Collectionneurs - Disparition

Disparition : Ernst Beyeler tire sa révérence

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2010 - 596 mots

Le marchand d’art et collectionneur bâlois Ernst Beyeler est décédé le 25 février à l’âge de 88 ans.

BÂLE - Avec le décès d’Ernst Beyeler, survenu le 25 février, c’est l’un des derniers Mohicans qui disparaît. En soixante ans d’activité et plus de trois cents expositions à son actif, ce Bâlois au physique bergmanien s’était imposé comme l’un des plus grands marchands du XXe siècle. Grâce à sa fondation éponyme, il laissera aussi son nom dans l’histoire comme collectionneur et mécène. En 1940, Beyeler devient l’assistant d’Oskar Schloss, antiquaire spécialisé dans les œuvres sur papier. À la mort de celui-ci, il se consacrera exclusivement aux artistes modernes. Sa vie sera alors jalonnée d’heureux hasards le propulsant dans l’olympe des grandes galeries. L’industriel américain David Thompson lui permet d’accomplir un pas de géant. Beyeler lui achète cent pièces de Paul Klee – il en revendra quatre-vingt-huit à la ville de Düsseldorf, en Allemagne –, environ trois cent quarante œuvres de Cézanne, Monet, Braque… et enfin quatre-vingts pièces de Giacometti réparties depuis entre le Kunstmuseum de Bâle et la Fondation Giacometti de Zürich.

Autre rencontre déterminante, celle, en 1954, de Jean Planque, qui deviendra son œil et son truffier. Par son entreprise, il fera la connaissance de Picasso. Alors que le marchand parisien Daniel-Henry Kahnweiler n’avait accès qu’à des ensembles préparés à l’avance par le maître andalou, Beyeler eut le privilège de choisir directement vingt-six pièces dans l’atelier. L’appui des banques suisses explique sa force de frappe. « Quand il voulait un tableau, il faisait tout pour l’acquérir ou l’avoir en courtage. Il allait plus loin que n’importe quel marchand pour décrocher une affaire », se remémore son confrère parisien Daniel Malingue. « Il était prêt à payer très cher, et de fait vendait très cher aussi », ajoute sa consœur new-yorkaise Dorothea Elkon. Initiateur de la Foire de Bâle, il placera la cité rhénane au centre du marché de l’art moderne et contemporain.

Passion raisonnée
La collection de Beyeler s’est constituée de manière quasi inconsciente, à partir de Monet tardifs et d’un grand papier découpé de Matisse. « J’ai toujours mis un tableau de côté sans vouloir faire une collection, nous avait-il un jour confié. Je me disais que, plus tard, je pourrais faire une donation à un musée, comme c’était la tradition. Je n’avais pas tellement envie d’un musée à mon nom, parce que si on s’occupe d’art toute la journée, on n’a pas le même désir qu’un privé. Le soir, je ne voulais plus continuer. » Lorsque l’idée de la fondation commence à se préciser, il complète les éléments isolés et les réunit au sein d’ensembles cohérents. La passion de Beyeler sera toujours raisonnée, motivée par des œuvres éprouvées et inventoriées. L’harmonie semble être son maître mot. À l’architecte Renzo Piano qui construira sa fondation, il demande d’ailleurs un bâtiment « qui reflète le luxe, le calme et la volupté ».

Pari baudelairien réussi pour une institution ouverte en 1997, et désormais dirigée par Sam Keller, ancien directeur de la Foire de Bâle. « Je perds mon mentor, livre ce dernier. Il m’a appris à regarder l’art, m’a aidé à voir ce qu’est la qualité. Il m’a montré que l’art doit être au centre de ce qu’on fait. Sa plus grande joie était de partager sa passion avec générosité, élégance et modestie. » Ces trois dernières années, Beyeler avait levé le pied. Depuis sa mise sous tutelle en 2009, la présidence de la fondation était assurée par Hansjörg Wyss. Reste une interrogation : que deviendra la galerie gérée actuellement par sa collaboratrice Claudia Neugebauer ?

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°320 du 5 mars 2010, avec le titre suivant : Disparition : Ernst Beyeler tire sa révérence

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