Françoise et Jean-Philippe Billarant : Une passion de concert

Un entretien avec le couple Billarant

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 25 octobre 2002 - 980 mots

Collectionneurs d’art contemporain, Françoise et Jean-Philippe Billarant nourrissent depuis plusieurs années une passion semblable pour la musique. Président de l’Espace de l’art concret de Mouans-Sartoux, Jean-Philippe Billarant assure également la présidence du conseil d’administration de la Cité de la musique à Paris. Ensemble, Françoise et Jean-Philippe Billarant ont, à partir de 1993, passé commande à des compositeurs. Entre art et musique, ils reviennent avec nous sur ce double intérêt.

Comment se sont conjugués vos intérêts pour l’art et pour la musique ? L’un des deux a-t-il devancé l’autre ?
Françoise Billarant : Oui, nous avons d’abord collectionné l’art contemporain, à partir des années 1970. À la fin des années 1980, nous avons été écœuré par la spéculation, la flambée des prix et la mise en place de listes d’attente dans les galeries. Se tourner vers la musique a été un moyen de nous éloigner de ce rapport à l’argent. Nous nous intéressions jusque-là à la musique en tant que spectateur et auditeur, et nous nous sommes demandés comment faire plus, et comment commander des œuvres à des compositeurs. C’est par le biais de l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam), à Paris, que nous avons pu le faire.

Venant de particuliers, cette démarche est rare...
Jean-Philippe Billarant : Oui, nous sommes presque seuls. C’est pourtant quelque chose d’absolument extraordinaire. À quelques exceptions près, l’acquisition d’une œuvre d’art contemporain intervient alors que la pièce est déjà achevée. Dans le cadre de la composition, nous avons la chance de suivre la construction d’un travail. À la différence des arts plastiques, cela se déroule sur une période longue, parfois sur plusieurs années. Les compositeurs ont la gentillesse de nous expliquer où ils en sont dans leur développement, le “pourquoi” de telle partie. C’est quelque chose de privilégié et d’irremplaçable pour nous.

Votre commande implique-t-elle des impératifs ?
J.-P. B. : Nous indiquons juste au compositeur que le travail qu’il va mener doit revêtir pour lui un aspect expérimental. Nous ne cherchons pas nécessairement une pièce aboutie, mais plutôt une avancée, généralement permise par l’électronique, un domaine qui est amplement développé par l’Ircam. Quelqu’un comme Philippe Manoury a ainsi pu essayer pour la première fois des expériences avec la voix. Marco Stroppa a repris des enregistrements de chants ethniques, et Emmanuel Nunes a travaillé sur un rythme extraordinaire. Les compositeurs à qui nous avons commandé des œuvres appartiennent à une génération proche de la nôtre. Outre les trois déjà cités, nous avons passé des commandes à Brian Ferneyhough, un Anglais, et plus récemment à Yan Maresz, un jeune musicien français.

Votre collection est connue pour ses orientations minimalistes et conceptuelles. Ces goûts se retrouvent-ils dans vos choix musicaux ?
F. B. : Pour expliquer l’art conceptuel, nous disons souvent : prenez une partition, vous aurez une chose assez semblable. Les modes d’emploi de Sol LeWitt pour ses wall-drawings sont un bon exemple de cette comparaison. Cela est aussi valable pour l’œuvre de Claude Rutault, bien que ce dernier ne soit pas un artiste conceptuel. C’est un peu comme une partition, il y a des règles écrites et une grande liberté à l’intérieur de celles-ci. Les artistes contemporains ont introduit cette idée d’une prise en charge par un tiers de l’interprétation d’un travail. Dans les deux activités, l’art et la musique, il y a un rôle d’interprète. Toutefois, nous ne le jouons pas personnellement pour la musique.
J.-P. B. : Pour l’art minimal, il y a souvent une confusion. Malgré notre intérêt pour ce mouvement, nous ne sommes pas proches du minimalisme musical. Philip Glass ou à Terry Riley ne nous intéressent pas nécessairement. Ce que nous avons retiré de l’art minimal, c’est plutôt un esprit de rigueur et de construction. C’est l’héritage de l’art construit, constructif ou concret : une volonté de mise en forme. Dans la musique, c’est un peu cela qui nous importe, même si cela peut nous mener sur des schémas un peu différents. Enfin, comme dans le domaine de l’art contemporain, nous avons évité les mouvements “néos”, postmodernes ou trop expressionnistes.

Vous parliez de partition, d’interprétation, mais comment situez-vous l’enregistrement ?
J.-P. B. : Nous n’avons pas un niveau de connaissances musicales suffisant pour déchiffrer une partition contemporaine, surtout si elle intègre une partie électronique. L’écoute est essentielle. Ensuite, le disque, l’enregistrement, n’est que la photographie du tableau. Si vous écoutez d’abord l’enregistrement, vous n’aurez qu’une idée appauvrie et partielle de l’œuvre, surtout dans les œuvres où la spatialisation intervient.
F. B. : La partition est le plus important. L’interprétation en découle.

Cette idée de spatialisation semble rejoindre celle de l’in situ ou du specific-site, deux domaines largement abordés par les artistes présents dans votre collection. Cela peut-il être rapproché de la musique contemporaine?
J.-P. B. : Oui, en musique, nombre de morceaux sont pensés en fonction d’un environnement. La notion de spatialisation joue désormais un rôle important. Elle a largement pu être développée ces quinze dernières années. Les progrès de l’informatique permettent une distribution des sons extrêmement précise. Bien sûr, la musique électronique est diffusée via des enceintes, et celles-ci sont placées dans les trois dimensions, mais vous pouvez imaginer des choses comparables avec des instruments : Répons de Boulez, où les instrumentistes sont placés dans différents lieux. Stockhausen l’a aussi fait fréquemment. Cela permet de moduler l’espace, d’en tirer le meilleur parti.

Avez-vous déjà tenté de provoquer des rencontres entre artistes et musiciens ?
F. B. : Oui, bien sûr, mais cela n’a pas réellement marché, c’est très difficile. Il y a des exceptions, comme Gottfried Honegger, qui a été un pionnier dans ces passerelles. Felice Varini démontre un intérêt certain pour ce domaine. Philippe Thomas était vraiment un amateur.
J.-P. B. : Cela est vrai dans l’autre sens, les musiciens ne s’intéressent que rarement à un art d’avant-garde. Ils privilégient le figuratif, des choses anciennes. Il y a bien sûr des exemples, où l’on a essayé de marier un compositeur et un artiste pour un opéra, mais ce n’est pas évident.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°157 du 25 octobre 2002, avec le titre suivant : Françoise et Jean-Philippe Billarant : Une passion de concert

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