Cinéma

Frida Kahlo en copies neuves

Un film romancé retrace la vie de l’artiste mexicaine

Par David d'Arcy · Le Journal des Arts

Le 11 octobre 2002 - 881 mots

Tandis que Frida Kahlo est l’objet d’un véritable culte aux États-Unis, sort sur les écrans américains Frida, le film consacré à sa vie, mettant ainsi fin à vingt ans de tentatives avortées menées par Madonna, Jennifer Lopez et bien d’autres. Scénario, mise en scène, acteurs, décors, rien ne va dans cette biographie un peu romancée de l’artiste mexicaine, incarnée par la pulpeuse Salma Hayek.

NEW YORK - Lors de l’une des principales scènes du film Frida,  l’artiste mexicaine échange un baiser fougueux avec la photographe Tina Modotti, à la suite d’un langoureux tango. Qu’importe que la vraie Frida Kahlo n’eût rien à voir avec la voluptueuse Salma Hayek, qui tient son rôle, ou bien que le film soit en anglais et que la plupart des acteurs mexicains aient un accent à couper au couteau. Frida, qui sortira en France le 19 mars 2003, vient nourrir la “Kahlomania” qui touche les États-Unis. Actuellement, on y recense deux romans, au moins deux pièces de théâtre, un livre de cuisine, un restaurant, des poupées, des vêtements de paysans étiquetés “style Frida”, des sites Internet et même l’émergence d’une nouvelle religion, “le Kalhismo”. Les adolescentes américaines la placent sur leur liste des femmes “les plus admirables”. Est-ce parce que c’était une artiste célèbre, une bisexuelle ou une communiste ? L’industrie des produits dérivés est trop occupée à comptabiliser ses recettes pour se pencher sur les raisons de ce succès. “Les féministes ont toujours recherché un pendant féminin de Van Gogh. Avec Frida Kahlo, elles l’ont finalement trouvé”, ironisait William Lieberman du Metropolitan Museum of Art de New York, lors de l’exposition consacrée aux artistes mexicains il y a dix ans.

Aujourd’hui, il semblerait que Frida Kahlo soit en train de détrôner Van Gogh du côté du magasin de souvenirs et du box-office.
L’artiste, née en 1907, est morte à l’âge de quarante-sept ans à Mexico. Une pneumonie contractée durant l’enfance l’avait rendue boiteuse et un grave accident de bus en 1925, qui avait failli lui coûter la vie, l’avait laissée infirme. La cause exacte de sa mort n’a jamais été connue, mais il se peut qu’elle se soit suicidée. Inspirée de la biographie de Hayden Herrera (1982), Frida fait écho aux récents films sur les artistes et hérite malheureusement des mêmes stéréotypes : costumes somptueux, vies et amours tourmentées et attention plus portée à l’entourage des artistes qu’à leur œuvre. Comme pour Basquiat et Pollock, les “œuvres” que l’on voit dans ces films sont des copies.

Comme si la médiocrité des performances des comédiens ne suffisait pas, la réalisatrice Julie Taymor ponctue le film d’images du Mexique ou d’œuvres d’art, qui tourmentaient Kahlo. Et pour couronner le tout, Diego Rivera (Alfred Molina), que Frida épousa deux fois, est présenté comme un balourd débauché et repoussant. Les problèmes physiques de l’artiste sont omniprésents dans le film, mais ses perpétuelles douleurs aux mains ne sont pas mentionnées. La relation ambiguë de Frida Kahlo avec Léon Trotski ressemble, elle, à un vulgaire gag de propagande, au même titre que la confrontation de Rivera et Nelson Rockefeller au sujet de l’œuvre murale du Rockefeller Center, que le peintre a préféré détruire plutôt que d’en effacer le portrait de Trotski. Bien entendu, le spectateur est sous le charme de la pulpeuse Salma Hayek, mais cette dernière ne rappelle en rien l’allure si particulière du peintre. Frida ne risque pas non plus de recevoir une récompense pour ses décors : les intérieurs en bois et les tuiles colorées des maisons semblent tout droit sortis d’un “spécial Mexique” de chez Habitat. Costumes et attitude des acteurs ne dépareilleraient pas un défilé de mode. Mais le public ne se soucie pas de ces détails et en demande toujours plus sur Frida.

Lors des ventes d’art d’Amérique latine de printemps chez Christie’s, à Manhattan, on pouvait trouver un carnet d’adresses, un chemisier, un collier de pierres qui lui auraient appartenu, ainsi qu’une robe, une lettre écrite avec Diego Rivera à Léon Trotski et un petit squelette qu’elle avait sûrement fabriqué pour le Jour des morts. Mais même la Kahlomania connaît des limites et ces objets personnels n’ont pas atteint leur prix de réserve de 30 000 dollars (30 356 euros). Aujourd’hui, les peintures de Frida Kahlo sont si rares que ni Christie’s ni Sotheby’s n’en avaient à proposer lors de leurs ventes de printemps. “Quelqu’un qui voudrait épater la galerie devrait débourser au bas mot des millions de dollars”, prétend le marchand new-yorkais Mary-Anne Martin, se référant au record établi
par un Mexicain, magnat des médias, qui avait acheté une œuvre de Kahlo en 2000 pour 5 065 000 dollars.

Actuellement, “Frida Kahlo, Diego Rivera et le modernisme”, qui a connu un record de fréquentation lors de sa présentation au Museo del Barrio à New York, est présentée au Musée d’art moderne de Seattle jusqu’au 5 janvier 2003. “C’est comme Van Gogh et son oreille. Dès que l’on parle de Frida Kahlo, on est sûr d’attirer les foules”, prétend Robert Littman, conservateur de la collection de Jacques et Natasha Gelman, riches producteurs de films qui ont connu l’artiste. En fait, Frida Kahlo a toujours été liée au cinéma et pas seulement pour son goût de l’auto-promotion : Edward G. Robinson, célèbre truand du grand écran, fut le premier collectionneur américain à acheter ses œuvres.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°156 du 11 octobre 2002, avec le titre suivant : Frida Kahlo en copies neuves

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