Collection

Etat recherche œuvres d’art et mobilier égarés

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 1442 mots

De nombreuses peintures, sculptures et pièces de mobilier mises en dépôt dans les musées de province ont disparu. La Commission de récolement tente de retrouver leurs traces.

PARIS - Créée en 1997, la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art de l’État (CRDOA) devrait achever son travail en 2007. Sa mission : piloter la localisation des œuvres d’art et du mobilier appartenant aux collections nationales et déposées depuis le XIXe siècle dans les musées de province, mais aussi dans les administrations. Ce travail titanesque a confirmé l’existence de nombreux dysfonctionnements dans la gestion de ces biens inaliénables de l’État.
En juin dernier, c’est au cours d’une brève cérémonie matinale organisée à la Direction des Musées de France (DMF) que le lieutenant-colonel Lembert remettait aux responsables du Musée du Louvre un tableau italien du XVIIe siècle, œuvre du Dominiquin (lire le JdA n°197, juillet-août 2004), sur lequel les services de l’Office Central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) venaient enfin de remettre la main. Le tableau, ayant appartenu aux collections royales, allait enfin pouvoir rejoindre le palais du Louvre, qu’il avait quitté depuis 1895. Congratulations. Brefs discours... mâtinés d’une pointe d’embarras. La peinture avait en effet été volée au Musée d’art et d’histoire de Toul (Meurthe-et-Moselle), où elle était en dépôt, mais sa disparition n’avait jamais été constatée avant que la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art de l’État ne passe dans la ville ! Une longue enquête, facilitée par quelques indiscrétions, permettra de retrouver le tableau dans la salle à manger d’un notable de la ville. Prescrit, le vol daté approximativement des années 1970 ne donnera lieu à aucune poursuite. L’affaire, rocambolesque à souhait, était donc classée. Mais elle venait toutefois confirmer l’existence de graves déficiences dans la gestion des collections de musées.

Plus de la moitié des Régions inspectées
À Toul comme ailleurs, le travail essentiel d’inventaire (énumération et description des œuvres) et de récolement (vérification physique et pointage sur inventaire), garants de l’intégrité des collections nationales, avait a priori fait l’objet de sérieuses négligences. Dès 1997, un rapport cinglant de la Cour des comptes – qui avait fait grand bruit dans le landerneau des musées – avait fustigé sur ce point l’inaction de la DMF, qui n’avait jusqu’alors jamais édicté de « règles de gestion administrative des collections s’imposant à tous les musées », se contentant de « pratiques coutumières transmises oralement ». En 2003, un rapport du sénateur Philippe Richert est venu confirmer cette défaillance : « coupable discrétion de la tutelle », « lacunes préoccupantes » dans l’exécution des inventaires, récolements considérés par les conservateurs comme des « opérations exceptionnelles ». Et de s’interroger : « Pourquoi l’État aurait-il le droit de perdre des œuvres et non [celui] de les vendre ? »
Dès mars 1997, une commission interministérielle, présidée par un magistrat de la Cour des comptes, était mise sur pied pour programmer et définir les modalités du récolement général des dépôts de l’État dans les musées, mais aussi les ministères, mairies, palais de justice, préfectures ou autres bâtiments militaires à Paris, en province et dans les représentations diplomatiques à l’étranger. Devant l’ampleur de la tâche – 180 000 œuvres estimées, dont 100 000 appartenant aux Musées nationaux, 45 000 au Fonds national d’art contemporain (FNAC) et 25 000 au Mobilier national –, la CRDOA a vu sa mission finalement reconduite jusqu’en 2007. Deux ans avant l’achèvement de son mandat, un peu plus de la moitié des Régions ont été inspectées.
Le travail de la CRDOA, présidée depuis 2000 par Jean-Pierre Bady, a toutefois révélé l’ampleur de la gabegie. Sur les 100 000 œuvres aujourd’hui « visitées », seuls 81 % ont été retrouvées. Soustraction faite des disparitions pour faits de guerre, le chiffre des pertes s’abaisse à 13 %. S’il reste considérable, il est toutefois jugé « absurde » par certains conservateurs, agacés, qui préféreraient voir ces statistiques publiées « de manière plus détaillée ». Les chiffres seraient notamment grossis par les ensembles archéologiques, constitués de plusieurs pièces mais aussi par des œuvres de peu d’importance, comme cette multitude de copies de portraits officiels du XIXe siècle, souvent commandées à des artistes indigents, appartenant au Fonds national d’art contemporain.
La gestion des collections du FNAC, propriétaire « présumé » de 45 000 œuvres en dépôt, avait été sévèrement épinglée par le rapport de la Cour des comptes. « Jusqu’en 1995, toute la collection du XIXe siècle n’était en effet pas prise en compte dans notre gestion, reconnaît son actuelle directrice, Claude Allemand-Cosneau, et nous ne conservons des archives dans nos services qu’à partir de 1860. La raison en est simple : les commandes étaient effectuées par le Bureau des travaux d’art, qui les expédiait directement vers la province, sans même que ces œuvres ne transitent par un service administratif. » D’où cette absence de traçabilité pour une collection entière dont le FNAC a hérité à sa création, en 1976, et qu’une équipe de conservateurs et de « vacataires récolement » tente aujourd’hui de reconstituer, au prix de longues et patientes recherches.

Une priorité pour la DMF
Le problème du FNAC révèle aussi l’ambiguïté de la pratique même du dépôt, beaucoup de dépositaires, hors musées, s’étant considérés de facto comme propriétaires des œuvres. D’où des déplacements, de l’église municipale à la salle des mariages, du bureau du préfet à celui de sa secrétaire, sans aucune diligence à l’endroit du déposant. « La situation est d’autant plus complexe pour le Mobilier national, qui ne faisait pas respecter le principe de l’état annuel, précise Jean-Pierre Bady. Les objets mobiliers ont été déplacés au gré des changements de goût ou des nominations, pour finir parfois dans des caves ou dans des caisses de déménagement. » De là à penser que l’État aurait été pillé, faute de contrôle, il n’y a qu’un pas. Si le président de la CRDOA ne nie pas avoir déjà repéré en ventes publiques des créations originales du Mobilier national, Francine Mariani-Ducray, directrice des Musées de France, se veut plus rassurante sur la question du vol dans les musées, rappelant que la « forte tradition de travail collectif chez les conservateurs exclut souvent ce type de dérive ». Tout le monde s’accorde en revanche pour reconnaître le rôle pédagogique de la CRDOA, qui rappelle de fait leurs obligations aux déposants et aux dépositaires. Le récolement est par ailleurs devenu une priorité pour la Direction des Musées de France, textes et circulaires ayant enfin établi une doctrine.
Personne, en revanche, ne se dispute la responsabilité de cette négligence. Si Francine Mariani-Ducray reconnaît l’existence d’une « lacune », le service du récolement de la Direction des Musées de France préfère mettre en avant les vertus retrouvées d’une bonne gestion scientifique des collections, qui a permis certaines redécouvertes. De leur côté, les conservateurs avancent l’argument du manque de personnel. « Il y a 20 ou 30 ans, il n’y avait pas assez de conservateurs. Ils ne se sont trouvés confrontés au problème qu’à partir du jour où leurs propres collections pouvaient être présentées. Les jeunes générations réparent », explique Pierre Rosenberg, président-directeur honoraire du Musée du Louvre. Pour Jean-Pierre Bady, « la politique des grands travaux dans les musées a en effet favorisé l’oubli de la gestion des collections par les conservateurs, qui fait pourtant partie de leurs missions ». L’heure est donc à la grande remise en ordre. La loi musée de janvier 2002 rend désormais obligatoire le récolement décennal pour tous les Musées de France. Elle contraint aussi la CRDOA à une accélération des cadences car, décentralisation oblige, tous les dépôts effectués avant 1910 vont faire l’objet d’un transfert de propriété vers les Musées territoriaux. D’où la nécessité de les localiser.

Les chiffres du récolement

- Estimations de la CRDOA : Environ 180 000 œuvres en dépôt de l’État. - Propriétaires : Musées nationaux : 100 000. Fonds national d’art contemporain : 45 000. Mobilier national : 25 000. Musée national d’art moderne : environ 5 000. Centre des monuments nationaux : environ 3 500. - Nombre d’œuvres récolées : 100 000. Œuvres retrouvées : 80 000. Œuvres disparues pour faits de guerre : 7 500. Œuvres non localisées : 12 500. - Nombre de collectivités territoriales concernées par les mesures de décentralisation des dépôts de l’État : 300. - Villes ayant signé un protocole d’accord avec l’État : Toulouse et Amiens. - Régions récolées en 2005 : Rhône-Alpes et Bretagne. - Régions récolées en 2006 : Île-de-France. - Budget annuel de la CRDOA : Rétribution des « vacataires récolement » : 538 000 euros. Missions à l’étranger : 60 000 euros. Les missions en France sont prises en charge par les administrations déposantes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Etat recherche œuvres d’art et mobilier égarés

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