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François Schuiten : « Montrer des imaginaires de Paris »

Dessinateur de bande dessinée

Par Christian Simenc · Le Journal des Arts

Le 14 octobre 2014 - 1045 mots

Dessinateur belge né dans une famille d’architectes, François Schuiten, 58 ans, travaille depuis 1980 avec son complice le scénariste Benoît Peeters, notamment sur la célèbre série « Les Cités obscures » (éd. Casterman) qui, l’an passé, a décroché le Grand prix Manga au Japan Media Arts Festival, à Tokyo. François Schuiten et Benoît Peeters ont conçu l’exposition « Revoir Paris », qui ouvre le 20 novembre à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à Paris, en parallèle à la sortie de l’album du même nom, dont le premier tome paraît le 5 novembre.

Comment avez-vous construit l’exposition « Revoir Paris » ?
Nous voulons évoquer comment, durant ces deux derniers siècles, certains ont rêvé Paris et l’ont projetée dans le futur. Ce n’est ni un regard d’historien, ni un regard de scientifique, mais un regard d’auteurs de BD, donc lié à l’image. Il ne s’agit pas d’un panorama exhaustif, mais d’une traversée, chronologique et légère, à travers une histoire de l’utopie. On trouvera à la fois des rendus d’architectes tels Auguste Perret, Yona Friedman ou Le Corbusier, des esquisses d’illustrateurs comme Albert Robida, et mes propres dessins. L’intéressant pour nous est de montrer non pas une imagerie de Paris, mais un imaginaire de Paris.

À voir certains projets, l’utopie peut se révéler violente…
L’utopie est parfois violence. J’ai réalisé, en 2000, pour l’Exposition universelle de Hanovre, en Allemagne, le Pavillon des Utopies. Dans sa vision francophone, en France et en Belgique en tout cas, le terme « utopie » est édulcoré de ses dérives, et excès, et parfois carrément anobli. En Allemagne en revanche, son aspect fascisant est pris en compte. On exprime cette dualité de l’utopie, ses contrastes. « Utopie » vient du grec non et topos qui signifie « non lieu ». Il ne s’agit donc pas d’angéliser ce mot. Nombre de propositions n’ont d’ailleurs jamais été construites, et heureusement. L’utopie est effrayante, mais en même temps nécessaire. Elle peut mener dans des dimensions apocalyptiques ou paradisiaques. Elle est utile pour ouvrir un espace figé.

Les politiques et les décideurs pratiquent-ils suffisamment l’utopie ?
Le problème, c’est qu’ils réfléchissent tous à court terme, jusqu’à une dizaine d’années au plus. Mais il faut cinquante ans pour faire tomber les réflexes. Tout le monde est obnubilé par les contraintes, or les réglementations empêchent beaucoup de choses. L’important est de construire des scénarios. Il faut savoir sortir des réflexes préconçus, sinon les projets deviennent banals, sans ambition. On répond à des objectifs raisonnables qui eux-mêmes répondent à un ensemble de critères raisonnables. À quoi aimerait-on que la ville ressemble dans cinquante ans ? Cette dimension du rêve est oubliée.

Vous avez pris part, en 2009, à la consultation sur le projet du « Grand Paris ». De quelle manière et qu’en pensez-vous ?
J’étais fasciné par le fait qu’une ville décide ainsi de se projeter. Nous avons, à l’époque, livré une vision métaphorique du Grand Paris. Cinq ans après, c’est une désillusion. La real politik et le grenouillage local ont pris le dessus. Les vrais enjeux n’ont pas été saisis. Il y a toujours ce terrible périphérique et rien ne donne à penser que l’on cherche à casser le schéma d’abandon de ces « régions périphériques ». En réalité, cela n’a pas bougé depuis le projet « Banlieue 89 » de l’architecte Roland Castro. Or les banlieues sont un enjeu majeur. Se dire qu’il y a dans ces villes quelque chose à faire d’unique serait réellement excitant et prometteur. Les dessins que j’ai faits sur la banlieue sont un brin provocateurs : à la Défense, j’invente des Ponte Vecchio entre les tours ; à Aulnay-sous-Bois, les édifices ressemblent à des arbres…

Vos immeubles sont souvent très élevés or, à Paris, la construction de tours fait débat… S’agit-il d’un manque d’audace ?
Dans son livre Paris au XXe siècle, Jules Verne déjà avait rehaussé les immeubles haussmanniens. Il savait l’accroissement démographique à venir et trouvait avantageux de concentrer les populations. À Paris, il faut réinventer la notion de tour, afin d’imaginer des projets ambitieux. J’ai un énorme respect pour la ville, mais elle doit évoluer, sinon elle risque de se fossiliser. La ville est un être vivant.

Vos BD sont truffées de transports aériens urbains. Sont-ils une hypothèse à explorer ?
J’aime beaucoup le téléphérique et je suis épaté de voir le nombre de projets à travers le monde qui le réhabilitent. Je vois aussi beaucoup de projets de monorail, comme celui à grande vitesse entre Montréal et Québec. À Wuppertal, en Allemagne, il y a un monorail suspendu. Dans la ville de demain, téléphériques et monorails seraient très efficaces, mais il y a encore trop d’appréhension. Il faut changer notre rapport au fait d’être survolé.

Vous semblez beaucoup apprécier l’architecture du tournant du siècle et plus particulièrement celle de Victor Horta…
L’architecture de cette période est extraordinaire. Entre 1890 et 1910, Bruxelles est la plus belle ville du monde avec Vienne. Paul Hankar, Henry Van de Velde et Horta avaient un talent fou. Horta a nettoyé l’aspect décoratif de la modernité. Il y a chez lui un travail incroyable de la main, une proximité organique entre le détail et le global. Je me suis occupé de la restauration et de la scénographie de la Maison Autrique. En revanche, la Maison du peuple, ce chef-d’œuvre de l’Art nouveau, a été démolie dans les années 1960, malgré une pétition signée par Le Corbusier et Frank L. Wright. Mieux vaudrait prendre le temps de décrypter l’intérêt d’un bâtiment dans l’histoire de l’architecture, avant de décider de le démolir.

Pour la Société nationale des chemins de fer belges, vous travaillez actuellement au futur « musée du train » de Bruxelles. Quel est votre scénario ?
Ce n’est pas un musée au sens traditionnel du terme. L’idée est de raconter une histoire des trains avec des locomotives de 120 tonnes. J’ai appelé cela : « Opéra ferroviaire ». Le visiteur découvrira des installations à diverses échelles, de la plus petite à la plus spectaculaire. L’ouverture est programmée pour mai 2015.

Quelle exposition vous a particulièrement marqué récemment ?
Celle du peintre flamand Michaël Borremans, au Palais des beaux-arts de Bruxelles [qui s’est achevée en août]. J’ai beaucoup aimé ses petites mises en scène à la plume, très fines et passionnantes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°421 du 17 octobre 2014, avec le titre suivant : François Schuiten : « Montrer des imaginaires de Paris »

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