2014-2016

Fleur Pellerin cisaillée en plein vol

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 16 février 2016 - 1002 mots

En dépit d'un fort investissement personnel et la reconnaissance de son travail, l’ancienne ministre de la Culture n’a pas su ou pu incarner sa fonction.

PARIS - Fleur Pellerin ne sera restée Rue de Valois que 534 jours, du 26 août 2014 au 11 février 2016. Un record de brièveté sur les vingt dernières années et un quasi record depuis la création du ministère de la Culture. L’histoire retiendra que sa tête est tombée en pleine séance publique au Sénat alors qu’elle défendait la loi « liberté de création, architecture et patrimoine ». Une fin à la Molière qui ne manque pas de panache, ce qui paradoxalement lui a manqué tout au long de ces dix-huit mois et lui aurait coûté son poste, selon le commentaire consensuel du petit monde de la culture et de la communication. Chacun souligne à l’envi son manque d’appétence pour la culture ou son incapacité à donner le change, citant la bourde sur Patrick Modiano ou son ignorance du nom de l’artiste qui a peint un grand tableau trônant dans son faux-vrai bureau. « Le ministère de la Culture est un ministère de symboles qui ont besoin d’être incarnés et elle ne les incarnait pas assez », explique un ancien directeur d’opérateur culturel. Un manque d’éclat sanctionné dans les sondages, puisque, selon Ipsos/Le Point, le nombre de sondés portant un jugement favorable plafonnait à 26 % tandis que le pourcentage d'opinions défavorables est passé au fil du temps de 23 % à 34 %. Et dans le baromètre TNS-Sofres, ils n’étaient plus que 13 % en février 2016 à « lui voir jouer un rôle important dans le futur ».

Contrairement à des ministères trop techniques pour attirer les caméras, celui de la Culture ne manque pas d’occasions heureuses ou malheureuses pouvant donner lieu à un rendez-vous avec les Français. En l’espèce, de l’attentat contre Charlie Hebdo à celui du Bataclan, en passant par les nombreuses disparitions individuelles (le service de presse de la Rue de Valois a diffusé 136 hommages à des comédiens, artistes, auteurs…, soit un tous les quatre jours !), il y avait là matière à marquer une émotion, à prononcer la formule qui touche le cœur des Français. Fleur Pellerin n’a pas eu ce talent. Pourtant, en plus petit comité, elle peut avoir le ton juste et digne, comme en témoigne le rassemblement de tout le personnel du ministère au lendemain des attentats de novembre.

Un profil plus « techno »
L’ancienne ministre s’épanouit davantage dans la lecture de dossiers complexes et techniques, la rencontre sur ces sujets avec les représentants professionnels et la traduction des missions de son ministère en des instructions écrites, lois ou règlements. Elle laisse ainsi un bon souvenir de son passage au ministère délégué aux PME, à l’Innovation et à l’Économie numérique où le glamour compte pour une moindre part. Sa gestion de l’affaire Agnès Saal illustre bien son tropisme « techno » et son manque de savoir-faire dans la communication sur les mesures prises. Le grand public ne retient qu’une supposée complaisance pour un haut fonctionnaire devenu bouc émissaire des dérives des élites, alors qu’elle a remis à plat les durées de mandat et les frais de déplacement des directeurs d’opérateurs publics. De même, qui lui reconnaîtra un mérite dans l’accord passé entre les professionnels de la musique pour le partage des revenus de la musique en ligne ou pour l’entrée dans les collections publiques des archives Turgot grâce à un mécénat de la Banque de France ?

Trop souvent, ses initiatives, bonnes dans le principe, ont été menées au pas de charge sans s’assurer du service après-vente adéquat. Les Assises de la jeune création n’ont pas eu le temps de mûrir pour permettre aux artistes et à leurs défenseurs de se sentir écoutés ; ceux-ci auraient alors eu le sentiment d’être les acteurs de leur changement sous le leadership éclairé d’une ministre attentive qui en retour apparaîtrait comme faisant partie des leurs. Idem pour les « Pactes culturels » proposés aux villes. De nombreuses associations culturelles se plaignent de difficultés budgétaires grandissantes en raison de la baisse des subventions des collectivités territoriales, baisse qui est mise au débit du ministre de la Culture alors que celle-ci n’y est pour rien. Les Pactes avec les villes dans lesquels ces dernières s’engagent à maintenir leurs crédits à la culture sur trois ans apparaissent comme une bonne solution. Mais la ministre a préféré signer 35 pactes en quatre mois plutôt que de le faire savoir.

Inexpérience politique
Sa relative inexpérience politique, qui explique en partie ce manque de flair, s’est doublée d’une certaine naïveté. Loyale envers Manuel Valls, qu’elle a plusieurs fois remercié lors de la passation de pouvoir, elle n’a pas su ou voulu s’émanciper du Premier ministre et acquérir une autorité naturelle dans le milieu. Ainsi, de Sylvie Hubac nommée à la RMN-Grand Palais à Serge Lasvignes au Centre Pompidou, en passant par Muriel Mayette à la Villa Médicis, il est apparu clairement que ces nominations passaient au-dessus de sa tête, réduisant d’autant sa crédibilité. Et l’un de ses rares actes d’autorité, l’éviction de Nicolas Bourriaud à la tête de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, paraît trop facile tant la cible était contestée, alors qu’elle s’est engagée trop vite en voulant imposer Hilde Teerlinck à la direction de l’École nationale supérieure d’art de Bourges.

En revanche, son investissement personnel n’est pas contestable. De l’avis d’un haut fonctionnaire de la Rue de Valois qui connaît bien la maison, Fleur Pellerin, longuement applaudie lors de la passation, a su progressivement gagner l’estime de l’administration centrale. Car si elle est bosseuse et sait donner des directions claires, c’est aussi une affective malgré un visage énigmatique et une certaine difficulté à reconnaître ses interlocuteurs. C’est son cabinet qui résume le mieux le sentiment interne dans un texte-hommage s'inspirant de la chanson Göttingen de Barbara que la ministre apprécie : « Tu as remis ce ministère en position de partenaire, il n’était pas question de plaire mais de bien faire. »

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°451 du 19 février 2016, avec le titre suivant : Fleur Pellerin cisaillée en plein vol

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