Éléonore de Lacharrière - L’ego n’est pas la raison première aux fondations

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 19 novembre 2014 - 1143 mots

La directrice de la Fondation Culture & Diversité et présidente du Musée Rodin est entièrement tournée vers les autres.

L’œil D’où vous vient cet intérêt pour le mécénat ?
Éléonore de Lacharrière :
Comme tout le monde en grande partie de l’éducation reçue par mes parents et puis, sans doute, de ma personnalité qui trouve un vrai sens à travailler dans la solidarité et dans la culture. Mais plus que le mécénat, c’est la gestion de projets sociaux, culturels, d’intérêt général, qui m’intéresse.

Comment est née l’idée de la Fondation Culture & Diversité ?
Fimalac, le groupe créé par Marc de Lacharrière [le père d’Éléonore, ndlr] au début des années 1990, a toujours eu une politique de mécénat forte pour la culture et pour une société plus harmonieuse. La création de la Fondation Culture & Diversité, en 2006, était une étape supplémentaire dans cet engagement. Nous avons développé une fondation d’entreprise très opérationnelle et non pas redistributrice, travaillant sur le terrain, avec nos partenaires culturels et avec les personnels administratifs et les professeurs exceptionnels qui sont en ZEP. La fondation met en place des actions d’éducation culturelle et artistique, en école, collège ou lycée ZEP et des programmes d’égalité des chances dans l’accès aux grandes écoles de la culture. Notre méthodologie pour accompagner des jeunes des milieux modestes vers les études supérieures s’est révélée efficace et reconnue par le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale. L’école du Louvre a été la première à nous faire confiance. Aujourd’hui, nous travaillons avec une quarantaine d’écoles : la Fémis, Louis Lumière, les Beaux-Arts de Paris, l’ENSCI-les Ateliers, les Arts déco, sept écoles d’architecture, Boulle, Duperré, l’Institut national du patrimoine, etc.

Combien d’élèves avez-vous aidés ?

Nous avons accompagné plus de mille élèves dans la préparation aux concours avec un taux de réussite toujours supérieur à la moyenne. Une fois que ces jeunes lèvent les barrières de l’autocensure et qu’ils ont confiance en eux, leur personnalité, leur intelligence et leur motivation les font réussir les concours mieux que les autres !

Votre fondation est-elle unique dans le paysage du mécénat culturel ?
La fondation est en effet un peu particulière par ce côté très opérationnel. Il n’y a pas de lien entre l’objet social de la fondation et ce que fait Fimalac, l’entreprise fondatrice, la fondation agit exclusivement en France, même si Fimalac fait une majorité de son chiffre d’affaires à l’étranger et nous n’avons pas du tout de mécénat de compétence. Il s’agit vraiment d’une volonté de notre président : une fondation, reflet de son engagement envers la culture et la solidarité, permise grâce à la réussite de son entreprise.

La plupart des fondations aujourd’hui ne servent-elles pas plutôt à valoriser des ego ou des collections personnelles ?
Absolument pas ! Créer une fondation, c’est décider de l’affectation irrévocable de biens à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. La collection – s’il s’agit d’une fondation de collection – n’est donc plus « personnelle » et ne peut pas être valorisée ! Et pour les ego, vous me trouverez peut-être naïve, mais si cette dimension rentre sans doute en compte, je pense qu’elle n’est absolument pas la raison première.

Comment faire la différence entre le mécénat sincère et le mécénat d’opportunité et de défiscalisation ?
La question ne se pose pas pour moi. Ceux qui accusent le mécénat d’être toujours opportuniste sont des idéologues du dénigrement permanent. C’est facile d’adopter une posture de dénonciation vis-à-vis de ceux qui font acte de générosité. La vraie problématique du mécénat est celle de son efficacité : quand l’entreprise a un mécénat de dix, pris en charge par l’État à hauteur de six du fait de la défiscalisation, cela est-il plus efficace que si l’État dépensait lui-même directement six ? Je suis intimement persuadée que oui. Le mécénat des entreprises, l’action des fondations, la philanthropie individuelle, permettent de financer des actions d’intérêt général qu’il ne serait pas possible de faire sinon ; il y a une efficacité, une capacité d’innovation, d’expérimentation et surtout d’accompagnement que l’État ne peut avoir.

Pourquoi la culture vous paraît-elle le meilleur vecteur d’éducation et de compréhension des autres, du monde ?
La culture est notre bien commun, elle favorise les liens indispensables entre les hommes dans le respect de leur diversité, elle fait reculer les risques d’intolérance et de replis identitaires. C’est l’antidote à la discrimination. La sensibilisation culturelle transmet des valeurs et nous donne en partage des repères culturels communs, nous fait réaliser que nous sommes tous partie prenante de la condition humaine. Grâce à la pratique artistique liée à cette sensibilisation, l’art n’est pas dogmatique. Chaque enfant peut s’approprier ses repères pour y apporter son ressenti, sa façon de comprendre le monde et de vivre mieux avec les autres. La pratique artistique permet de partager les questions fondamentales qui nous réunissent au-delà de notre milieu social, de notre origine, de notre religion. Et puis, il s’agit avant tout d’un espace d’épanouissement, qui redonne confiance, et un lieu de considération pour les élèves.

Comment les artistes se prêtent-ils au jeu ?

Nous travaillons avec des artistes passionnés par ces questions de transmission et de création. Des artistes convaincus de l’absolue nécessité d’un accès partagé à l’art. Gérard Garouste, par exemple, a créé il y a plus de vingt ans son association La Source, qui organise des ateliers d’arts plastiques pour des jeunes en difficulté. C’est un homme qui n’imagine pas son travail d’artiste dissocié d’un regard et d’une action envers les plus fragiles de notre société. Et puis, l’énergie, la vision, les préoccupations de ces jeunes sont aussi source d’inspiration pour les artistes ! L’action de la fondation est guidée par la conviction que notre société a besoin de la force créatrice et de la diversité de ces jeunes.

Vous avez accepté la présidence du Musée Rodin. Êtes-vous plus sensible à la sculpture ?
La sculpture a cela de très beau que l’approche de la matière est immédiate. Le sensible y est plus direct, plus fort que dans d’autres médiums. Il y est en trois dimensions. J’aime l’art qui s’explique, qui se comprend, qui s’apprend, mais aussi celui qui se ressent. Avec les jeunes de la fondation, nous voyons au quotidien combien toutes ces approches sont complémentaires et nécessaires. Avec la sculpture, on a envie de toucher, de sentir la matière. D’ailleurs, nous allons créer au Musée Rodin une galerie sensorielle, un endroit où il y aura écrit en gros en entrant : ici on peut toucher ! Nous y présenterons des sculptures en plâtre, en terre, en bronze, des matériaux afin de permettre aux visiteurs d’avoir enfin une approche tactile de l’art !

1979 Naissance à Paris
2002-2005 Essec Business School
2005-2006 Coordinatrice administrative et financière de PlaNet Finance India
Depuis 2006 Déléguée générale de la Fondation Culture & Diversité
2013 Présidence du conseil d’administration du Musée Rodin

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Éléonore de Lacharrière - L’ego n’est pas la raison première aux fondations

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