École d'art

Les écoles d’art doutent

Écoles d’art : investir pour l’avenir

Ces établissements, qui forment les futures générations d’artistes et de designers, se plaignent de ne pas faire partie des priorités du ministère de la Culture

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 1 février 2011 - 981 mots

Loin des priorités de l’État, les écoles d’art financées par le ministère de la Culture traversent une période difficile. Elles souffrent de problèmes budgétaires qui pourraient mettre en péril la qualité de leur enseignement et leur attrait international. Certaines tentent de développer leurs ressources propres et réfléchissent à la mise en place de fonds de dotation.

« Transmission. » Lors de ses vœux au monde de la connaissance et de la culture, le 19 janvier, Nicolas Sarkozy a martelé ce mot, plaçant au cœur du débat la question de l’enseignement. Or si la plupart des collectivités locales ont progressivement pris la mesure de l’impact de la créativité – et donc de la présence d’écoles d’art – sur l’attractivité de leurs territoires, le ministère de la Culture n’a toujours pas fait de ce sujet un axe majeur de son action. Sous couvert de l’anonymat, certains directeurs d’école n’hésitent pas à agiter les banderilles. « La transmission est loin d’être une priorité pour le ministère de la Culture, tempête l’un d’eux. Or il s’agit bien d’une mission régalienne. Ce serait une catastrophe culturelle que de n’avoir que des écoles privées. »

Les données budgétaires sont, sur ce point, assassines : la totalité des enseignements supérieurs (qui comprennent aussi les écoles d’architecture ou les conservatoires) ne représente que 8 % du budget de la Rue de Valois. Et en ne considérant que les seules écoles d’art, ce taux s’effondre à 1,8 %. En 2011, 50 millions d’euros seront ainsi consacrés aux cinquante-neuf écoles d’art, qui accueillent un peu plus de 10 000 étudiants par an. C’est peu pour qui considère que ces écoles forment les créateurs et artistes de demain. Par ailleurs, une grande disparité demeure en termes de financements, seuls onze établissements, les écoles nationales, étant principalement subventionnés par l’État. Mais quand, à Paris, l’École nationale supérieure des beaux-arts (Ensba) perçoit une subvention de fonctionnement de 7,2 millions d’euros, celle-ci s’élevant à 10,8 millions pour l’École nationale supérieure des arts décoratifs (Ensad), l’École nationale supérieure de création industrielle (Ensci) ne touche que 3,6 millions. Les autres écoles nationales situées en régions (Arles, Bourges, Cergy, Dijon, Limoges, Lyon, Nancy, et Nice) doivent quant à elles se partager une enveloppe de 7,6 millions. Un tel différentiel interroge ainsi sur la volonté de l’État de continuer à entretenir ces écoles.  

Partenariats multipliés
De leur côté, les quarante-huit écoles territoriales ne sont financées par l’État qu’à hauteur de 10 % et 15 %, le reste étant pris en charge par les collectivités locales, pour des budgets de fonctionnement souvent inférieurs à 3 millions d’euros. Mais qu’elles soient nationales ou territoriales, toutes ces écoles, qui pratiquent des frais de scolarité très peu élevés par comparaison avec les écoles étrangères, sont aujourd’hui contraintes d’accroître leurs ressources propres, notamment pour financer leurs investissements. Si elle rapporte près de 100 000 euros par an à quelques grosses écoles parisiennes, la taxe d’apprentissage demeure un levier encore mal exploité. En revanche, la multiplication des partenariats avec les entreprises – qui fait grincer des dents certains enseignants – commence à faire florès.  

Spécificité des écoles d’art
Des écoles s’engagent aussi dans une voie lancée par les musées : projet de création d’un club d’entreprise à l’Ensad ou d’un fonds de dotation à l’Ensba (lire p. 7)… Malgré une conjoncture économique difficile, ces ressources ne sont pas négligeables : en 2009, elles ont atteint 1,7 million d’euros à l’Ensad, 1 million d’euros à l’Ensci et 3,2 millions à l’Ensba – qui bénéficie pour sa part d’une lucrative possibilité de privatisations de ses espaces patrimoniaux. Nul doute que la question financière sera aussi la clef pour l’avenir d’écoles qui doivent impérativement se maintenir à niveau dans un contexte de concurrence internationale. Mais le ministère de la Culture traite-t-il vraiment si mal ses écoles ? Plus que sur la question financière – dans un contexte logiquement tendu –, c’est sur le pilotage pédagogique que portent aujourd’hui la plupart des griefs. La situation est apparue au grand jour quand il s’est agi de prendre en charge le processus de validation de la reconnaissance du grade de mastère du Dnsep (Diplôme national supérieur d’expression plastique). Les écoles d’art ont ainsi été les dernières à entrer dans la danse, le processus n’étant toujours pas achevé.

L’Association nationale des directeurs d’écoles d’art (Andéa) tire aujourd’hui les leçons de ces atermoiements et milite pour la création d’un service dédié exclusivement à l’enseignement supérieur au sein du ministère de la Culture, celui-ci n’ayant pas été prévu lors de la récente réforme administrative. Le 18 janvier, l’Andéa adressait une lettre en ce sens au ministre. Pour Emmanuel Tibloux, président de l’Andéa et directeur de l’École supérieure d’art et design de Saint-Étienne, cette instance pourrait ainsi devenir le garant de la spécificité des écoles d’art et « leur éviter de passer sous certaines des fourches caudines de l’Université ». Et de préciser la différence entre les facultés et les écoles, décrivant, « d’un côté des établissements qui conjoignent formation et légitimation sous le chef de l’enseignement supérieur, d’un autre côté des établissements qui s’attachent à travailler à l’articulation des deux mondes et où la formation ne garantit pas une légitimation qui sera octroyée par le monde de l’art ».

La vigilance est d’autant plus grande alors que semble inéluctable, à terme, un mouvement de concentration de certaines écoles territoriales – qui doivent être transformées en EPCC (établissements publics de coopération culturelle) pour voir leur Dnsep reconnu. Et que d’autres chantiers restent par ailleurs à ouvrir, concernant en particulier l’épineuse question de la recherche. Quant à ceux qui seraient prêts à faire sortir les écoles d’art du giron de la Culture, au profit de l’Enseignement supérieur, la réponse de l’Andéa est sans appel : « Les écoles d’art doivent garder leur spécificité en termes d’enseignements et d’organisation, soutient Emmanuel Tibloux. Faut-il rappeler que le ministère de la Culture est le ministère des artistes ? »

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Vue de l’atelier de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, Paris. © Photo : Philippe Chancel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°340 du 4 février 2011, avec le titre suivant : Écoles d’art : investir pour l’avenir

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