Etats-Unis : le know how des expos

Coordination, stratégie, calendrier précis

Le Journal des Arts

Le 8 janvier 1999 - 1299 mots

Dans les musées américains, souvent privés de subventions publiques et en situation de concurrence intense, les stratégies commerciales prennent de plus en plus d’importance, avec, au cœur du dispositif, les grandes expositions. Permettant de lancer de vastes campagnes publicitaires, d’attirer de nouveaux adhérents, de mettre en place des partenariats, d’éditer des produits dérivés et de mener des actions éducatives qui amélioreront l’image de l’établissement, ces manifestations sont organisées selon des règles minutieuses. Néanmoins le succès n’est pas toujours au rendez-vous.

À l’exception de la National Gallery et de la Smithsonian Institution de Washington, tous les musées américains sont privés, et les contributions publiques ne cessent de diminuer depuis une dizaine d’années. Cela signifie principalement deux choses : d’une part, la survie de l’établissement n’est pas garantie – la faillite et la fermeture le guettent en cas de mauvaise gestion, comme cela est arrivé à Détroit ; d’autre part, les musées se trouvent en concurrence avec d’autres institutions culturelles ou du secteur des loisirs.

Le marketing est apparu ces derniers temps comme une réponse à cette situation, le but étant d’élargir et de fidéliser au maximum les visiteurs, conçus en terme de clientèle et de demande potentielle. Ainsi, les départements de mercatique et de relations publiques ont fleuri dans les musées depuis dix ans. Placés sous le contrôle du directeur administratif, ils emploient 10 à 15 personnes à plein temps pour un établissement de taille moyenne, recouvrant des fonctions très larges : relations avec les médias, services pour les groupes, organisation d’événements spécifiques réservés aux adhérents ou aux entreprises et à leurs clients, publicité et promotion d’offres spéciales, gestion du site Internet et coordination des différents départements impliqués dans l’organisation d’expositions temporaires. Celles-ci se trouvent en effet au centre du dispositif d’attraction du public, un succès raisonnable laissant espérer 300 000 à 500 000 visiteurs.

Savoir se rendre indispensable et planifier
Cependant, plus qu’un succès ponctuel, un musée a besoin de pouvoir compter sur des rentrées d’argent régulières qui lui permettent de planifier l’avenir, avec des plans de gestion sur trois ou cinq ans.

La participation que la Ville fournit en services (électricité, chauffage, entretien du bâtiment – généralement municipal – abritant les collections) représente 15 à 20 % du budget. Ajouté au revenu du fonds de dotation (en moyenne, 15 à 20 % de plus), c’est la seule source de revenus qui soit sûre et calculable à l’avance. Les 60 à 70 % restants – le nombre de visiteurs, celui des adhérents, les dépenses par personne dans les boutiques du musée ou les donations – sont aléatoires et dépendent de la conjoncture économique.

Assurer au maximum un financement stable devient donc une question de survie. Plusieurs stratégies existent. Ainsi, pour regagner le soutien de l’État ou des instances territoriales, certains directeurs ont beaucoup développé les activités éducatives destinées aux catégories les plus défavorisées de la société, depuis les minorités ethniques jusqu’aux habitants des quartiers pauvres. Mettant en avant leur mission d’utilité publique, ces établissements entendent mériter, au même titre qu’une école, un soutien pour leurs activités.

Mais la principale solution adoptée ces derniers temps a été d’augmenter le nombre des “amis du musée”. Avec 100 000 adhérents – en décembre 1997, le Metropolitan de New York en comptait plus de 107 000 –, un musée peut tabler sur une base relativement stable de visiteurs. Pour s’en tenir au Metropolitan, à 40 dollars la cotisation, les 43 692 National Associate Members rapportent chaque année 1 747 680 dollars (9,75 millions de francs). À cela, il faut ajouter que les amis du musée dépensent en moyenne davantage en services et en achats que le visiteur lambda.

Or, les expositions temporaires se sont révélées être un instrument efficace, sinon indispensable, pour attirer de nouveaux adhérents et élargir la base des usagers habituels des services du musée. Les “amis” sont en outre les visiteurs que les musées connaissent le mieux, puisqu’ils y viennent en moyenne six fois par an. Ils peuvent donc évaluer leurs souhaits et leurs besoins, parvenant à calibrer ainsi leurs offres.

En dix-huit mois, avec “Les années de jeunesse de Picasso” et “Monet au XXe siècle”, le Museum of Fine Arts (Mfa) de Boston a vu le nombre de ses “amis” passer de 55 800 à plus de 77 000, soit une augmentation de 38 % ! “La tâche de notre département, pour les expositions temporaires, est en premier lieu d’augmenter le nombre des nouveaux adhérents”, confirme Paul Bessire, directeur du marketing au Mfa.

Quinze mois de gestation
Pour promouvoir une exposition, un comité de coordination est créé quinze mois avant la date d’inauguration : il comprend des conservateurs, des membres de la direction et des services destinés aux visiteurs, ainsi que le département des relations publiques. La façon de vendre la manifestation, la quantité de publicité à faire et le plan-media (journaux, radio, télévision, mailings...) y sont successivement abordés.

Les décisions sont prises par les conservateurs – qui ont toujours le dernier mot, même sur l’insignifiant marque-page à en-tête de l’exposition –, conjointement avec le département du marketing et l’agence chargée des imprimés et de la publicité. Cette dernière travaille aussi fréquemment pour le sponsor principal de l’exposition, qui coordonne avec le musée ses campagnes de marketing.

Neuf mois avant l’exposition, débutent les envois de courrier destinés aux nouveaux “amis” potentiels. Pour “Monet au XXe siècle”, le Mfa a acheté à une société spécialisée plus d’un million d’adresses et expédié quatre lettres, à deux mois d’intervalle, à plus de 200 000 personnes. Le pourcentage de réponses positives, c’est-à-dire de nouveaux adhérents qu’apporte ce genre de campagne, oscille entre 1 et 2 %. En général, sur ces nouveaux “amis”, 40 à 50 % seulement resteront adhérents au-delà de l’année de l’exposition. Mais le mailing direct est très onéreux. En l’absence d’un budget publicitaire suffisant, le Philadelphia Museum of Art a dû se contenter de recouvrir deux autobus de la ville avec des reproductions d’œuvres de Cézanne, pour sa rétrospective de 1996.

À huit mois de l’exposition, les musées démarchent les hôtels, les lignes aériennes et ferroviaires, les restaurants, pour préparer des séjours “tout compris” avec l’aide des offices du tourisme locaux. À moins de quatre mois, ce sont les journalistes qui sont contactés ; enfin, à deux ou trois mois de l’inauguration, les billets sont mis en vente à grand renfort de publicité, d’abord aux “amis” du musée puis au public. Le prix d’entrée est fixé conjointement par les conservateurs les plus anciens et les directeurs du marketing.

Pour quel succès ?
On entend souvent dire que les expositions temporaires constituent une source de revenus considérable, mais les quelques bilans ou statistiques que les musées consentent à dévoiler montrent que, bien souvent, l’équilibre n’est atteint que grâce à l’apport de mécènes. Exception faite du Metropolitan ou de l’Art Institute de Chicago, qui comptent leurs visiteurs par millions, ils n’atteignent pas toujours un nombre d’entrées suffisant pour couvrir les multiples coûts liés à la préparation d’une exposition temporaire.

Le musée de Philadelphie, pourtant l’un des grands établissements américains, révèle ainsi un déficit structurel en raison d’une politique trop ambitieuse par rapport à ses 1,2 million de visiteurs. “Cézanne”, avec près de 500 000 entrées, 1,6 million de visites sur Internet, 35 000 catalogues vendus et près de deux fois plus d’activités commerciales (71,6 millions de francs au lieu des 39 millions habituels), a néanmoins aidé le musée à dégager un bénéfice en 1997. Mais l’exposition actuelle consacrée à Delacroix s’annonce nettement moins rentable, car elle se trouve en concurrence avec “Monet au XXe siècle” à Boston et “Van Gogh” à Washington. “Cézanne a été un événement exceptionnel, admet Sandra Horrocks, directrice du marketing et des relations publiques. La vérité est que les coûts des expositions sont désormais prohibitifs, notamment ceux des assurances, et qu’il est rare de parvenir à réaliser un bénéfice, même modeste.”

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Etats-Unis : le know how des expos

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