invité plusieurs opérateurs culturels français avant de définir un programme et de déposer notre dossier de candidature. Issus de différentes disciplines, ces acteurs sont venus en Turquie pour visiter nos différentes institutions et voir de leurs propres yeux ce qui se passe dans le pays. De manière à créer une entente et une compréhension mutuelles, nous avons fait se rencontrer les opérateurs culturels des deux pays, car nous voulons croire que la Saison de la Turquie en France se poursuivra au-delà du 31 mars 2010. Des projets pour 2012 commencent d’ailleurs à voir le jour. J’ajouterais enfin que nos deux pays ont différentes manières de travailler. En France, vous entreprenez tout à l’avance, ce qui n’est pas le cas en Turquie ! Entre les comités, ces deux manières de travailler et de planifier ont été fusionnées et nous avons chacun appris de l’autre, et fini par nous comprendre. Ce rapprochement est bénéfique pour toutes les autres institutions qui souhaitent collaborer. Le programme de la saison offre environ 400?activités, et pour autant que je sache, un nombre équivalent de manifestations off de même nature collaborative.

Cette saison a été décidée sous la présidence de Jacques Chirac. L’élection de Nicolas Sarkozy, farouchement opposé à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, a apporté son lot de nervosité. Le Premier ministre turc a même menacé d’annuler la saison. La programmation a-t-elle dû évoluer à cause de ces tensions ?
La programmation a été développée par les deux commissariats, turc et français, qui sont indépendants, et les institutions culturelles et artistiques turques et françaises. Les implications sont partagées et la labellisation est mixte. Personne ne nous a jamais dit de ne pas faire telle ou telle chose, nous n’avons reçu aucune instruction. Les tensions entre les deux pays sont connues, mais elles peuvent s’apaiser avec une compréhension mutuelle et la France comprendra et connaîtra mieux la Turquie une fois achevée la saison culturelle. La plupart de ces tensions émanent, à mon sens, du fait que les Français ne connaissent pas bien la Turquie ni les Turcs.

Mieux connaître la Turquie pour mieux l’écouter ?
Si vous êtes un politicien, les gens ne croient pas ce que vous dites. Si vous êtes un homme d’affaires représentant votre pays, la moitié des gens ne vous croient pas, car ils pensent que vous avez des intérêts cachés. Mais si vous êtes un artiste, vous devenez très objectif, vous devenez un pionner, et vous vous exprimez. Et quand on s’exprime de manière très libre dans un pays étranger, on apporte beaucoup de réponses à des questions que se posent les gens, sans pour autant les imposer. Car nous ne menons pas une opération de propagande, nous présentons la situation culturelle, économique et éducative de l’actuelle Turquie de manière neutre et objective. Par ailleurs, Istanbul s’est vu décerner le titre de Capitale européenne de la culture en 2010. Il y a, semble-t-il, une légère contradiction?: la Turquie ne fait pas partie de l’Union européenne, mais sa plus grande métropole, Istanbul, est capitale européenne. Et, dans quelques jours, sera inaugurée la Biennale d’Istanbul, où l’on attend plus de 400 journalistes et 3 000 amateurs d’art contemporain (lire p. 20). Cette biennale est de plus en plus courue et elle n’est pas seulement devenue l’une des biennales incontournables d’Europe mais aussi du monde entier. L’art et la culture jouent donc un grand rôle. Quand on s’exprime de manière libre et indépendante, sans faire la promotion de son pays, on dit beaucoup au sujet de ce pays.

Mais certains artistes sont plus politisés que d’autres…
Bien sûr, certains projets sont plus politiques que d’autres ; en fin de compte, la politique est partout. Nos critères de sélection étaient basés sur la qualité artistique. Chaque choix devait être approuvé par les deux comités. Le critère politique était absent. Encore une fois, nous ne faisons pas de propagande.

Quelles autres difficultés avez-vous rencontrées ?
L’une des principales difficultés fut de traverser l’une des plus grandes crises économiques de notre histoire. Sur un plan financier, le soutien que nous ont apporté les États turc et français est plus qu’admirable. Il a été difficile de répondre à toutes les attentes côté français, mais notre budget a été bouclé grâce à l’autorisation spéciale de notre Premier ministre. Les différentes méthodes de travail ont également posé problème. Comme je l’ai dit précédemment, en France, tout est programmé à l’avance. En Turquie, les choses sont plus flexibles et les plans changent… beaucoup.

Et les points positifs ?
Nous avons pu travailler de manière très proche avec les commissaires français, Stanislas Pierret (commissaire général pour la France) et Arnaud Littardi (commissaire général adjoint) qui ont tous deux vécu en Turquie en tant qu’attachés culturels. Ils connaissent bien la scène artistique turque. Bernard Emié, ambassadeur de France en Turquie, nous a également été d’un grand soutien.

Si vous aviez la possibilité de remonter dans le temps, y-a-t-il des choses que vous feriez différemment ?
Bien sûr. On fait toujours des erreurs. Mais, dans l’ensemble, je suis plutôt satisfait du résultat. Le Café turc, par exemple, a reçu 30 000 visiteurs dans le jardin des Tuileries ; c’est la première fois que le Louvre donnait son autorisation pour un tel projet. Mais je l’imaginerais différemment, dans une version réduite, au mois de septembre et non de juillet et août. Et puis je mettrais plus à profit les rues et les espaces extérieurs. Je serais aussi plus créatif pour les musiques populaires et j’essaierais de m’immiscer dans les festivals du Sud de la France.

Quel est, à ce jour, l’événement le plus marquant de la saison ?
Je suis très satisfait par le spectacle de « Müsennâ » [« Fête et divertissements à Istanbul au XVIIe siècle », projet sur la rencontre des musiques européennes et ottomanes conduit par la soprano et musicologue franco-turque Chimène Seymen], car c’est une véritable coopération. Nous tenions particulièrement à ce projet. La scène est partagée en deux, avec des musiciens français d’une part et des musiciens turcs d’autre part, et tous jouent ensemble. « Müsennâ » est un spectacle plein de surprises et il est, à mes yeux, la plus grande réussite de la saison à ce jour.

Comment la presse turque couvre-t-elle l’événement ?
Les retours des médias turcs sont très positifs, ce qui est très important car nous coopérons avec des partenaires français. Le plus crucial est de faire comprendre que la Turquie n’agit pas seule, mais main dans la main avec la France. Mais nous avons besoin de plus de retour dans les médias français. J’espère que l’exposition du Grand Palais (lire p. 18) donnera l’impulsion nécessaire.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°309 du 18 septembre 2009, avec le titre suivant : Görgün Taner, « Nous ne faisons pas de propagande »

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